Le début d’une longue guerre juridique entre le Maroc et le Polisario



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« Camouflet pour les ennemis de l’intégrité territoriale du Royaume », titre le quotidien marocain L’Opinion, organe du parti de l’Istiqlal. « La Cour de Justice de l’UE tranche : le Sahara occidental n’est pas marocain ! », affirme en gros caractères le journal algérois  L’Expression.

À en juger par les interprétations si divergentes que font les médias marocains, d’un côté, ceux algériens et du Front Polisario, de l’autre, ne doivent pas parler du même arrêt.

Pourtant si, ils commentent tous le verdict rendu le 21 décembre dernier par la Cour de justice de l’Union européenne au sujet de l’inclusion du Sahara occidental dans l’accord agricole conclu en 2012 entre Bruxelles et le Maroc.

Qui des deux est dans le vrai ? Quelle analyse en font des tierces parties qui ne sont ni à Rabat, ni à Alger ou Tindouf ? Le titre du communiqué du service de presse de la Cour à propos de l’arrêt est déjà significatif : « Les accords d’association et de libéralisation conclus entre l’UE et le Maroc ne sont pas applicables au Sahara occidental ».

Un autre communiqué, publié par le ministère des Affaires étrangères français, est aussi révélateur. « La France prend note de la décision rendue (…) par la Cour », souligne-t-il. « La France avait soutenu le pourvoi formulé par le Conseil (…) » de l’UE, rappelle-t-il, contre la demande du Front Polisario et s’alignait ainsi sur les thèses marocaines. L’arrêt ne provoque donc pas l’enthousiasme au Quai d’Orsay.

L’Espagne avait-elle aussi appuyé le même pourvoi tout comme l’Allemagne, la Belgique et le Portugal. À la différence de la France, sa diplomatie est cependant restée silencieuse.

L’ancienne puissance coloniale ne s’est pas prononcée sur l’arrêt. Sur le site de son ministère on trouve des communiqués sur les sujets les plus variés, mais pas un seul sur la décision de la Cour. Ce mutisme cache l’embarras des autorités espagnoles prises en étau entre leur discret soutien au Maroc et une opinion publique acquise à l’indépendantisme saharaoui. Qui plus est l’arrêt rappelle que l’Espagne est la puissance administrante du territoire grand comme le Royaume uni.

Cinq juristes anglo-saxons ont, de leur côté, rédigé une analyse commune, signée en premier par Markus W. Gehring de l’Université de Cambridge, où ils affirment que « (…) le jugement constitue un peu une victoire à la Pyrrhus pour le Maroc ».

La Cour a en effet annulé l’arrêt rendu en première instance par le Tribunal de l’UE  qui avait carrément abrogé l’accord agricole de 2012. Celui-ci tient bon, mais la Cour stipule, en revanche, que le Sahara occidental ne fait pas partie du Maroc et ne peut donc être inclus dans l’accord.

La Cour dit ainsi à peu près la même chose que le Congrès des États-Unis en juillet 2004. Celui-ci avait alors précisé que le Sahara occidental était exclu de traité de libre-échange entre Washington et Rabat car ce territoire n’est pas reconnu par les États-Unis comme faisant partie du Maroc.

À partir de là une partie des relations entre l’UE et le Maroc sont à revoir car tous les traités, à commencer par celui d’association conclu il y a vingt ans, englobent le Sahara. Même les autorités marocaines l’admettent à demi-mots. Le chef de la diplomatie marocaine, Salaheddine Mezouar, a souscrit le 21 décembre un communiqué conjoint, avec la Haute représentante de l’UE pour les relations extérieures, Federica Mogherini, dans lequel ils s’engagent « à examiner les implications possibles du jugement de la Cour (…) ».

Ces implications concernent « l’accord de pêche et toutes les autres questions liées à ce territoire » en litige, déclarait à « TSA » Gilles Devers, l’avocat du Polisario.

Le prochain round de cette bataille juridique va commencer en janvier 2017 quand le Tribunal de l’UE se penchera sur le traité de pêche entre Bruxelles et Rabat dont le Front Polisario a aussi sollicité l’annulation.

Il est plus que probable que l’arrêt ira dans le même sens que celui du 21 décembre. L’enjeu est bien plus gros. Même si un syndicat d’agriculteurs espagnols (COAG) a déjà réclamé des contrôles frontaliers, pour empêcher que les produits du Sahara jouissent dans l’UE des mêmes avantages que les marocains, les exportations agricoles de cette ancienne colonie espagnole sont insignifiantes. Il n’en est pas de même pour la pêche ou le gros des captures provient des eaux sahariennes et non pas marocaines. C’est le plus important accord de pêche signé par l’UE et c’est, pour l’essentiel, la flotte espagnole qui en profite.

