«On ne peut construire une agriculture sans nos paysans et nos jeunes agriculteurs»



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Le schéma de production agricole en Algérie a subi de nombreuses restructurations en plus de 50 années d’indépendance. Pourquoi peine-t-on à retrouver cette force de production qui faisait de l’Algérie le «grenier de l’Europe» ? Trois points que je voudrais évoquer en rapport avec votre question. 1. Il est vrai que l’agriculture algérienne a été soumise à de nombreuses réformes. La plus importante d’entre elles date de 1987 lorsque la loi sur les domaines agricoles socialistes (loi 87/19) les a démantelés — au moment même où ils devenaient rentables — et a transféré les actifs économiques (bâtiments d’exploitation, infrastructures hydrauliques, matériel, cheptel bovin, plantations) au profit des bénéficiaires d’Exploitations agricoles collectives (AC) et individuelles (EAI). Cette réforme confirmera, je le rappelle, le tournant libéral qui avait été pris dans le secteur. Cela fera donc, en juillet prochain, plus de 30 ans que le système a été libéralisé et près d’un demi-siècle que la Révolution agraire a été abandonnée... Et l’on va plus loin dans cette option libérale, puisque l’on confie à un pôle capitaliste fait d’investisseurs privés — les très grands — «à des professionnels» et au partenariat public-privé y (compris sur les fermes pilotes) le soin d’assurer la croissance agricole du pays. 2. L’Etat a mis depuis longtemps des ressources matérielles et financières considérables au service de cette option. L’aisance financière des années 2000 a largement profité aux secteurs de l’agriculture, du développement rural et de l’hydraulique agricole : des milliards de dinars (30 à 40 milliards par an au cours du dernier quinquennat) ont été dépensés, et je ne comptabilise pas ici les investissements publics dans les barrages — dont l’agriculture a été le premier utilisateur — dont le nombre a triplé en 30 ans. La crise budgétaire de ces dernières années — si elle a affecté le secteur du développement rural — n’a pas remis en question toutes les aides de l’Etat au secteur agricole : les soutiens sont toujours accordés aux producteurs, collecteurs et transformateurs de lait, à la pomme de terre, aux céréales, à l’irrigation... Ce secteur reste attractif par la politique de soutien de l’Etat par des prix de marché rémunérateurs (en particulier pour les fruits, les légumes et les viandes) et une profitabilité élevée pour ceux qui accèdent au foncier et aux crédits. Si l’évaluation économique et financière des programmes de dépenses publiques et d’aides de l’Etat reste à faire, les statistiques officielles montrent que l’effort d’investissement déployé par l’Etat a porté. Le pays a enregistré un taux de croissance élevé de la production agricole (de 2,9 à 9,2%/an) au cours de cette dernière période, et il en est de même des taux de croissance de la productivité du travail ou de la terre totale des facteurs (Rapport IFPRI, 2016). Les progrès ont été identifiés dans l’extension des capacités productives (l’on passe de 8 milions à 8,5 millions d’ha de SAU) et les superficies irriguées ont quasiment doublé. Selon les statistiques nationales (MADR), la production céréalière serait passée d’une moyenne de 3 millions de tonnes sur la période 2005-2008 à près de 5 millions de tonnes sur la période 2009-2015, le lait de 1 milliard de litres à 4 milliards de litres en 2015, la pomme de terre de 2 millions de tonnes à 4 millions de tonnes et les viandes rouges de 300 000 à 400 000 tonnes, toujours sur les mêmes périodes. Ces résultats ont été masqués en partie par la croissance d’une population en pleine mutation (urbanisation) et des consommations alimentaires (les dépenses alimentaires des ménages ont été multipliées entre 2000 et 2011 par 2,5 selon l’ONS). 3. Dernière observation sur le «grenier de l’Europe». Nous n’avons jamais été le grenier de l’Europe, ni de Rome, ni d’un quelconque autre pays... Le pain a toujours manqué et nos aïeux ont connu la faim et des années de disette : les régimes politiques en place y ont été pour quelque chose (relisons ce que disait en son temps Ibn Khaldoun sur le lien entre famine et mode de gouvernance). L’Algérie, «grenier à blé» de Rome est un mythe inventé par la colonisation pour légitimer l’occupation et la colonisation agraire du pays. Les quantités de blé exportées à Rome par des territoires qui correspondent aujourd’hui à l’Est du pays et à la Tunisie étaient estimées à peine à 42 000 tonnes/an. La Régence turque exportait le blé vers la France au détriment du bien-être alimentaire des Algériens. Je signale au passage que la dette de la France sur le blé sera à l’origine, en 1827, du fameux «coup d’éventail» invoqué pour le débarquement de 1830. Enfin, au cours de la période coloniale, la principale exportation algérienne était le vin (60% des recettes d’exportation et les 2/3 du fret agricole), et accessoirement du blé dur, des moutons sur pied, de l’alfa, des agrumes et des légumes en primeurs (à coups de subventions). 