«Il n’y a eu aucun progrès pour les droits de l’homme en Algérie»



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A l’occasion de la célébration du 68e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, Noureddine Benissad, fait état de violations régulières de toutes les libertés individuelles et collectives…  L’Algérie célèbre aujourd’hui le 68e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Y a-t-il une évolution positive à signaler par rapport à l’année 2005 et aux années précédentes ? Comme chaque année, et depuis sa création, la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (loin du style folklorique) célèbre la Journée mondiale de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Nous allons la dédier cette année aux droits économiques et sociaux, compte tenu de l’actualité. Notre pays a vécu sous un état d’urgence de 1992 à 2011, soit pendant 19 ans. Durant cette période, toutes les libertés ont été mises «sous état d’urgence», autrement dit des libertés suspendues ; nous avons salué la levée formelle de l’état d’urgence en 2011, mais force est de constater que sur le terrain, il n’y a pas eu de progrès. Pis encore, on a relevé une régression notamment par le contenu de certaines lois liberticides, comme la loi relative aux associations qui est incompatible avec la Constitution et les conventions internationales relatives aux droits de l’homme, notamment le Pacte international sur les droits politiques et civils ratifié par notre pays. Nous avons présenté, en 2012, avec un certain nombre d’associations, un projet alternatif conforme aux standards internationaux afin de permettre aux citoyens et citoyennes de s’organiser librement. Notre texte est de nature à jeter les jalons d’une société civile active. Il est incontournable pour toutes les actions citoyennes dans les différents domaines de la vie sociale. Les libertés de manifester, de se réunir, de s’organiser et, par conséquent, de s’exprimer pacifiquement sont malmenées sur le terrain, malgré le fait que ces libertés sont consacrées par les textes sus-indiqués. La LADDH continuera de revendiquer l’exercice des libertés, de faire un effort pédagogique pour vulgariser ces droits auprès de l’opinion publique et par la formation de ses militants aux droits de l’homme. Nous continuerons à appeler à l’indépendance du pouvoir judiciaire de manière à lui permettre d’être un véritable garant des libertés individuelles et collectives et d’être aussi un «producteur de jurisprudence» et des libertés. Nous sommes d’ailleurs en attente des lois organiques sur le statut de la magistrature et du Conseil supérieur de la magistrature, prévues par la loi 16-06 du 6 mars 2016 portant révision constitutionnelle, pour voir s’il y a une véritable volonté politique de donner un sens au principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs et in fine de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Pourtant, depuis le début de l’année en cours, les différents représentants du pouvoir ne cessent de promettre une révolution en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme… L’histoire de l’humanité nous montre que le premier violateur des droits de l’homme a toujours été l’Etat avec toute sa puissance contre le citoyen démuni et sans moyen de se défendre. On ne saurait, à mon sens, même dans une démocratie, se reposer sur le pouvoir pour garantir les libertés. Le respect des droits de l’homme dépend aussi de la capacité des citoyens à se mobiliser pour les défendre, à les transformer en «cause» civique. Il faut peut-être de nouvelles formes d’engagement, distinctes du militantisme politique et social traditionnel. D’ailleurs, aujourd’hui, les droits de l’homme suscitent un large mouvement d’opinion par la naissance des associations toujours plus nombreuses, qui entendent faire reconnaître et respecter les droits des groupes les plus vulnérables : les droits des femmes, les droits des enfants, les droits des malades, les droits des chômeurs, les droits des migrants, les droits des prisonniers... Le paradoxe, je l’avoue, est qu’il est plus facile de défendre et faire progresser les droits de l’homme dans les pays démocratiques que là où ils ne sont pas respectés. La société civile doit d’abord bénéficier d’un cadre juridique approprié et conforme aux standards internationaux en matière de  droits de l’homme par la promulgation d’une nouvelle loi qui facilite la fondation libre d’associations et qui encourage leurs actions, car l’association est le meilleur moyen d’apprentissage de la démocratie, du dialogue et de la citoyenneté.   