«La baisse des recettes pétrolières a asséché le système bancaire»



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Docteur en économie, Abdelrahmi Bessaha a enseigné à l’université d‘Alger avant de devenir expert au Fonds monétaire international (FMI) depuis près de trente ans. Spécialiste de la macroéconomie, il s’occupe au FMI des pays post-conflits et est consulté par divers gouvernements dans le monde (Afghanistan, Haïti, Soudan, etc.). Fin observateur de la scène économique nationale et de par sa connaissance précise de l’état de notre économie et des projets sur lesquels travaille le gouvernement afin de trouver une réponse à la crise financière que vit l’Algérie depuis la chute brutale des cours de pétrole, il préconise l’orthodoxie des «ajustements budgétaires» et incite à faire face à la crise sur le moyen terme. Le pays traverse une situation économique difficile. Une baisse drastique des revenus, des niveaux de dépense paradoxalement toujours plus élevés et le risque que la crise perdure. Quelle en est votre appréciation ? Il est vrai que le choc pétrolier en 2014 n’a pas bénéficié un certain nombre de mesures correctives. Dans la mesure où l’analyse qui en a été faite c’est que le retournement du marché pétrolier allait être temporaire. Dans ces conditions, nous avons terminé l’année 2014 et l’année 2015 dans le rouge, puisque les indicateurs économiques se sont détériorés. Je voudrais citer quelques indicateurs. La croissance a baissé à 3%, l’inflation a augmenté de 2,9 à 6,8% et, plus grave encore, le déficit budgétaire est passé de 8 à 16%, tandis que le déficit de la balance du compte courant a également quadruplé puisqu’il est passé de 4% à 16%. Je pense que la crise a été une surprise pour nos responsables qui ont pris quand même un certain nombre de mesures qui ne s’inscrivaient pas dans un plan d’ensemble. Quelles sont, selon vous, les mesures d’urgence à mettre en place (même si le proverbe dit que quand il y a urgence c’est déjà trop tard) en vue d’enrayer les effets de cette crise qui n’est au juste qu’à ses débuts ? La nouveauté, c’est que les autorités ont mis au point en 2016 une stratégie de consolidation budgétaire. Celle-ci visera à faire passer le déficit de 14% en 2016 à un surplus de 1% en 2022. C’est une stratégie extrêmement ambitieuse qui va être axée sur une réduction des dépenses qui doivent passer de 43,5% du PIB à 29% du PIB. Donc, c’est un effort considérable. Au niveau de ces dépenses, il va falloir regarder bien entendu les dépenses de transfert (les subventions), mais aussi des dépenses en capital dont il faut renforcer la capacité. Cela marque une rupture par rapport à 2014-2015 puisqu’au cours de cette période seule la politique du taux de change a été actionnée (on a laissé glisser ce taux de plus de 32%). Mais est-ce que ce plan que vous décrivez et qui n’est pas encore assumé officiellement est suffisant pour juguler la crise qui semble pourtant, vous en conviendrez, assez sérieuse pour la considérer avec légèreté ? Je crois que la réponse à la crise doit se faire à trois niveaux. Premièrement, la réponse macroéconomique, mais ce n’est pas suffisant. La stabilité macroéconomique pour assurer les conditions de la croissance, d’où le second pendant de la stratégie (les mesures structurelles) qui visent à créer une offre complémentaire. Et le troisième facteur, ce sont les politiques sectorielles qui permettront de relancer l’appareil productif dans les secteurs prioritaires définis par les autorités. L’important est que la stratégie soit appliquée de manière régulière parce que les politiques du stop and go ne sont pas efficaces et s’avèrent néfastes. Il faut également s’assurer que l’ajustement ne soit pas brutal. Un certain équilibre entre l’ajustement macroéconomique et la relance de l’activité s’impose. Nous savons tous qu’en Algérie l’activité est générée par la commande publique. D’ailleurs, vous constaterez qu’en 2016, la croissance a reculé de 3,8 à 3,5% du PIB sous l’effet de deux facteurs : la baisse des dépenses dans les secteurs hors pétrole