Arnaud Montebourg

« L’Algérie est un pays qui appartient à mes racines, à mon histoire »



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Arnaud Montebourg, ancien ministre français de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique et candidat à la primaire de gauche pour la présidentielle française, se rendra en Algérie le 10 décembre prochain pour une visite de trois jours. Nous l’avons rencontré à Bondy, en région parisienne.

Vous allez vous rendre en Algérie dans quelques jours. Quel sens donnez-vous à ce voyage ?

C’est d’abord un voyage qui me permet de revenir sur les traces de ma propre politique. J’ai engagé un processus d’union entre nos deux pays, avec la colocalisation d’activités productives et industrielles. J’avais nommé Jean-Louis Levet haut responsable de ce travail de coopération industrielle, pour un compromis gagnant-gagnant entre la France et l’Algérie. C’est ainsi que l’implantation de l’usine Renault a vu le jour. L’usine Renault d’Oran a relocalisé sur le territoire algérien pour produire des véhicules Made in Algeria destinés au marché africain, sans priver les usines françaises de leur production d’automobiles. C’est donc un accord gagnant-gagnant de colocalisation, l’usine algérienne servant les marchés africains, les usines françaises servant les marchés européen et mondial. 

Je reviens aussi à Oran voir ma famille, que je ne veux pas négliger lorsque je suis sur le sol algérien. Et nous avons connu un décès dans la famille, ce qui m’amène aussi à lui rendre visite. Ce sont les cousins de ma mère et de mon grand-père, donc aussi les miens.

Ce sera, par ailleurs, l’occasion de faire le point avec les autorités algériennes sur la nécessité des relations franco-algériennes à l’avenir. Le pont humain existant entre nos deux pays doit se renforcer. Dans la période actuelle, d’augmentation des menaces terroristes, de crise économique en Afrique et en Europe et de menace climatique sur nos deux continents, nous avons besoin d’une alliance très solide entre la France et l’Algérie, les deux grands pays des deux rives de la Méditerranée, afin de solidifier les politiques dans cette région devenue très instable en raison de la poudrière libyenne, de la fragilité tunisienne et des incertitudes liées à la société marocaine. 

L’Algérie et la France ont une histoire commune, et elles ont un futur fondamental à construire ensemble. Nous pouvons encore renforcer nos liens et bâtir des stratégies en commun. J’ai toujours défendu auprès de l’industrie française la nécessité d’avoir des investisseurs algériens en France, et j’ai toujours défendu auprès des autorités algériennes le fait de favoriser l’investisseur français en Algérie. Ma vision n’est pas que commerciale, il s’agit aussi d’un investissement mutuel. J’ai toujours dit qu’il serait d’un grand avantage que de grandes entreprises algériennes investissent en France, et apportent à la France ce lien affectif qui existe entre tant de familles franco-algériennes et de binationaux. Cette relation économique entre nos deux pays permettrait d’aller encore plus loin dans l’estime mutuelle, réciproque et durable. 

Faut-il une écriture collégiale par les deux pays de l’histoire entre l’Algérie et la France ? 

D’abord l’histoire ne s’écrit pas de façon officielle. L’histoire ne peut s’écrire que sous la plume d’historiens libres et divers, car les visions sont toujours différentes. Aujourd’hui encore, il y a des controverses sur la révolution française…

Je trouverais intelligent que nous puissions finalement écrire l’histoire à quatre mains : deux mains algériennes, deux mains françaises, pour que peu à peu s’instaure une analyse commune de ce qui s’est produit, et qu’on ne rouvre la querelle mémorielle, ni d’un côté, ni de l’autre. 

Nous avons besoin de nous projeter dans le futur. Les générations actuelles sont épuisées par le combat de leurs grands-pères… Moi, mon grand-père a participé au combat du FLN et de l’ALN, comme son cousin décédé récemment à Oran, comme toute sa famille. Il n’y a pas de sens à transporter le conflit de l’époque de nos grands-parents dans nos vies actuelles. Le dépassement se fera d’abord par l’oeuvre historique libre et commune, mais aussi avec le passage du temps, et avec la responsabilité de dirigeants qui, plutôt que rouvrir les conflits du passé, auront intérêt à chercher les conciliations du futur. 

Cette conciliation peut-elle aussi être réalisée sur le plan économique ?

Elle doit se faire d’abord sur le plan économique. L’Algérie est un grand pays qui a besoin de s’industrialiser pour sortir de la rente pétrolière, et la France est un pays qui a besoin de se reconstruire économiquement. Nous pouvons le faire ensemble, en partageant le travail. 

Y a-t-il des inquiétudes en France au sujet de la situation économique algérienne ?

Il y a d’abord des inquiétudes en France au sujet de la situation économique française. Mais il y a des inquiétudes en France au sujet de la chute des revenus pétroliers, dans un pays qui doit organiser sa mutation. Il est toujours plus facile d’organiser la mutation dans un pays dont les recettes d’exportation croissent que dans une situation où les recettes chutent. Je fais ce voyage en Algérie pour chercher les voies et les moyens communs que nous pourrions mettre à la disposition de nos deux peuples pour progresser ensemble. 

Pensez-vous que le fait que vos origines soient à la fois françaises et algériennes soit un « plus » pour votre analyse des rapports entre les deux pays ?

Je suis allé en Algérie avec mon grand-père en 1972. J’y suis retourné seul plusieurs fois, puis en 2012 avec le président Hollande. C’est un pays qui m’est familier et qui appartient à mes racines, à mon histoire. Il est donc évident qu’en plus du désir de faire entre nos deux pays puissants, il y a les liens du cœur. 

