Mustapha Mekideche est expert international et président du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP). Ce mécanisme est une institution de l’Union africaine relative à la gouvernance et l’amélioration de la gouvernance en Afrique. Dans cet entretien, il revient sur le Forum africain d’investissements et d’affaires auquel il a participé et sur l’incident qui a eu lieu avec le retrait du Premier ministre et du gouvernement de la cérémonie d’ouverture.
Quels enseignements peut-on tirer de ce Forum africain après l’incident qui a eu lieu lors de l’ouverture de ses travaux ?Ce qui s’est passé était inacceptable, désolant et inattendu à la fois du point de vue du casting que du protocole. Ceci étant, il faut relativiser et noter les aspects positifs. D’abord, cette réunion est déjà un fait inédit au plan continental. C’est la première fois qu’un pays africain se réunit avec le reste du continent pour développer la coopération et le business. De ce point de vue-là, on a pu constater que les économies africaines de niveaux différents peuvent nouer des relations d’affaires avec l’Algérie. Aussi bien avec des grands groupes industriels sud-africains et kenyans qu’avec des petites et moyennes entreprises du Tchad et du Mali.
Ensuite, les panels étaient également de très haut niveau. Ce forum a été aussi l’occasion pour les entreprises algériennes de présenter leurs capacités et leur potentielle production en matière de biens et de services.
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Enfin, il ne faut surtout pas oublier les contrats signés à cette occasion et qui sont très diversifiés. L’un d’eux a été signé entre une filiale du groupe Sonelgaz avec une entreprise soudanaise pour développer des systèmes locaux d’énergies renouvelables. Deux entreprises d’énergie sont venues faire la promotion de leur projet, je pense par exemple au hub de GNL que les Ivoiriens veulent développer à Abidjan pour électrifier l’Afrique de l’Ouest. Ce sont des éléments concrets qu’il faut retenir.
Comment cette rencontre va-t-elle permettre aux entreprises algériennes de conquérir le marché africain au moment où elles font face à de nombreux obstacles notamment juridiques pour investir dans leur propre pays ?Nous pouvons constater les conséquences de ces obstacles dans notre position dans le Doing business où on est très mal classé. Nous pouvons revenir notamment sur la question de l’accompagnement financier, à la fois par les institutions financières algériennes, continentales et internationales. Je suis toujours étonné par le fait qu’on ne puisse pas utiliser en 2016 les banques algériennes et étrangères qui ont des réseaux dans ces pays-là.
Evidemment, les conditions de réglementation des changes et de mouvement des capitaux peuvent rendre la procédure lourde. C’est une question qui est à l’ordre du jour. Le Gouverneur de la Banque d’Algérie était présent au Forum et a déjà émis des signaux en disant que nous allons autoriser les banques à avoir des filiales en Afrique subsaharienne. Il y a tout un aspect qui est à prendre en charge quant aux réformes que nous devons faire, et que nous avons tardé à faire et que nous tardons toujours à faire.
Il ne faut pas oublier également qu’on est dans des marchés concurrentiels ouverts en général. Les produits et services qu’on offre doivent être concurrentiels. Et là nous pouvons citer un élément intéressant lié aux conditions monétaires offertes avec un dinar qui a été dévalué et qui donne des éléments de compétition. La dévaluation du dinar offre des conditions à l’export relativement concurrentiel. Il faudrait le reconnaître évidemment.
N’a-t-on pas envoyé aux Africains un très mauvais signal concernant la stabilité du climat des affaires en Algérie avec l’incident qui a eu lieu le premier jour du forum ?Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Je crois qu’on a trop remis de couches sur un incident qui peut renvoyer à des problématiques internes comme dans tous les pays où il y a des rapports de forces politiques ou de repositionnement. Mais il me semble excessif de rajouter des couches comme j’ai pu le lire dans la presse nationale.
J’ai eu des discussions avec certaines délégations notamment celles d’Afrique du sud et de Côte d’Ivoire. Je ne crois pas que cet élément était l’essentiel qu’elles avaient retenu. Cet incident a pu mettre un voile et ternir un événement qui aurait pu être encore plus éclatant. Pour autant, même si je parle à contre-courant, il y a des éléments extrêmement positifs qui sont ressortis de cet événement.
Ce forum était une réussite selon vous ?On aurait pu faire mieux. Effectivement, il y a des absents de marque dont le président de la BAD qui aurait dû être là quel que soit son agenda. Par définition, il a été élu comme président de cette banque parce qu’il vient avec un projet de développer l’énergie en Afrique. Ce sujet a fait l’objet de discussions dans ce forum. De grands projets étaient mis sur la table dont celui du gazoduc transsaharien entre le delta du Niger jusqu’au Nigeria du nord et le Sahara algérien. C’est un projet d’infrastructure énergétique structurant dont la question de financement reste au cœur de sa faisabilité.
On ne peut pas se contenter de se focaliser sur un événement malheureux qui aurait pu être réglé par ailleurs et en dehors de cette sphère. Enfin, cet événement n’a pas eu que des partisans. Il a eu aussi des détracteurs qui n’étaient pas intéressés par cette nouvelle vision et dynamique africaine dans laquelle veut s’inscrire le mouvement des affaires en Algérie.