compensée par le renouveau de l’activité pétrolière (découverte de nouveaux champs et retour à la production d’In Amenas). Cette croissance se situe en contraste par rapport à celle qu’on avait dans le passé : une production pétrolière en baisse et une montée des activités hors pétrole. Avec une baisse des dépenses consentie l’année dernière, notamment dans le registre de l’équipement, un niveau d’inflation élevé, et des recettes ordinaires qui n’arrivent pas à compenser le manque à gagner de la fiscalité des hydrocarbures, l’équation budgétaire devient plus compliquée et la marge de manœuvre du gouvernement s’en trouve forcément plus réduite. Encore une fois, la crise va cibler les catégories les plus faibles de la société... Il faut faire face à la crise sur le moyen terme. Et c’est à ce niveau que les politiques mises en œuvre doivent être articulées. D’abord au niveau macroéconomique, il faut regarder les marges de manœuvre. Nous avons déjà utilisé l’arme du taux de change. C’est une réponse naturelle à la baisse des recettes publiques. L’autre élément qui n’a pas été mis en place et qui est aujourd’hui très important, c’est la politique budgétaire. Celle-ci est expansionniste, il faut la resserrer, mais pas de façon brutale. La réduction du déficit va se jouer sur les deux panneaux, les recettes et les dépenses. S’agissant des recettes, je crois qu’il n’y a pas de marge de manœuvre. Il faut bien entendu lutter contre la fraude fiscale. Au niveau des dépenses, par contre, il ne s’agit pas de couper pour couper, mais d’étaler la rationalisation des dépenses sur les cinq prochaines années, ciblant des dépenses qui ne se justifient pas socialement. Il y a des subventions qu’il va falloir gérer et expliquer la démarche à la population. L’ajustement budgétaire ne doit pas étouffer la croissance, car la dépense publique est un moteur de la croissance, notamment dans le BTP. Le débat sur le maintien du niveau actuel des subventions est déjà posé, même si le gouvernement a du mal à l’assumer frontalement en raison des soubresauts politiques et sociaux qu’il risque de susciter. Le régime, dont la devise depuis quelques années est de discourir pompeusement sur «la stabilité», ne peut se permettre de scier la branche sur laquelle il est assis en prenant des mesures antisociales... Est-ce que qu’il faut éliminer toutes les subventions ? Non. Le pays doit cibler un certain nombre de produits fondamentaux qu’il faut soutenir. Pour le reste, il va falloir éliminer progressivement la subvention. Lesquels, par exemple ? Le carburant ! Un véhicule est un produit de luxe, il n’y a pas de raison de faire payer le carburant à des prix qui sont dérisoires par rapport à ceux pratiqués sur le plan international. Ce sont là quand même des choix politiques risqués. Et la baisse des dépenses touchera certainement les budgets de la santé, de l’éducation, etc. Je crois que la population comprend que face à la crise, il est normal que le pays s’ajuste aux nouvelles conditions, mais de façon ordonnée. Le volet social est important pour protéger les couches les plus défavorisées. Mais face à cela, il est clair que notre modèle économique est basé sur le prix du baril de pétrole à 50 dollars et non à 100. N’y a-t-il donc absolument pas d’autres solutions moins coûteuses … ? Quid de l’informel et de la collecte de l’impôt et de la prospection de nouvelles sources de croissance ? Au niveau des recettes, il faut voir quelles sont les marges de manœuvre. Il y a effectivement un problème de recouvrement. Il est clair que le rôle de l’administration fiscale et douanière doit être renforcé. Mais avec toute la volonté affichée du gouvernement de réduire les importations, la facture reste presque toujours la même en dépit de la manipulation du taux de change... Les effets des politiques ne sont pas immédiats. Votre optimisme est franchement déconcertant... Disons que je suis mesuré. Je crois que maintenant il y a une bonne réponse au problème qui s’est posé. Le choc a été très difficile. Sur le plan macro, il y a une réponse coordonnée, alors