Ouyahia, « l’homme du sale boulot », de retour au Palais du gouvernement



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Avec son nouveau retour à la tête du gouvernement, Ahmed Ouyahia démontre qu’il a fini par devenir un élément essentiel de la galaxie Bouteflika où il a été longtemps observé avec la plus grande suspicion. Ce n’est pas un secret, le chef de l’État a toujours nourri une méfiance à l’égard de cette figure incontournable de la scène politique qui a servi avec le plus grand dévouement son prédécesseur Liamine Zeroual et à qui l’on a prêté de solides liens avec les anciens chefs du DRS.

Une thérapie de choc pour l’économie

Avec le président Bouteflika, Ahmed Ouyahia a connu les délices des sommets mais aussi l’amertume de la disgrâce qui s’est traduite par des frémissements de rébellion dans les rangs du RND quand il fut congédié du poste de ministre de la Justice. Mais l’enfant de Bouadnane et d’El Madania est familier des palais de la République qu’il avait commencé à fréquenter avec l’accomplissement de son Service national à El-Mouradia. Il en a appris les codes et cette expérience doublée d’une capacité de travail que même ses pourfendeurs ne contestent pas, lui ont toujours permis de retrouver la lumière quand on l’a cru irréversiblement voué à l’obscurité d’une fin de carrière  peu glorieuse .

Le revoilà donc à l’avenue Saâdane où il était arrivé pour la première fois en décembre 1995, désigné par le président Zeroual dont il était déjà le Directeur de cabinet. Il y passera les trois pires années que l’Algérie a connues après son indépendance, confrontée à une double crise sécuritaire et économique. Il fallait d’une part faire face à la folie du GIA, lancée dans une opération d’épuration après avoir été désavouée par la population qui n’a pas suivi son appel à boycotter les élections. Et de l’autre, mettre en œuvre la thérapie de choc du FMI imposée au pays qui s’est retrouvé en cessation de paiement avec un prix du pétrole tombé à 10 dollars le baril. La mission était extrêmement ardue parce que les cohortes des personnels « compressés » risquaient en partie de rallier les rangs des terroristes pour venger leur licenciement.

Sans avoir affiché de doctrine économique particulière, Ouyahia se révélera à l’œuvre comme un libéral. Ce fut le temps des usines fermées, des grandes surfaces liquidées pour ouvrir une voie de plus en plus large  aux importateurs privés, des salaires ponctionnés pour une solidarité imposée et des premières entreprises privatisées. Ouyahia restera comme l’homme qui a mis à bas la citadelle de l’économie administrée mais qui affichera dix ans après des convictions de dirigiste quand les finances se sont redressées.

Opération « mains propres »

Pour conquérir l’opinion, Ouyahia avait lancé une opération « mains propres » qui se révélera particulièrement mal ciblée, conduisant à l’emprisonnement injustifiée de nombreux cadres d’entreprises publiques. Lesquelles se sont retrouvées subséquemment fragilisées. À l’image de Sider, fleuron de l’industrie, cédé aux Indiens.

À son premier passage à Saâdane, Ouyahia avait dû prendre la tête de la riposte contre la croisade anti-algérienne du « qui tue qui ».  C’était la période où  les massacres de masse, revendiquées par le GIA, avaient diffusé la terreur dans tous les coins du pays. L’Algérie se souviendra d’ailleurs dans quelques jours de la tuerie de Raïs (plus de 600 morts), suivie de celles de Sidi Youssef, Bentalha, Had Chkala, Ramka… Interrogé alors par les députés sur ces massacres, M. Ouyahia en avait nié l’ampleur, en attribuant l’amplification à ceux qu’il accusait de vouloir une intervention étrangère en Algérie. Reconnaître cette ampleur aurait signifié « emboucher les trompettes de la défaite » face au terrorisme, expliquera-t-il dix ans plus tard.

À la tête du gouvernement, il se verra reprocher une fraude électorale massive qui avait doté le nouveau-né RND d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale. Il s’agissait des premières législatives pluralistes après celles avortées de 1991. Le RND, parti de l’administration, fut érigé en première force politique du pays au détriment notamment du FLN, puni pour ses errements dans l’opposition sous la direction de feu Abdelhamid Mehri.

« L’homme du sale boulot »

Quand le quadra dut rendre son poste après la décision de Liamine Zeroual d’écourter son mandat il assumera sans ciller son bilan. Dans un discours mémorable, il n’avait pas hésité à se présenter comme « l’homme du sale boulot ». L’expression destinée à rendre compte de la difficulté de sa mission lui sera tout le temps retournée par ceux qui le présentent comme un commis de l’État sans convictions et sans états d’âme.

Il se montrera d’ailleurs comme un serviteur aussi dévoué de M. Bouteflika qui manquera pourtant souvent de courtoisie à l’égard de Liamine Zeroual.  Malgré ce dévouement et le placement du RND au service du nouveau chef de l’État, celui-ci ne cachera pas sa méfiance à l’égard de la figure la plus connue de la classe politique ayant grandi après l’indépendance. D’autant qu’on prête aussi à Ahmed Ouyahia des ambitions présidentielles qu’il n’a jamais ostensiblement affichées, sachant ce que cela peut lui coûter.

Sans jamais se retrouver dans le premier cercle du Président, le chef du RND a su se rendre utile puis indispensable. En tout cas, il n’aura pas connu l’enfer réservé à Benbitour, Benflis, Belkhadem et maintenant Tebboune. À coup sûr, la carrière politique de Si-Ahmed ne s’arrêtera pas à 65 ans. On peut bien penser que le poste de PM est un barrage sur le chemin d’El-Mouradia. Ce n’est pas tout à fait à raison, tant l’homme incarne parfaitement le système en place qui appréciera toujours sa disponibilité.


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