SNTF

Les grévistes demandent une enquête sur la gestion des ressources humaines



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Les conducteurs de train de la SNTF ont organisé, mardi dernier, une grève pour demander la classification des postes qu’ils attendent depuis plus de six mois. Ils dénoncent aussi la nouvelle grille de salaires décidée d’un commun accord entre la direction de la SNTF et le syndicat. Les grévistes dénoncent la mauvaise gestion et réclament une enquête. «Nous dénonçons la mauvaise gestion des ressources humaines au sein de la Société nationale des transports ferroviaires (SNTF) et nous sommes contre sa privatisation.» Haroun Boulemya, chef de train principal, 40 ans, leader syndical de la section de traction d’El Hamma gelée en mai dernier par l’UGTA, dénonce ce qu’il qualifie «de coup prémédité contre la SNTF». «Il y a une volonté claire de mettre à genoux la SNTF afin de justifier sa privatisation. Beaucoup d’entreprises publiques ont connu ce sort. La tutelle, la direction ainsi que l’UGTA sont de connivence sur ce plan. Elles ont déjà tenté le coup en 2015 en essayant de conclure un accord de partenariat avec la Société française de transport ferroviaire (SNCF). Elles ont fini par y renoncer après la menace des travailleurs de recourir à nouveau à la grève. Aujourd’hui, en augmentant ‘‘illégalement’’ le salaire des travailleurs, elles tentent d’acheter leur silence afin de concrétiser ce projet.» Les propos de Haroun Boulemya peuvent paraître «ambigus», car le syndicat de l’entreprise, à savoir la Fédération nationale des cheminots (FNC), n’en a pas parlé ni même la direction de la SNTF. Mais si sa déclaration reste une lecture, M. Boulemya et ses collègues, qui ont observé une journée de protestation mardi dernier et qui ont paralysé tout le réseau ferroviaire de la région d’Alger et sa banlieue, ont un argumentaire «solide» qu’ils tiennent aujourd’hui à faire valoir et à rendre public. Maintenanciers Mardi matin devant le siège de la FNC à Alger-Centre. Après avoir décrété une journée de protestation et gelé le réseau ferroviaire algérois, une centaine de conducteurs de train, vêtus de gilets roses portant le logo de la SNTF, ont fait le déplacement au siège de la direction et observé un rassemblement à quelques pas de l’enceinte de leur syndicat, situé dans la même ruelle. Sur leurs pancartes, on pouvait lire : «Nous demandons les résultats de l’expertise sur la classification des postes», une revendication portée par les travailleurs lors de leur dernière grève de neuf jours, organisée en mai dernier. Cependant, ils n’étaient pas les seuls à organiser un rassemblement devant la FNC. Les maintenanciers de l’unité BPML de Rouiba étaient aussi du rendez-vous. Interrogés, ces derniers expliquent qu’«ils s’opposent catégoriquement à la grève des conducteurs». «La direction a décidé d’augmenter nos salaires, en fonction de nos années d’expériences cumulées, mais il s’avère que les conducteurs de train s’y opposent, ce que nous ne comprenons pas. Ce sont des agitateurs qui œuvrent contre les intérêts des cheminots», dénoncent, sous le sceau de l’anonymat, des maintenanciers, rencontrés devant le siège de la FNC. Furieux, un cheminot qui s’apprête à partir en retraite s’indigne : «J’ai travaillé pendant plus de 30 ans à la SNTF. Et c’est quand l’entreprise a décidé de rentabiliser mes années d’expérience après un blocage qui a trop duré, à mon sens, que mes collègues décident de tout bloquer ! Ce n’est pas normal. Je mérite tout de même une retraite digne.» «Les contre-manifestants», qui ont fait le déplacement l’après-midi au siège de la centrale, étaient unanimes «à soutenir solennellement la FNC qui a signé l’accord des révisions des salaires en question, l’UGTA qui avait appuyé et la direction de l’entreprise qui avait concrétisé, quant à elle, un accord tant attendu, selon leurs