8,5 millions d’hectares, c’est la valeur du patrimoine foncier agricole en Algérie, pourtant l’autosuffisance alimentaire reste un objectif jamais atteint. Comment concilier l’investissement pour réduire la facture de l’importation des produits alimentaires et la préservation du sol ? Le stock des terres disponibles qui conditionnent en partie la croissance agricole est réduit. Pour les terres cultivables, le ratio est de 0,20 hectare/habitant en 2017. Les contraintes liées au relief et conditions bioclimatiques limitent les potentialités agricoles. La sécheresse et l’aridité constituent une menace constante, même dans les régions humides où la moyenne annuelle des précipitations paraît élevée. Près de 70 % de la SAU céréalière est localisée dans des zones où il tombe moins de 450 mm d’eau par an, ce qui explique à la fois les faibles rendements moyens à l’hectare (7 à 15 quintaux à l’hectare selon les années) obtenus par les exploitations céréalières et le maintien de la jachère. Ces ressources naturelles du pays fort limitées contraignent à l’adoption de systèmes de culture extensifs dans les zones d’agriculture pluviale. Tous les rapports officiels d’experts notent aussi que le changement climatique va exacerber les facteurs de dégradation. Si vous entendez par autosuffisance alimentaire la capacité — ou la nécessité — pour le pays de produire tous les produits qui concourent à la satisfaction des besoins alimentaires de nos populations, autant vous dire qu’aucun pays, et encore moins le nôtre, n’est en mesure de garantir l’autosuffisance alimentaire. Même l’Union européenne qui exporte massivement des produits alimentaires n’est pas autosuffisante sur le plan alimentaire. En revanche, l’autosuffisance portant sur un certain nombre de produits stratégiques est une nécessité pour la sécurité alimentaire du pays. La facture alimentaire peut être réduite à l’avenir sur les productions de lait, de blé dur, mais aussi de légumes secs, de viandes rouges, de fruits et légumes. La balance commerciale agricole peut être améliorée par les exportations de dattes, de vins (filière en voie de disparition faisant de l’Algérie aujourd’hui un pays importateur net), et de quelques produits de niche et de qualité à haute valeur ajoutée... Comment concilier sécurité alimentaire et préservation de nos ressources naturelles ? Au risque de me répéter, je rappelle que le diagnostic porté sur l’état des ressources naturelles est sévère : les ressources naturelles dont dispose le pays sont rares et dégradées par des formes multiples d’érosion et de dégradation (désertification). Même si la politique des barrages a amélioré au cours de ces deux dernières décennies le potentiel mobilisable, l’eau est plus chère (coût élevé des forages et de l’exploitation), plus rare et plus salée. L’on assiste dans certaines régions à la disparition de l’artésianisme ou à des rabattements des aquifères car les prélèvements sont supérieurs au renouvellement. Le changement climatique en cours qui affecte sévèrement les régions agricoles est devenu un multiplicateur de menaces pour l’agriculture. Dans la définition de ses objectifs, l’Etat doit assurer une meilleure gestion environnementale et décliner dans le cadre des concessions de terres les règles écologiques et définir dans les cahiers des charges les mesures agro-environnementales et de protection des ressources confiées aux concessionnaires. Il faut impérativement réduire les pressions exercées sur la ressource terre et eau, réhabiliter les espaces naturels et dégradés et poursuivre la vaste entreprise d’aménagement des bassins versants visant à conserver les eaux et le sol. Les plans d’orientation agricole fondés sur les vocations naturelles des régions et des wilayas doivent identifier les mesures d’adaptation, de reconversion des cultures. Ils doivent enfin identifier les pratiques agricoles aptes à favoriser une résilience des agro-écosystèmes (robustesse des itinéraires techniques, choix des rotations et des variétés plus résistantes aux aléas climatiques…). La diversification des activités ou la reconversion des cultures au sein des exploitations au profit des productions de qualité permettraient de réduire les risques des aléas climatiques sur l’exploitation et d’atténuer les effets du changement climatique. Il y a eu ces derniers jours un début de polémique sur un mégaprojet agricole dans le sud du pays. Au-delà des avis des uns et des autres, pensez-vous que ce type de projet est la solution pour le secteur agricole ? Malgré la grande