que sur le plan structurel, il existe une volonté d’aller de l’avant. Mais il est important de communiquer ces politiques à la population, parce que sans son adhésion aucune politique ne peut réussir. Ne croyez-vous pas qu’il y a plus que jamais nécessité aujourd’hui d’un débat entre économistes sur la manière dont il faut appréhender la problématique de l’économie algérienne, et ce, d’autant que la crise, qui ne fait que commencer, risque de faire apparaître à l’avenir des difficultés supplémentaires jusque-là insoupçonnées. Les solutions de type libéral que vous préconisez sont-elles donc fatalement la seule voie possible ? Je crois qu’il y a actuellement un seul modèle, c’est celui de la gestion des ressources publiques qui sont rares. Aujourd’hui, il y a un consensus sur la gestion des ressources publiques de façon rationnelle. Je ne crois pas personnellement à la toute puissance du marché, comme je ne crois à la toute puissance de l’économie publique. Je pense que chaque pays doit trouver son équilibre dans les deux systèmes. Le sujet de l’endettement extérieur évoque de mauvais souvenirs aux Algériens qui se rappellent bien l’expérience douloureuse des années 1980 et 1990. Le risque existe-t-il aujourd’hui d’un retour à l’endettement ? Il n’y a pas de risque en Algérie. Le niveau actuel est extrêmement bas, l’Algérie ayant payé toutes ses dettes dans les années 2000. Par contre, le problème se pose en termes de capacité de gestion de cet endettement. Avons-nous besoin d’endettement aujourd’hui ? Nous avons des ressources intérieures que nous pouvons utiliser. Mais si nous voulons un développement accéléré, à un moment ou à un autre se posera le problème de l’accès à ces ressources. Pourquoi se priver d’une épargne mondiale, si nous pouvons y avoir accès ? A condition de la maintenir dans des limites gérables pour le pays et que cette épargne soit utilisée dans des projets productifs. Je voudrais rappeler à vos lecteurs qu’aucun pays au monde ne s’est développé sur la base uniquement de ses propres ressources. Le système bancaire subit de plein fouet les retombées de la chute des prix du pétrole. La place d’Alger connaît une situation de manque de liquidités... C’est vrai que la baisse des recettes pétrolières a asséché le système bancaire. Cela devra poser le problème de la redynamisation de la place bancaire dans la collecte des ressources et leur placement dans les investissements productifs. Les banques algériennes devront jouer un rôle beaucoup plus actif. Ce qui suppose au niveau de la Banque centrale de revisiter ses outils de financement en passant d’une politique d’accès à l’escompte à une politique d’open market. En ce qui concerne le budget, la réduction progressive du déficit pour atteindre un surplus de 1% en 2022 est importante. Le financement du déficit a d’abord été assuré par le Fonds de régulation des recettes durant les premières années et par le recours aux ressources bancaires. Un déficit se finance soit par le recours à des ressources bancaires locales, soit à des ressources non bancaires, soit à l’endettement extérieur, soit encore à l’accumulation d’arriérés, soit par le recours à un financement exceptionnel. Il y a, dans le cas de l’Algérie, la structure d’un financement pointé en direction d’un financement monétaire. Mais il faut être absolument vigilant parce que ce sont autant de ressources qui ne seront pas mises  à la disposition du secteur privé. Et comment serait-il possible, au final, de concilier l’objectif de la contraction de la dépense publique avec celui de la croissance ? Tout le problème est là, n’est-ce pas ? C’est un exercice qui n’est pas facile à établir. D’où la nécessité de bien cibler les dépenses qu’il va falloir rationaliser, simplifier ou réduire. La réduction doit s’étaler dans le temps de façon à permettre de rationaliser les dépenses pour créer les conditions d’investissement pour créer d’autres activités. C’est une dynamique qu’il va falloir entretenir et réguler de façon permanente.   


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