dires, par les 13 000 cheminots que compte la SNTF». Pour l’instant, les propos des pro-FNC paraissent plausibles. Mais ce qui reste par contre anormal dans cette affaire est cette opposition des conducteurs à ladite augmentation, sachant qu’eux-mêmes sont concernés. Question que peut poser toute personne qui s’intéresserait au dossier : «Quelles sont les raisons ?» Pour mieux cerner l’histoire, Haroun et son chef de train, Abdelkader Sid, cinquantenaire, syndicaliste dans la même unité, nous renvoient aux protestations de 2011. «Afin d’améliorer le salaire des anciens travailleurs qui n’ont pas de niveau ou qui n’ont pas réussi leurs examens, nous avons organisé en 2011 une grève et demandé à la direction de comptabiliser leurs années d’expérience et elle avait accepté. Nous sommes sortis avec une nouvelle grille. Vous avez les grades sur la verticale auxquels vous ne pouvez y accéder qu’après formation et examens et les échelons à l’horizontale de l’autre, dont ces derniers pouvaient tirer bénéfice en fonction de leur nombre d’années d’expérience. Un échelon est égal à deux années de travail. Cette règle a non seulement été appliquée avec effet rétroactif, mais aussi a été élargie à tous les fonctionnaires de la SNTF», explique Sid Abdelkader. Haroun ne s’arrête pas là et précise : «Il faut savoir que tous les travailleurs sont rémunérés non seulement pour leurs échelons cumulés, mais aussi pour l’indemnité expérience professionnelle (IEP) ou ce que nous appelons la prime de l’ancienneté. Donc, ils bénéficient de deux mêmes primes en même temps, ce qui est contraire à la loi. Nous avons fermé, à l’époque, les yeux sur cette question, car la situation financière du pays était confortable, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, surtout avec le déficit qu’enregistre la SNTF.» Classification Donc, pour les deux syndicalistes, le problème de déroulement de carrière a été réglé. Alors de quelle comptabilisation des années d’expérience parlaient les travailleurs qui saluent les nouvelles augmentations ? Ce qu’il faut comprendre, c’est que dans la grille des salaires de base des travailleurs de la SNTF, dont El Watan Week-end s’est procuré une copie, il y a cinq catégories désignées par des lettres (de A à E). Chacune d’elles compte de 4 à 6 niveaux. «Pour y accéder, un travailleur doit non seulement avoir les aptitudes requises, faire une formation et pouvoir réussir l’examen», explique Abdelkader. Ces salaires de base vont de 18 500 DA pour la toute première catégorie A1 jusqu’au plus gradé des travailleurs E6 qui touche quant à lui un salaire de base équivalent de 42 000 DA. Enu même temps, avec le système d’échelon, un travailleur de la même catégorie, dont on peut prendre l’exemple d’un aide-conducteur qui lui est à la catégorie A5. Ce dernier touche un salaire de base de 22 400 DA. Un autre travailleurs de la même catégorie mais qui comptabilise 30 ans d’expérience a un salaire de base de 32 400 DA, soit 10 000 DA de plus ou presque 50% de plus du salaire d’un débutant. Deux ans plus tard, les chefs de train ont manifesté à leur tour leur mécontentement et ont organisé une grève pour demander «une classification des postes». «Si quelqu’un réussi le concours de conducteur, il est directement catégorisé en B3. Si l’expert prend en considération ses attributions physiques, morales, les décibels du bruit, les risques, les heurts et les traumatismes psychiques causés par les suicides dont nous sommes témoins ainsi que notre régime de travail particulier, il peut se dire qu’au lieu de le mettre à la B3, il le placera à la C3. Mais cette classification des postes est valable pour les 13 000 fonctionnaires que compte la SNTF et c’est ce que nous avons revendiqué dans notre grève en mai dernier», précise Haroun. Protocole d’accord En effet, en mai dernier, les conducteurs ont décidé à leur tour de renouer