diversité des systèmes agricoles existant dans le pays, il y a convergence vers un modèle de grandes exploitations que l’on peut qualifier d’agro-industrielles jugées plus qualifiées pour assurer la croissance agricole et la sécurité alimentaire. sur le plan historique, ce choix a un précédent : la colonisation avait opté sous le régime de Napoléon III pour des concessions de dizaines de milliers d’ha attribués à des sociétés de capitaux (Compagnie Genevoise...). Je ne parle pas ici des grands domaines coloniaux qui se sont concentrés au cours de 132 ans d’occupation coloniale entre les mains de quelques familles de très grands colons. Ce choix pour des mégaprojets se fait au moment même où on l’on perçoit les signes d’une remise en question au Nord de ce modèle agrobusiness. Je rappelle, par ailleurs, que les restructurations des domaines socialistes étaient conduites sur des arguments contraires. L’on évoquait à cette époque la grande taille des exploitations comme raison du démantèlement : les domaines autogérés sont passés d’une taille moyenne de 1200 ha dans les années 60-70 à 800 ha en moyenne dans les années 1980, pour en arriver à des EAC de taille modeste (30 ha en sec)... L’on dénombrait un peu plus de 2000 exploitations publiques et plus de 30 000 EAC-EAI après la réforme de 1987. La réduction de la taille se justifiait selon les décideurs de l’époque par une célèbre formule que je garde encore en mémoire : «Créer des exploitations économiquement viables et humainement maîtrisables». Les choix faits aujourd’hui empruntent le chemin contraire, et cela sans que les décideurs, une fois de plus, ne justifient scientifiquement et objectivement les fondements d’une telle orientation. Sur quelles études et quelles analyses économiques les défenseurs de ce modèle s’appuient-ils pour en démontrer la viabilité dans notre pays ? Nous savons en revanche que ce modèle qui s’est déployé dans certains pays d’Europe occidentale a été fortement consommateur de ressources naturelles et destructeur en termes de paysannerie. Notons que la compétitivité de ce modèle n’est assurée dans notre pays que grâce aux soutiens publics (la terre et l’eau sont quasiment gratuites, l’énergie et des intrants subventionnés) et à une combinaison étroite entre financement privé et financement public. Ce modèle présente le risque majeur dans les zones steppiques de briser le consensus social établi sur la gestion par l’Etat des terres arch. Les groupements communautaires qui font usage de ces terres depuis des décennies sous la bienveillance de l’Etat voient chaque jour leurs espaces de parcours ou de culture se réduire au profit d’investisseurs privés nationaux ou étrangers. Ce modèle qui a été choisi il y a des années par le Plan Maroc Vert ou l’Egypte est aujourd’hui fortement contesté... La sécurité alimentaire est en effet loin d’être au rendez-vous dans ces pays et la paysannerie est abandonnée, quand elle ne vit pas dans des conditions misérables. Peut-on politiquement justifier cette vision de l’agriculture dans notre pays quand on sait les sacrifices de la paysannerie algérienne et les luttes consenties pour se libérer de la domination coloniale ? Les américains, comme les Chinois d’ailleurs, sont connus pour l’exploitation intensive des terres, l’utilisation à outrance de pesticides et de privilégier les OGM. Doit-on avoir peur pour la qualité des produits agricoles qui peuvent résulter de la «révolution verte» ? Je rappelle que la modification du patrimoine génétique des plantes ou des animaux est une pratique très ancienne (sélection génétique) et la maîtrise des phénomènes naturels par la science a participé historiquement à l’amélioration des productions agricoles dans le monde. Les biotechnologies ont contribué à l’amélioration des variétés, à celle de leur résistance aux agresseurs et à l’augmentation des rendements. La Révolution verte fondée sur l’usage d’un «paquet technique» (intrants et semences à fort potentiel génétique) issus des biotechnologies a favorisé la croissance agricole dans de nombreuses régions à climat tempéré. Mais avec les OGM, nous sommes sur un registre plus spécifique : celui de manipulations à une échelle inédite sur le vivant et aux conséquences non maîtrisées sur l’environnement, la santé des hommes, les agricultures et les économies locales. Face à des risques non maîtrisés, dans de nombreux pays c’est le principe de précaution qui est appliqué. Même lorsque les OGM sont utilisés, ceux-ci ont fait l’objet d’une réglementation préalable à leur mise en marche. Cette démarche signe la volonté des pouvoirs publics et des scientifiques d’exercer un contrôle et une évaluation sur leurs usages. Je ne sais pas si cette réglementation existe dans notre pays, et j’ignore si les centres scientifiques (INRA, ITGC, laboratoires