« Les extrémistes islamistes et la mafia du patrimoine ont pactisé pour le pillage des œuvres archéologiques »



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Mounir Bouchenaki, ex-directeur de la division du patrimoine culturel à l’Unesco et conseiller spécial auprès du directeur du Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels (ICCROM), a présenté, lundi 20 mars au Palais de la culture Moufdi Zakaria à Alger, son nouvel ouvrage intitulé « Patrimoines mutilés, ces trésors de l’Humanité défigurés par la folie des hommes », paru aux éditions Erick Bonnier à Paris. Il a animé sa première conférence-débat autour d’un ouvrage qui détaille les attaques contre les vestiges et le patrimoine culturels en Afghanistan, en Syrie, en Irak, au Yémen, au Liban, au Cambodge, en Bosnie, au Mali et en Libye. Il a notamment parlé des sites de Palmyre en Syrie et Nimroud en Irak, partiellement détruits par Daech.

« Patrimoines mutilés, ces trésors de l’Humanité défigurés par la folie des hommes » est votre cinquième ouvrage. Quels sont les thèmes que vous abordez dans cet ouvrage ?

Cet ouvrage est le fruit de mon expérience personnelle au sein de l’Unesco depuis 1982 notamment au sein du Centre régional arabe pour le patrimoine mondial qui est établi au Bahreïn (directeur de 2013 à 2016). Après la deuxième guerre mondiale, des crises portant des projets idéologiques de destruction de l’identité, de l’Histoire et de la mémoire des pays sont apparues. Ce qui est dangereux parce que la principale composante d’un groupe d’humains, d’une nation ou d’un pays est la mémoire. Une mémoire qui a un rapport avec l’Histoire et avec la civilisation. Aujourd’hui, les conflits internes ciblent autant les populations civiles que les sites historiques. C’est une catastrophe culturelle. Mais, il y a de l’espoir, puisque nous pouvons rattraper les choses.

L’Unesco et l’ONU m’ont demandé de présenter des exemples vivants et non des théories sur ces crises et sur le patrimoine mutilé. Je devais expliquer comment avons-nous tenté de trouver des solutions. Des solutions qui sont différentes d’un pays à un autre. Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, a pris plusieurs mesures et a porté ce dossier au plus haut niveau à l’ONU. Aussi, le Conseil de sécurité a adopté plusieurs résolutions sur l’Irak et la Syrie. Une résolution a été consacrée au pillage du patrimoine. Le prochain G7 va aborder également cette question ainsi que celle de la protection du patrimoine ayant déjà subi des attaques.

Quelles sont les solutions que vous préconisez ?

D’abord, il s’agit de retourner à la base juridique. Ensuite, il faut élaborer un répertoire complet en usant d’instruments modernes pour avoir une idée précise de la situation sur le patrimoine de la guerre et avoir une base de données. Il s’agit de constituer des groupes de travail pour revisiter les sites et monuments qui ont été « libérés » de la présence des radicaux comme à Palmyre et Qasr El Hosn (Syrie) et Nimroud (Irak). Ces endroits sont sous le contrôle de l’État. Les directions chargées du patrimoine et des musées de ces pays coordonnent leurs actions avec l’Unesco.

Nous avons travaillé sur le sujet ces dernières semaines et avons adopté des recommandations remises aux responsables locaux. Des responsables qui doivent élaborer une stratégie de reconstruction et de restauration. Par exemple, il est indispensable de faire un balisage du site de Palmyre pour pouvoir y mener des opérations de restauration. Pour Alep, une ville entièrement détruite, l’intervention exige l’établissement d’une liste de priorités. Souvent, nous préconisons de faire des études avec les responsables et les experts locaux en collaboration avec les spécialistes étrangers en vue d’établir un plan d’action détaillé doté d’un budget. Ce genre d’actions exige des moyens humains et financiers. L’UNnesco fait souvent appel à des bailleurs de fonds parmi les États et parmi les particuliers pour réparer le patrimoine mutilé. La mutilation a changé beaucoup de donnée, nous sommes obligés de s’adapter

En Italie, une force a été créée pour protéger le patrimoine culturel et civilisationnel. Est-il possible de créer une force similaire en Algérie?