avec la rue pour revendiquer ladite classification après que le mouvement de leurs collègues, les chefs de train «ait échoué». «Le mouvement des neuf jours avait abouti à la signature d’un protocole d’accord entre nous et l’entreprise sur ce nouveau système de grille. L’entreprise avait engagé un expert pour l’étude du dossier et lui avait donné un ultimatum de trois mois. Sauf que nous n’avons toujours pas connu ses conclusions», s’indigne Abdelkader. La section syndicale dont Haroun et Abdelkader étaient membres et qui avait organisé la protestation des neuf jours avait été gelée par l’UGTA. «Nous avons été non seulement gelés du syndicat mais suspendus aussi. Ce n’est qu’après protestation des travailleurs que nous avons été réintégrés», se rappelle-t-il. Le rapport qu’ils évoquent «n’avait été remis à la direction de la SNTF que six mois plus tard», selon les déclarations des deux syndicalistes. «Il n’y a que la fédération qui l’avait vu. Cette dernière avait refusé ses conclusions sans qu’elle consulte ni les syndicalistes ni même les travailleurs, s’emporte Haroun. Pourquoi donc la FNC n’avait pas associé les travailleurs dans sa décision ?» Sauf que la fédération avait conclu un autre protocole d’accord, dont El Watan Week-end détient une copie. Ce dernier traite essentiellement trois points : «Le déroulement de carrière sous titre provisoire avec effet rétroactif du 1 janvier 2015, le prolongement de la grille des échelons de 15 à 20 échelons et la finalisation du dossier de classification des postes pour tous les services de la SNTF», lit-on sur ce protocole d’accord entre direction générale, FNC et UGTA, signé le 30 octobre dernier et qui nous a été remis par la FNC. Augmentations «C’est un scandale. La direction et la FNC ont décidé de comptabiliser les années d’expérience non en échelons, mais en catégories. Donc, un aide-conducteur peut être payé mieux que son chef. Où est la logique ici ?» se demande Haroun. Pour lui, «ces augmentations sont non seulement  injustifiées, car les échelons existent déjà, mais cela relève du vol de l’argent public». «La direction et la fédération savent que c’est illégal. Sinon, je les défie d’inscrire ces augmentations dans la convention collective, insiste Abdelkader. Cela veut dire que personne ne fera de formation et ne passera d’examen du moment qu’il peut attendre quelques années pour monter en grade.» Joint par téléphone, le directeur des ressources humaines de la SNTF, M. Aouchiche, avoue «ignorer les revendications des protestataires». «Je ne sais pas ce qui s’est passé, assure-t-il. Nous n’avons pas reçu leurs revendications, car je pense qu’ils ne sont pas passés par leur syndicat.» Sur le déroulement des carrières décidé par l’entreprise, le DRH semblait «être gêné» et «n’avait pas souhaité répondre à la question» : «Vous m’avez posé des questions sur la grève et je vous ai répondu», ce qui n’était pas le cas du conseiller du directeur général, Abdelouahab Aktouche : «Je pense que les grévistes voulaient manifester leur ras-le-bol quant au retard constaté sur la mise en place du système de classification des postes. Nous avons commencé ce travail au niveau de la DRH. Il est encore en cours.» Sur la nouvelle grille, le conseiller argumente : «Je ne saurais vous l’expliquer personnellement. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a une évolution en échelon en fonction des années d’expérience accumulées par les travailleurs. Mais ils sont tous concernés par la régularisation.» 