des universités...) sont aujourd’hui associés aux décisions publiques relatives aux OGM. Ce dernier point me permet d’évoquer trois questions qui me paraissent essentielles. La première a trait au rôle de la recherche agronomique et à son statut actuel. Ce secteur est un point aveugle de la politique publique agricole. Les élites scientifiques nationales sont peu sollicitées, pour ne pas dire peu associées à la décision publique, alors que la sécurité alimentaire de l’Algérie dépend aussi de la recherche et de l’innovation, comme l’ont signalé dans une lettre ouverte au président de la République des professeurs de l’ENSA arbitrairement sanctionnés en février dernier (je veux parler des Prs Abdelguerfi, Issolah et Zermane). Les pouvoirs publics doivent reconsidérer leurs rapports avec les institutions de recherche, valoriser les recherches conduites sur ce thème et mobiliser davantage ces institutions afin d’éclairer scientifiquement leurs décisions. La deuxième question a trait à la conservation de nos ressources génétiques et de la biodiversité. Sous la pression des marchés et des lois du profit facile, nous assistons à une érosion lente et progressive de notre patrimoine génétique patiemment sélectionné et jalousement conservé par nos paysans dans les terroirs les plus reculés du pays. Il est temps d’en faire l’inventaire, d’organiser une banque de gènes (que tous les pays du voisinage ont constituée) afin de protéger la biodiversité et les savoir-faire locaux qui font partie de notre patrimoine culturel et de notre identité. C’est, selon moi, une priorité absolue avant que ce patrimoine ne disparaisse, nous rendant ainsi définitivement dépendants de firmes étrangères. Il faut que le public sache que le marché des semences — celui des hybrides et encore plus celui des OGM — est le monopole absolu de quelques firmes. Nous risquons d’y perdre notre souveraineté alimentaire si cela n’est pas fait. La troisième question concerne les conditions à réunir pour une révolution technique adaptée à nos régions. En d’autres termes, il y a nécessité d’orienter prioritairement les recherches sur des solutions à apporter à l’agriculture pluviale en zones arides et semi-arides. Il y a une voie possible entre, d’une part, un système productiviste et son paquet technique dont les impacts sociaux sur la santé humaine et environnementaux sont connus, et, d’autre part, la reconduction de méthodes archaïques. Des travaux sur le semis directs, l’amélioration de notre potentiel génétique animal et végétal, de techniques économes en pesticides et en engrais nuisibles aux sols et aux humains existent chez nous ; des initiatives sont prises dans le domaine du développement de l’agriculture biologique, des rassemblements scientifiques ont eu lieu sur les thèmes de l’intensification agro-écologique. Il s’agit d’appuyer ces recherches, de les valider et de les vulgariser dans les milieux paysans. Cette voie peut être une promesse pour nos paysans, pour la souveraineté alimentaire de notre pays et la gestion efficace de ressources financières en ces temps de baisse de nos recettes extérieures. Quel modèle agricole à suivre pour l’Algérie en ces temps où l’on parle de plus en plus de la nécessité de diversifier l’économie nationale ? Il faut certes produire plus, mais pas n’importe comment et avec quels agriculteurs ? Les petites et moyennes exploitations ? Les très grosses exploitations ? Qui va augmenter la production ? Cette question pose celle du modèle technique de référence, d’une part, et des formes sociales d’organisation de la production agricole, d’autre part. La question du modèle technique ayant été discutée plus haut, nous répondrons à celle ayant trait aux formes sociales à promouvoir. Ce sont les petits et moyens agriculteurs qui ont ou peuvent avoir un potentiel, qui doivent être promus moyennant de bonnes politiques d’investissement, de crédit, de formation et d’encadrement technique, etc. En tout cas, la question est là : à qui va-t-on donner les moyens de pouvoir répondre à ce défi qui existe ? Il est clair que l’on ne peut confier l’avenir de notre agriculture à un pôle capitaliste qui centre son activité sur le profit immédiat sans se soucier de préserver les ressources en sol ou en eau...Il y a émergence aujourd’hui dans notre pays d’une agriculture de progrès. Elle est conduite par des jeunes agriculteurs, instruits ou ayant acquis un savoir-faire, travaillant directement dans leurs exploitations et attachés au métier, mais qui ne bénéficient pas toujours de soutiens ou d’encadrement efficaces. J’ai eu l’occasion d’en rencontrer à Blida, Tipasa, Souk Ahras, Sétif, AïnTémouchent et ailleurs. Cette agriculture de progrès est aussi le fait des familles paysannes qui dominent les structures agricoles du pays : ces familles optimisent