L’économie algérienne en état d’instabilité chronique



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Sans vision stratégique, l’économie algérienne navigue à vue. Elle avait fondé ses espoirs sur le nouveau modèle économique que l’ex-Premier ministre avait promis de rendre public dans le courant du mois d’avril 2016, mais, à son départ en mars 2017, rien d’essentiel n’a filtré de ce document tant attendu mais dont on ne parle plus aujourd’hui. Les Premiers ministres qui lui ont succédé, Abdelmadjid Tebboune et Ahmed Ouyahia, n’utilisent plus la même rhétorique, préférant parler de plans d’action du gouvernement englobant diverses mesures de redressement à prendre, parmi lesquelles celles visant à donner de la clarté et une nouvelle dynamique à une économie qui n’arrive pas à trouver ses marques. Concocté en vase clos, comme l’avait fait son prédécesseur, le plan d’action du gouvernement Ouyahia a été endossé, mercredi dernier, par le Conseil des ministres présidé par Abdelaziz Bouteflika, avant d’être soumis pour la forme au Parlement qui l’adoptera sans difficulté, parce que, dit-on d’avance, ce plan est largement inspiré du programme électoral du président de la République. Si quelques mesures phares ont été d’ores et déjà évoquées (réforme de la loi sur la monnaie et le crédit devant permettre le recours à la planche à billets, limitation des importations, rationalisation des dépenses publiques, poursuite des programmes sociaux, implication du privé dans les investissements publics, privatisation de certaines EPE, etc.), on ignore pratiquement tout des modes opératoires qui seront mis en œuvre pour les concrétiser. La réalisation d’un tel programme sera d’autant plus difficile à effectuer que la conjoncture politique, marquée par la maladie du chef de l’Etat et une agitation politique et sociale qui monte crescendo à l’aune d’une rentrée qui risque d’être mouvementée, n’est pas favorable à ce genre d’exercice. Le pouvoir aurait pourtant eu tout à gagner de ce plan d’action s’il avait pris la peine de le concevoir en concertation avec les partis politiques, les syndicats ouvriers et patronaux et la société civile en général. Nos gouvernants n’ont malheureusement rien changé à leur habitude, qui consiste à confier la rédaction de leurs programmes d’action à des fonctionnaires, avec l’idée d’user de leur autorité pour les faire appliquer, oubliant que la politique du «ça passe ou ça casse» ne fait plus recette depuis que l’économie algérienne s’est connectée de fait à l’économie mondiale. Manque de visibilité Ces programmes d’action, qui auraient pu susciter l’espoir, dresser un cap clair et dissiper la méfiance sont, de ce fait, perçus par les acteurs concernés comme de simples déclarations d’intention rarement suivies d’effets. Et on peut les comprendre ! Il y a en effet des questions essentielles que tout entrepreneur et, notamment, les promoteurs d’investissements, se posent immanquablement quand il s’agit d’investir ou de gérer du mieux possible leurs affaires, et, la plus importante d’entre elles, concerne précisément la visibilité économique. Et à l’évidence, cette attente primordiale fait cruellement défaut dans notre pays. La législation des affaires y est en effet est incomplète, souvent contradictoire et parfois même sujette à des changements brutaux ou à des interprétations erronées. Le principe universel de la non-rétroactivité de la loi est souvent ignoré, ou expressément bafoué par les pouvoirs publics, causant d’énormes pertes aux entreprises (cas de l’imposition en 2009 du credoc comme unique mode de paiements des importations, qui avait causé la faillite d’environ 80000 entreprises et celui plus récent du blocage de marchandises légalement importées dans les ports suite à une directive du ministère du Commerce). Aucune des stratégies économiques proposées par pratiquement tous les chefs de gouvernement et Premiers ministres qui se sont succédé, n’a réussi à impulser les réformes qui s’imposent, l’Algérie n’a jamais pu avoir une politique à moyen et long termes à la mesure des enjeux économiques et sociétaux. De ce fait, son économie continue aujourd’hui encore à voguer sans cap. De surcroît sans pilote, depuis que le président de la République est souffrant, l’économie algérienne se déploie au gré de l’humeur du chef de l’Etat, des tempéraments des Premiers ministres et des lois de finances annuelles et complémentaires rédigées selon les nécessités conjoncturelles. A cette absence de visibilité économique, il faut ajouter les réactions souvent versatiles des autorités publiques nationales et locales qui se comportent en potentats, la concurrence déloyale exercée par le marché informel, et, plus globalement, le climat des affaires peu motivant, auquel les autorités politiques algériennes n’ont jamais pu, ou voulu, remédier.   Défaillance de la gouvernance globale La rareté des Conseils des ministres consacrés aux grandes préoccupations de la société (emploi, formation, démographie, investissement, etc.) et le mutisme du gouvernement sur la question centrale de l’orientation doctrinale de notre économie, ne sont évidemment pas faits pour arranger les choses. Ces manquements se traduisent dans les faits par un profond malaise qui affecte le moral de la population dans son ensemble, mais plus gravement encore, celui des opérateurs économiques tétanisés par ce subit relâchement de la gouvernance globale qui a ouvert la voie à la corruption, au relâchement de l’effort au travail et à l’incivilité. Plutôt que de se référer d’autorité à un plan d’action qu’ils n’ont jamais cautionné, les chefs d’entreprise, les promoteurs d’investissements et les syndicats, aussi bien publics que privés, seraient beaucoup plus favorables à un débat national sur toutes les difficultés qui minent notre économie, le but étant de donner un sens consensuel à une politique économique stable à laquelle ils adhéreraient en toute confiance. Cette demande de clarification n’ayant aucune chance d’être satisfaite, ces partenaires en sont arrivés à s’accrocher à ces plans d’action parachutés pour réclamer par la voie de leurs associations (FCE, syndicats patronaux et ouvriers) des clarifications relevant, pour certaines, de la doctrine économique (veut-on rester dans le système dirigiste actuel ou aller résolument vers une économie de marché plus libérale ? Quelle place pour l’entreprise privée ? L’argent et la politique? L’Etat et la gestion des entreprises publiques ? Les politiques économiques relèvent-elles des lois de finances ? etc.) Ces clarifications politiques sont en effet indispensables pour démêler l’écheveau des décisions qui s’étaient écartées du système du marché, notamment toutes celles édictées par les lois de finances complémentaires, pour les années 2009 et 2010, qui ont, comme on le sait, introduit de l’opacité dans la vision économique et porté un coup fatal à l’attractivité du pays. L’Algérie ayant été gouvernée, de 1990 à ce jour, par pas moins de 16 chefs de gouvernement et Premiers ministres, il y a également lieu de prémunir le pays contre cette instabilité au moyen d’une politique économique largement concertée que tous les gouvernements, présents et à venir, seront tenus d’appliquer au nom du principe universel de la continuité de l’Etat. En effet, après tous les bouleversements subis par notre économie à la faveur de tous les dysfonctionnements de la gouvernance globale, il s’agit aujourd’hui de savoir si nos entreprises sont, comme on le proclame souvent à tort, autonomes et soumises à l’obligation de résultats, si leurs dirigeants sont d’authentiques managers dotés de vrais pouvoirs de décision, ou de simples gérants soumis aux états d’âme des autorités politiques. Car ce sont tous ces dysfonctionnements, parfois sciemment entretenus par un pouvoir dirigiste, qui plombent notre économie et l’empêchent de se connecter efficacement à l’économie mondiale.  


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