30 octobre Nous étant déplacés le jour de la protestation à la FNC, le membre du syndicat qui nous avait reçu, en l’occurrence Ahmed Ladjal, s’était contenté de qualifier les grévistes de «minorité jalouse des acquis de la FNC». «Ces gens se demandent pourquoi ce ne sont pas eux qui ont conclu cet accord avec la SNTF. Ils tentent, à travers leur action, de nous mettre la pression afin de les réintégrer dans le syndicat, se défend Ahmed Ladjal. Demandez aux travailleurs, ils sont tous satisfaits. De plus, nous et la direction n’avons jamais fermé les portes au débat. Pourquoi alors ont-ils recouru à la grève ?» Et d’ajouter : «Nous remercions la direction de la SNTF et la centrale syndicale, à sa tête son président, Abdelmadjid Sidi Saïd.» Abdelkader Sid appelle à l’ouverture d’une enquête sur cette affaire de déroulement de carrières décidée le 30 octobre dernier en commun accord entre la FNC et la direction de la SNTF. «Dire que nous sommes une minorité insignifiante est déjà une atteinte à tous les cheminots qui ont participé à la grève des neuf jours en mai dernier et qui ont gelé tout le réseau ferroviaire national, rétorque-t-il. De plus, nous nous sommes pas adressés à la FNC mais aux pouvoirs publics, leur demandant l’ouverture d’une enquête sur la gestion des ressources humaines au sein de notre entreprise. Quant à la fédération, nous l’accusons d’être derrière le détournement de notre protocole d’accord qui se base sur les compétences et responsable de l’anarchie pour acheter le silence des travailleurs.» Et d’ajouter : «Nous concernant, nous étions des grévistes le jour de la protestation. Et que faisaient ceux qui sont venus soutenir la FNC ? N’avaient-ils pas abandonné leurs postes ? Ont-ils été sanctionnés pour ça ? Mais la première erreur revient à la direction qui n’avait pas remis aux travailleurs les conclussions du rapport de l’expertise.» Les questions que posent les grévistes n’en finissent pas : «Comment le DG de la SNTF, Yacine Bendjabalah, a accepté un déroulement de carrière de ce genre ?» Nos deux syndicalistes persistent et assurent que l’objectif commun de la FNC et de la direction est «de conclure l’accord de partenariat avec la SNCF avorté par leur syndicat l’année dernière». «Il ne peut y avoir d’autres raisons plus valables pour justifier de telles dépenses», expliquent-ils. Orientations économiques En effet, selon le protocole d’accord signé en mai 2015, entre la SNTF et la SNCF, dont El Watan Week-end détient une copie, il a été mentionné un partenariat dans les domaines suivants : «Le domaine de la formation sur les nouvelles technicités, l’ingénierie ferroviaire, le transport des voyageurs et celui du transport fret et logistique», lit-on sur le même protocole d’accord. «Nous avons été convoqués par Boudjema Talaï, l’actuel ministre des TraÒ‹nsports, pour prendre part à une réunion non officielle et discuter de ce partenariat avec la SNCF. Nous lui avons expliqué les raisons de notre refus et nous ne sommes pas arrêtés là. Nous lui avons proposé tout un plan de redressement de l’entreprise sans même recourir à un quelconque partenariat. Comme ils savent que nous sommes le dernier front contre la privatisation de la SNTF et que nous pouvons mobiliser, ils ont fini par nous geler. Nous savons aujourd’hui qu’à travers ces augmentations inexpliquées, le directeur avait réussi finalement à convaincre la FNC», s’indigne Haroun. Et d’ajouter : «Je suis un patriote et je crois en mon combat syndical comme me l’ont appris les anciens qui ont appris de Aïssat Idir et ses camarades. Avec ses bénéfices, la SNTF ne peut même pas aujourd’hui couvrir 25% de sa masse salariale. Mais nous leur lançons un défi comme nous l’avons fait pendant les années du terrorisme. Abandonnez le projet de la privatisation de la SNTF et nous nous engageons à doubler d’efforts pour relancer l’entreprise. Les entreprises publiques, qui sont un acquis du peuple, ont été libérées par nos aïeux martyrs comme mon père. C’est à nous de les préserver maintenant. Les pouvoirs publics doivent agir en urgence, sinon c’est tout l’Etat algérien qui sera privatisé, notamment après les dernières orientations économique décidées par le pouvoir.»  


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