Aux yeux de la Cour le Maroc peut signer des accords qui comprennent le Sahara. Pour ce faire, il doit cependant consulter le peuple de ce territoire qui doit donner son consentement ce qui n’as pas été fait jusqu’à présent. Dans l’accord agricole il n’apparaît pas que « ce peuple ait consenti », selon les juges.

Jamal Mechbal, un diplomate marocain à la retraite qui a longtemps été en poste à Madrid, pense que Rabat peut s’en sortir « en obtenant l’approbation des représentants élus démocratiquement de la population » du Sahara, c’est-à-dire des parlementaires qui siègent à Rabat et peut-être aussi des élus locaux.

« Le Polisario n’a pas de structures démocratiques et n’est pas un État souverain capable de négocier des traités internationaux », ajoute-t-il. Ce n’est donc pas lui qu’il faut consulter.

Amar Belani,  chef de Mission de l’Algérie auprès de l’UE, ne pense pas qu’il soit possible de contourner le Polisario. « (…) Les résolutions de l’ONU et les accords signés par le Maroc avec le Polisario consacrent ce dernier comme le seul et légitime représentant du peuple du Sahara occidental », soutient Belani dans une interview avec le magazine Afrique-Asie.

Après tout, Rabat a longtemps négocié avec le Polisario, notamment à Manhasset (New York), lui octroyant ainsi une certaine légitimité.

L’arrêt ne devrait pas concerner que les institutions européennes. Il touche aussi les entreprises privées européennes qui opèrent au Sahara. Il est vrai qu’elles ne sont pas nombreuses. Maître Devers n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Il les a invitées à quitter le Sahara ou à tirer les conséquences de l’arrêt et à se mettre en conformité avec la légalité qui, selon lui, en découle. Le Polisario ira-t-il jusqu’à les poursuivre en justice si elles ne le font pas ?

Dans le camp des adversaires du Maroc, certains pensent que la portée de la décision de la Cour va même au-delà des frontières de l’Europe. L’adhésion du Maroc à l’Union Africaine (UA), sollicitée le 22 septembre, s’en trouverait affectée. Carlos Ruiz Miguel, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Saint Jacques de Compostelle (Espagne) et partisan de l’autodétermination des saharaouis, affirme dans son blog que l’arrêt apporte de l’eau au moulin des États membres qui veulent vérifier « la bonne foi » de la candidature marocaine et demander à Rabat, avant de l’accueillir au sein de l’UA, de définir ses frontières.

« Son éventuelle adhésion sera conditionnée par l’acceptation formelle [par le Maroc] des critères et des principes consignés dans l’Acte constitutif de l’UA », précise l’ambassadeur algérien Belani. L’article 3 stipule que les pays qui en font partie s’engagent à « défendre la  souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de ses États membres ».

Le Maroc peut-il s’engager à garantir les frontières de la République arabe saharauie démocratique fondée par le Polisario en 1976 et qui est membre de l’UA ? La réponse est « non ».

Face à ses arguments juridiques Jamal Mechbal et d’autres diplomates marocains ont recours à un discours plus politique. Ils rappellent que la relation entre le Maroc et l’UE n’est pas seulement faite de traités mais aussi « de lutte contre l’émigration des subsahariens, contre le trafic de drogues et de coopération contre le terrorisme ». À Rabat on pense que c’est un tout dont on ne peut dissocier une partie sans que l’ensemble de l’édifice soit menacé.

Les autorités marocaines ont montré de quoi elles étaient capables. La police judiciaire française a tenté, en février 2014, d’amener Abdellatif Hammouchi, le patron de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), devant un juge d’instruction parisien qui voulait l’entendre à propos des plaintes déposées contre lui pour torture.

Rabat a aussitôt répondu en coupant la coopération judiciaire et anti-terroriste avec la France pendant onze mois jusqu’à ce qu’elle introduise dans sa législation les modifications nécessaires pour que cette situation ne puisse plus se reproduire.

D’une façon ou d’une autre « le Maroc va chercher à ce que l’UE comprenne bien que pour que la relation fonctionne il faut que la voiture roule sur ses quatre roues et que le pneu crevé du Sahara doit rapidement être réparé », explique un diplomate espagnol.


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