Au sujet de la colonisation, la France devrait-elle présenter des excuses ? 

Le président Hollande, devant le congrès algérien, a déjà procédé à de nombreuses reconnaissances. Je crois qu’il n’y a pas de honte à dire ce qui a été, et à reconnaître ce qui s’est produit. C’est là l’honneur de tout peuple et de ses représentants. La question de la repentance et des excuses est toujours très problématique, car elle place le terrain de la connaissance et de la vérité historiques sur un terrain moral. Je propose que nous disions les choses et que nous les reconnaissions. Nous aurons ainsi avancé grandement dans la connaissance de ce qui s’est passé, afin de pouvoir nous projeter ensemble vers l’avenir. 

Que pensez-vous des déclarations récentes de François Fillon au sujet de la colonisation ? 

Faire l’apologie de la colonisation, c’est finalement nier le verdict de l’histoire. Si tous les pays colonisés se sont rebellés, c’est certainement qu’il y avait d’excellentes raisons pour cela. Tous les pays colonisateurs ont été expulsés. Même les pays qui organisaient l’apartheid comme l’Afrique du Sud ont finalement dû se réformer. C’est donc qu’il y a une loi de l’histoire dans la progression de l’égalité des hommes, et nul ne peut l’arrêter, encore moins François Fillon. 

Pensez-vous que l’on puisse considérer qu’il y a des aspects positifs dans le bilan de la colonisation ?

Ce n’est pas une question qui m’intéresse, car l’histoire a tranché. Il y a eu un processus mondial de décolonisation, et l’auto-détermination des peuples est aujourd’hui une loi planétaire que nul ne songerait à remettre en cause. Tout ce qui aurait pu être considéré comme positif par certains a été balayé par le rejet massif des peuples qui souhaitaient s’affranchir d’une tutelle.

Quelle est votre position sur la question de l’immigration ?

Nous avons un problème d’immigration intra-européenne lié à la directive des travailleurs détachés. Les travailleurs d’Europe de l’Est sont payés au lance-pierre et payé selon la loi du pays d’origine. Un travailleur roumain qui travaille en France n’est pas payé selon la loi française mais selon la loi roumaine. Cela concerne 500.000 personnes par an, selon un rapport parlementaire. Ça, c’est le premier problème. Le deuxième sujet est lié à nos engagements à l’égard de ceux qui demandent l’asile en France et qui fuient les persécutions. La France entend respecter ces engagements et a pris en charge une partie de l’immigration de persécution à la demande de l’Union européenne. La France applique les règles du regroupement familial, qui concernent beaucoup de ressortissants franco-algériens. 

Enfin, la question de l’immigration économique reste dans notre pays résiduelle et marginale, puisqu’elle concerne les déboutés du droit d’asile et ceux qui sont en situation irrégulière, qui souvent ne peuvent pas être expulsés, et qu’on jette dans les mains de l’économie souterraine et illégale. 

Cela, ce sont les problèmes de la France. Il est évident que nous devons maîtriser notre immigration et que nous devons faire face à tous ces problèmes en même temps. Néanmoins, nous avons une tradition d’hospitalité et d’accueil qui nous permet d’envisager la cohabitation des différentes cultures d’origine de façon optimiste. Parce que quoi qu’on dise, l’intégration fonctionne dans notre pays. 

L’immigration pourrait-elle être vue comme une force ?

Elle n’est en tout cas pas un désavantage lorsqu’elle est maîtrisée.

Pensez-vous qu’actuellement, le sujet de l’immigration serve de prétexte à la xénophobie ?

Je crois que c’est la crise économique qui produit le surgissement de boucs émissaires, et le scénario des années trente qui est en train de se reproduire en Europe est une menace qu’il faut prendre au sérieux. 

L’islam est-il particulièrement visé ?

Nous avons fait l’objet d’attaques terroristes de la part de terroristes djihadistes qui ont utilisé l’islam pour se revêtir du costume de guerrier, alors qu’il ne s’agit que de criminels et de terroristes abjects. Et il est évident que la question de l’islam a provoqué des emportements d’opinion et des pertes de sang froid. J’ai déploré, pour ma part, que dans le débat public, on ait imaginé des Guantanamo à la française et des déchéances de nationalité pour les binationaux. Perdre son sang froid sur le terrain de la cohabitation des religions pacifiques, des libertés publiques et de la laïcité est un problème pour notre pays. La seule riposte stratégique que la nation France peut opposer à ces attaques ignobles par un proto-État au projet totalitaire et aux alliés contestables, c’est l’union des forces de notre pays. Et il y a des millions de musulmans qui ont une conception de leur foi privée et discrète qui contribuent à cette force. 

Quelle est votre position au sujet du Sahara occidental ?

L’ONU a entre ses mains les clés de la résolution de ce problème. La France n’a aucune raison de se départir des choix que la communauté internationale aura à faire à travers son droit international et onusien.

Quelle est votre position à l’égard du conflit syrien ? Faut-il coopérer avec la Russie ?

J’ai proposé une stratégie de désescalade diplomatique mettant autour de la table non seulement les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, mais également les trois puissances régionales qui sont belligérantes par procuration: l’Iran, l’Arabie saoudite et la Turquie. Car ce sont elles qui garantiront un plan de sortie pacifique ou un plan de paix pour la Syrie, visant à une sorte de Syrie confédérale avec des garanties pour les trois minorités kurde, alawite et chrétienne. Nous pourrions imaginer une stratégie de type OSCE qui, pendant la guerre froide, a permis de garantir le respect des frontières dans l’Europe après le rideau de fer. 


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