Situation des Ahmadis

la loi algérienne muette sur les notions de « secte » et de « minorités » religieuses



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L’interpellation en série des adeptes d’Al Ahmadiyya, mouvement messianiste créé par le Pakistanais Mirza Ghulam Ahmad, relance le débat sur le contrôle de la pratique religieuse en Algérie.

Mohamed Aissa, ministre des Affaires religieuses, a beaucoup communiqué sur cette affaire. Il a qualifié Al Ahmadiyya de secte « qui se situe en dehors de l’islam ». « Les principes sur lesquels se base cette secte ne sont pas des principes islamiques. On veut que les musulmans sachent que l’appartenance à Al Ahmaddiya est une appartenance à un cercle non musulman », a-t-il déclaré le 23 février 2017.

Le ministre des Affaires religieuses a rappelé que des lois algériennes évoquent la pratique du culte non-musulman et « imposent un certain nombre de règles ». L’émergence des adeptes des Eglises évangéliques protestantes en Algérie avait en effet conduit le gouvernement à adopter l’ordonnance 06/03 du 28 février 2006 sur les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulman.

La conversion interdite

Cette ordonnance a précisé que l’exercice collectif du culte doit être organisé par des associations à caractère religieux dont la création, l’agrément et le fonctionnement sont soumis à la loi. Elle a également précisé que l’exercice collectif du culte doit se faire dans des édifices destinés à cet effet, « ouverts au public et identifiables de l’extérieur ». « Les manifestations religieuses ont lieu dans des édifices, elles sont publiques et soumises à une déclaration préalable », est-il encore stipulé dans l’article 8.

L’ordonnance a prévu des amendes et des peines de prison pour ceux qui convertissent les musulmans à une autre religion en utilisant des moyens financiers et en fabriquant et distribuant des documents ou des moyens audiovisuels.

Aujourd’hui, les autorités justifient les arrestations et les poursuites judiciaires engagées contre les Ahmadis par ces dispositions légales. Al Ahmaddiya ne s’est pas constituée en association et pratique le culte dans des endroits non identifiés et sans déclaration. Mais le problème est que les Ahmadis se considèrent comme étant des musulmans et donc non concernés par l’ordonnance 06/03.

Secte ou minorité religieuse ?

Ce qui n’est pas l’avis des autorités. Pour justifier les arrestations et les poursuites, Mohamed Aissa a utilisé le qualificatif de « secte » pour qualifier les Ahmadis. Or, la loi algérienne reste muette sur la définition de secte qu’elle soit religieuse, philosophique ou autre.

À l’étranger, la plupart des pays ont une liste de mouvements qu’ils considèrent comme des sectes.  Ces mouvements sont soit interdits soit soumis à des contrôles très strictes. Mais l’Algérie ne possède pas une telle liste. Cette absence de référence juridique claire affaiblit les arguments des autorités.

En fait, les poursuites engagées contre les Ahmadis semblent obéir à des considérations sécuritaires. Mais le silence des services de sécurité sur cette affaire a alimenté les questionnements à l’extérieur du pays. Les Ahmadis apparaissent comme une minorité persécutée pour ses convictions religieuses. Mais comme la secte, « la minorité religieuse » est une autre notion non définie dans la législation algérienne.

Vide juridique

Le vide juridique fait qu’officiellement les Ahmadis ne sont pas « une minorité religieuse ». Chose qui est perçue différemment à l’étranger.

Au-delà du fonds religieux de l’affaire, le dossier des Ahmadis impose à l’État algérien une révision de l’arsenal juridique. Faute d’assise légale claire et respectueuse de la liberté du culte, les actions de l’État contre les Ahmadis peuvent ressembler à de la persécution. Les interpellations et les campagnes parfois haineuses sur les réseaux sociaux et dans certains médias risquent de compliquer les choses.

L’Algérie a beaucoup souffert de l’instrumentalisation de la religion. Elle a le droit, comme les autres États, d’organiser la pratique religieuse et d’éviter que les campagnes de prosélytisme évoluent en opérations de déstabilisation politique et sociale, comme le sous-entend le discours officiel. Mais le respect des libertés individuelles et collectives doit être la règle.

C’est d’ailleurs ce qui est écrit dans l’ordonnance 06/03 qui précise que l’État garantit le libre exercice du culte dans le respect des dispositions de la Constitution, « de la présente ordonnance, des lois et règlements en vigueur, de l’ordre public, des bonnes mœurs et des droits et libertés fondamentaux des tiers ».

L’instrumentalisation de la religion dans les années 1990 a créé une situation de chaos en Algérie, a facilité l’émergence d’organisations terroristes et a failli emporter l’État national. Ce traumatisme fait qu’aujourd’hui, les pouvoirs publics perçoivent les pratiques religieuses, éloignées des référents sunnites modérés, comme douteuses ou porteuses de périls.

Une perception qui risque d’ouvrir la voie aux dérives en absence de garde-fous juridiques et de débats libres sur cette question. Le développement de la culture de la tolérance et du vivre ensemble au sein de la société peut être aussi un rempart solide contre tous les dangers qu’ils soient portés par des convictions religieuses, politiques ou culturelles.


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