Quand j’étais directeur de l’ICCROM, organisation créée par l’Unesco depuis plus de cinquante ans pour la conservation du patrimoine, je suis allé en Italie où j’ai réuni l’ambassadeur d’Algérie à Rome, le général responsable de l’armée en charge de la protection du patrimoine et le secrétaire général du ministère italien de la Culture. L’idée était d’étudier la possibilité de former une force algérienne à la protection et à la préservation du patrimoine. Nous souffrons actuellement du pillage des œuvres d’art et des pièces de patrimoine en Algérie.

Quelles sont vos axes stratégiques pour protéger le patrimoine culturel dans la région arabe où les attaques sont plus nombreuses ?

La première chose est d’élever le niveau de conscience. Nous regrettons beaucoup que des jeunes rejoignent des groupes extrémistes, commettent des attentats suicides et font des destructions. L’Unesco a engagé des discussions avec des organisations en charge des questions de l’éducation comme l’Alesco.

L’Alesco (Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences) m’a demandé de participer à des campagnes de sensibilisation des jeunes sur la question du patrimoine. Ensuite, nous voulons mieux faire connaître ce patrimoine et expliquer son importance en s’appuyant sur tous les moyens modernes. Nous tentons de tirer profit de l’opération que nous avons menée au Liban après la guerre civile.

Le Musée national de Beyrouth a subi beaucoup de dégâts. Nous avons préparé un plan de travail en formant des cadres locaux et en ouvrant un laboratoire spécialisé en restauration. Le musée a été reconstruit et ouvert au public. Mais, cela nous a pris plusieurs années. Même chose en Bosnie Herzégovine. Dans ce pays, le musée a été détruit et la bibliothèque nationale brûlée (durant les années 1990).

Des musées de Bagdad, de Tripoli, de Alep, de Homs, de Sana’a, du Caire ont subi des opérations de vol et de pillage lors des soulèvements populaires ou au cours des conflits. Est-il possible pour l’Unesco de restituer les pièces volées à leurs pays d’origine ?

L’Unesco s’appuie sur le droit international et agit dans le cadre de la convention internationale de 1970. À partir de là, nous collaborons avec les organisations de police. C’est la police qui a la mission de rechercher les pilleurs. Nous travaillons avec Interpol qui est basée à Lyon, en France, et qui a des bureaux dans tous les pays. Lorsqu’un conflit éclate et que le patrimoine est en péril, l’Unesco alerte les pays voisins sur les possibilités de contrebande des pièces de patrimoine à travers les frontières. Nous avons constaté que les frontières entre la Syrie et la Turquie et la Syrie et le Liban sont des points de passage. Les extrémistes islamistes et la mafia du patrimoine ont pactisé pour le pillage et la vente des œuvres archéologiques.

Existe-t-il des pays qui couvrent le pillage des œuvres ?

Non. Dans ce domaine, il y a une unanimité pour la lutte contre le vol. Certains États n’étaient pas signataires de la convention 1970. Donc, ils n’avaient pas d’obligations légales. Aujourd’hui, la plupart des pays, en Occident notamment, ont signé cette convention. Ils appliquent ses principes.

Des critiques ont été exprimées en Algérie sur l’organisation de festivals et de manifestations culturelles sur des sites historiques comme à Timgad ou Djemila. Qu’en pense l’Unesco ?

Nous avons toujours exprimé des réserves sur l’utilisation des sites historiques pour l’organisation de concerts ou de toute manifestation qui peut porter atteinte à ces endroits. Nous devons nous inspirer de l’expérience des autres pays qui organisent des événements dans des espaces historiques mais en prenant toutes les précautions nécessaires pour préserver le patrimoine et pour organiser les visites. Nous devons protéger notre patrimoine culturel.

Les sites de Djemila, de Timgad, de Qula’a Banu Hamad et Ouad M’zab sont enregistrés au patrimoine mondial de l’Unesco. Une nouvelle étude sera menée après cet enregistrement avec la visite des experts de l’Icomos (Centre international des monuments et des sites historiques, ONG). L’Icomos, qui se déplace à la demande des États et de l’Unesco, élabore un rapport détaillé sur les sites visités.


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