On a assisté, ces derniers mois, à une multiplication des arrestations de citoyens et de militants des droits de l’homme en raison de leurs publications sur les réseaux sociaux. N’est-ce pas une nouvelle forme d’atteinte aux libertés individuelles et à la liberté d’expression qui se généralise ? Si les écrits, publications ou caricatures ne font pas l’apologie du terrorisme, du crime, de la violence ou de la haine, nous considérons qu’effectivement leurs auteurs ne font qu’exprimer une opinion et donc font partie de la liberté d’expression. La sanction des délits de droit commun, l’insulte, l’injure, la diffamation et les atteintes à l’honneur et à la considération des personnes, est prévue par la loi pénale. Je trouve tout à fait juste qu’une personne insultée, injuriée ou diffamée demande réparation auprès des tribunaux. A ma connaissance, l’injure, l’insulte ou la diffamation ne sont pas des droits qui sont reconnus à une personne. Mais encore, il faut prouver devant un tribunal que ces délits sont établis. Le harcèlement et la répression contre les militants des droits de l’homme sont plus pernicieux. Souvent les poursuites se fondent sur des qualifications erronées et sournoises, telles que «atteinte à l’ordre public», «attroupement illégal», «incitation à l’attroupement» alors qu’il s’agit de rassemblement, sit-in, manifestation au demeurant pacifiques ou opinions politiques critiques. Ces dispositions pénales empruntées au code pénal français des siècles derniers, abrogées d’ailleurs aujourd’hui dans ce pays, ne sont pas conformes à la Constitution et aux conventions internationales sur les droits de l’homme ratifiées par l’Algérie et dont nous demandons depuis longtemps leur abrogation. La création prochaine d’un «haut conseil des droits de l’homme» sera-t-elle une opportunité pour pousser l’Algérie au rang des nations respectueuses des droits de l’homme ? L’utilité d’une telle instance dépend de la volonté politique de promouvoir les droits de l’homme. Il existe après tout dans les pays démocratiques les mêmes instances consultatives pour conseiller et faire des propositions aux autorités afin d’intégrer les droits de l’homme dans leurs politiques publiques et les différentes législations. Cependant, le respect des droits de l’homme est devenu, partout dans le monde, un enjeu politique majeur, de sorte que la dénonciation de leur violation, de son appropriation formellement ou par le discours, obéit au moins autant à des stratégies étatiques qu’au souci de protéger les victimes. C’est pour ces motifs que c’est à travers la société civile que s’exprimera toute la vitalité sociale qui est en mesure, pour peu qu’elle soit encouragée, de proposer des réponses aux principaux défis de la société. La société civile peut être une source d’innovation et peut contribuer fortement à la transformation de la société. Toute société a besoin de contre-pouvoirs pour faire entendre les voix des sans-voix et être le porte-voix de ceux qui ont des voix et qui ne peuvent s’exprimer. L’appropriation des droits et leur défense sont une cause citoyenne et il n’y a que les citoyens à travers leur organisation qui peuvent les porter très haut. Quelles sont, selon la LADDH, les étapes à suivre pour consacrer le respect des droits de l’homme dans le pays ? L’histoire des droits de l’homme n’est ni l’histoire d’une marche triomphale et linéaire  ni l’histoire d’une cause perdue d’avance, elle est l’histoire d’un combat. C’est vrai, comme je l’ai dit plus haut, qu’il est plus facile de défendre et de promouvoir les droits de l’homme dans un pays démocratique que dans un pays qui ne l’est pas, mais il n’y a pas de fatalité. Les droits ne sont jamais acquis définitivement, on peut tenter de vous les enlever, les remettre en cause à n’importe quel moment, mais il ne faut jamais abdiquer ni s’y résigner. Les droits de l’homme doivent être érigés en norme supra-constitutionnelle de manière à ne permettre à aucun corps social de les remettre en cause en les accompagnant de lois qui les protègent réellement, mais il faut toujours rester vigilant, car une loi n’est en dernier ressort que