l’emploi disponible, réinvestissent une partie de leurs revenus propres, diversifient les productions en associant céréales et élevage, développent des cultures potagères et fruitières de qualité quand l’eau est disponible. Ces familles paysannes jouent un rôle primordial dans la couverture des besoins alimentaires des ménages et la sécurité alimentaire des territoires ruraux. L’agriculteur d’une exploitation familiale maîtrise et connaît le milieu naturel (connaissances transmises ou acquises par l’expérience), il est détenteur d’un savoir et d’un savoir-faire ; il préserve, quand les conditions sont réunies, la fertilité de ses terres car ayant une vision de long terme de son patrimoine foncier qu’il transmettra à ses descendants. C’est ce pôle de l’agriculture animé par de jeunes agriculteurs, ce pôle de l’agriculture familiale — engageant des centaines de milliers de paysans dont on ne parle plus dans les textes de politique agricole — qui est en attente d’une reconnaissance par l’Etat et d’une politique de soutien. Je suis personnellement surpris de constater l’absence du terme fellah ou de jeunes agriculteurs dans la matrice de politique agricole adoptée par nos décideurs. Les termes employées — acteurs de filière, professionnels agricoles, investisseurs, opérateurs du secteur... — sont un révélateur des options idéologiques ultralibérales qui inspirent cette matrice. Les sociétés de capitaux et autres groupes d’investisseurs ne sont pas des «gens de terre» et l’on ne peut construire une agriculture sans nos paysans et nos jeunes agriculteurs issus souvent des milieux ruraux et qui ambitionnent de servir l’agriculture. En définitive, un modèle de croissance agricole fondé sur une exploitation intensive des ressources en eau et en sol confié à un seul «pôle capitalistique» — et assignant des millions de paysans à survivre dans de petites exploitations — ne pourra, selon moi, ni faire face aux défis des changements climatiques, ni à celui de la protection des ressources naturelles largement dégradées, ni à celui de la sécurité alimentaire. Que pensez-vous de la politique de Renouveau agricole et rural visant à répartir la production agricole par filière et par région ? L’intensification et la diversification de la production agricole qui étaient déjà visées par le Plan national de développement agricole (PNDA) sont organisées autour du développement de filières de production prioritaires dont il faut reconnaître la nécessité — céréales, pomme de terre, lait, oléiculture, tomate industrielle, dattes, viandes rouges et viandes blanches. Des mesures de soutien public (subventions, prix à la production rémunérateurs, primes à la collecte...) ont permis l’émergence de filières territorialisées : le pôle laitier de Sétif, la pomme de terre de Oued Souf ou Aïn Defla, la pomme de Khenchela en sont un exemple… d’autres territoires s’organisent ; je pense pour l’exemple à Souk Ahras (autour du figuier de Barbarie), à Beni Maouche autour de la figue sèche, ailleurs autour de l’huile d’olive, des plantes aromatiques et médicinales… Je note au passage que ces pôles sont le fait de petits et moyens agriculteurs et éleveurs laitiers, de paysans sur des terroirs aux ressources modestes. La cartographie des bassins de production révélant l’émergence de nouvelles filières s’enrichit sur l’ensemble du territoire algérien et les perspectives sont prometteuses. Le développement de ces filières a toutefois fait surgir des problèmes d’organisation, de fonctionnement et de régulation. La mise sur le marché et les modes de commercialisation des produits constituent le maillon faible de ces filières en expansion. Il y a — à l’exception de quelques bassins de production — défaut d’outils collectifs de proximité – j’entends par là des coopératives de services, d’utilisation de matériel, de commercialisation... — leur permettant à la fois de réaliser les économies d’échelle et de mieux s’insérer dans la chaîne de valeur. Que ce soit la petite agriculture où celle qui est plus intensive, il s’agit de construire de nouvelles relations pour organiser et maîtriser les marchés agricoles, autant à l’amont (intrants, matériel, facteurs de production), qu’en aval de la production. Dans ce cadre, il est temps aujourd’hui de développer le système coopératif qui a, dans beaucoup de pays, favorisé l’équilibre des territoires et la saturation des marchés intérieurs. Ces filières territorialisés en développement sont aussi en attente d’infrastructures logistiques (chaîne de froid, stockage, transport, conditionnement, transformation...). Les bassins de production qui se développent dans les nouvelles régions agricoles doivent bénéficier en priorité d’investissements structurants que l’Etat peut favoriser.


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