Comment Facebook est en train de tuer les médias algériens

La presse algérienne est en crise. Le budget de l’Anep a été réduit drastiquement par la crise économique, et les annonceurs privés se font de plus en plus rares sur les pages de publicité de la presse écrite ou électronique. Pour la première fois, la presse paraît sérieusement menacée dans son existence.

Mais la crise économique n’explique qu’en partie les difficultés actuelles rencontrées par la presse. Un nouvel obstacle gigantesque affecte de plus en plus les médias algériens, résultante de l’entrée récente et progressive du pays dans l’ère du numérique. Son nom est Facebook. L’intrusion du plus grand réseau social du monde a bouleversé fondamentalement le paysage publicitaire en Algérie. De plus en plus d’annonceurs décident en effet de solliciter Facebook pour effectuer leurs campagnes publicitaires. Les annonceurs qui ne s’affichent plus sur les pages des journaux ou les colonnes de la presse électronique sont omniprésents sur Facebook.

L’explication est simple. Le réseau social, de par son immense envergure, permet d’abord d’offrir à ses clients des prix extrêmement compétitifs : à partir de 100 dinars (moins de 1 dollar) par jour pour une campagne pouvant toucher 10 000 personnes ! Surtout, Facebook, du fait de sa politique extrêmement invasive de la vie privée de ses utilisateurs, offre aux annonceurs la possibilité de cibler comme jamais la clientèle visée par la campagne publicitaire. Le réseau social possède des techniques de ciblage publicitaire sans équivalent dans le monde. Un opérateur téléphonique souhaitant lancer une nouvelle offre unique à Sétif peut demander à Facebook que seuls les habitants de la région disposant d’un téléphone puissent recevoir son annonce, décuplant ainsi son efficacité.

Ce genre d’armes, une audience immense, des prix imbattables, et un ciblage extrême, la presse classique et électronique algériens n’en disposent pas. Aujourd’hui, il est estimé qu’entre dix et quinze millions d’Algériens utilisent Facebook, et ce chiffre est destiné à continuer à progresser au fur et à mesure que de plus en plus de citoyens deviendront connectés. La stratégie actuelle de Facebook va inévitablement affaiblir la presse, voire la tuer si aucune action n’est entreprise.

Mais si ce scénario venait à se réaliser, tous les acteurs en jeu finiront par perdre. Pas seulement la presse. Les annonceurs, qui profitent actuellement de prix très compétitifs, verront inévitablement Facebook rehausser violemment ses prix une fois que l’alternative offerte par les médias sera terrassée. Les agences publicitaires, qui encouragent actuellement les entreprises à privilégier des annonces sur Facebook, verront leur rôle d’intermédiaire supprimé par l’automatisation des insertions publicitaire sur le réseau social.

Facebook ne fait que reproduire ce que font les autres géants de l’Internet à travers le monde dans des métiers différents. Leur technique est simple : casser les prix pour tuer la concurrence avant de les augmenter, une fois seuls sur le marché.

Quant au pouvoir algérien, s’il pourrait, a priori, se réjouir à l’idée de voir les quelques médias indépendants algériens affaiblis ou disparaître sous la concurrence impitoyable d’un géant de l’Internet, il devra néanmoins réfléchir à deux fois et savoir s’il souhaite vraiment que les Algériens continuent de s’informer sur des médias algériens et non sur une plateforme internationale. L’objectif de Facebook est en effet de devenir lui-même un média d’information. Il lui suffirait de recruter une centaine de journalistes en Algérie pour s’assurer un quasi-monopole de la diffusion de l’information sur l’Algérie. Pour un État, la presse est un instrument de souveraineté au même titre que la Défense et l’Énergie. Mais le pouvoir algérien ne semble pas l’avoir compris.