l’expression d’un rapport de force entre les forces sociales et les différents intérêts. Le pouvoir judiciaire indépendant y compris le Conseil constitutionnel ont un rôle important dans la protection des droits de l’homme et des libertés en les consacrant par une jurisprudence et en rappelant tout le temps leurs violateurs que ces droits et libertés sont inviolables et sacrés. La LADDH a de tout temps apporté sa contribution en matière de promotion et de défense des droits de l’homme par la veille et la dénonciation, mais aussi pédagogiquement à travers la vulgarisation des thématiques des droits de l’homme, de la formation aux droits de l’homme, au débat national et des propositions pour faire avancer la cause, car l’ignorance, l’oubli ou le mépris sont les seules causes des malheurs des peuples. Les droits de l’homme englobent aussi les droits sociaux économiques. En cette période de crise financière, les Algériens, qui ne bénéficient pas d’un cadre de vie décent, peuvent-ils espérer une amélioration de leur situation ? Comme précisé dans la première réponse, la célébration de la Journée mondiale de la Déclaration universelle des droits de l’homme sera dédiée aux droits économiques et sociaux. Notre pays a ratifié le pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, c’est ce qu’on appelle la deuxième génération des droits de l’homme. A ce titre, il est de la responsabilité de l’Etat de protéger les catégories sociales les plus démunies et les classes moyennes, notamment les catégories les plus vulnérables, les retraités, les enfants, les femmes, les malades, les chômeurs et ceux dont les revenus sont faibles. C’est un devoir qui s’impose au regard donc de ses engagements internationaux. Mais il est aussi de son devoir d’organiser la solidarité nationale envers les plus démunis d’entre nous. On remarque que les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres encore plus pauvres et le constat est valable en période d’embellie financière ou en période de crise. Autant pendant la période des vaches grasses, la répartition de la richesse nationale n’était pas équitable, autant il est inconcevable qu’on puisse répartir les effets de crise équitablement. Certains droits, comme le droit à l’éducation, aux soins, à une retraite décente, à l’emploi et au logement sont des droits incompressifs, il va de la préservation du tissu social et de la cohésion sociale. C’est aussi une question de dignité humaine. La justice sociale se trouve ainsi liée à la question des droits de l’homme de deux façons : parce qu’elle est au cœur même des droits de l’homme comme elle est au cœur de la démocratie. La question des migrants subsahariens, qui continuent de souffrir le martyre en Algérie, suscite à nouveau la polémique… Il faut d’abord démystifier la question des migrants. La migration, et contrairement aux affirmations péremptoires utilisées d’ailleurs outre-mer par des idéologues du populisme et l’extrême droite, est d’abord intra-africaine à 90%. Nous avons entendu des propos inacceptables concernant les migrants. Les discours ont tendance à mélanger les choses, car il y a plusieurs sortes de migrants africains : les migrants économiques, ceux qui viennent chercher un travail décent pour subvenir à leurs besoins et leurs familles en général laissées dans leurs pays d’origine ; les migrants climatiques, la nature dans leurs pays est dévastée ; les réfugiés qui ont fui les guerres et les exactions et les demandeurs d’asile qui ont fui la répression. On connaît leurs conditions de vie chez nous, ils sont dans des demeures de fortune souvent sans eau, ni chauffage ni électricité et parfois ils vivent avec femmes et enfants. C’est une situation dramatique sur le plan humain. Il faut rappeler aussi les conditions inhumaines du voyage, puisque ces migrants font des milliers de kilomètres dans des conditions épouvantables. Ces migrants ont des droits, notamment le droit aux soins, à une couverture sociale quand ils sont recrutés surtout dans le secteur du bâtiment, à la scolarisation de leurs enfants en âge d’être scolarisés et à être traités comme des humains. Notre pays a toujours été une terre d’accueil, d’asile et d’hospitalité et nous avons un devoir de solidarité pour ces êtres humains qui n’ont rien, mais qui tiennent à leur dignité.


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