«A force de la triturer et de la modifier, on a fini par banaliser la Constitution»



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Le président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), Nourredine Benissad, dresse un bilan très peu reluisant de la situation des droits de l’homme dans le pays. Il craint une dégradation de la situation en raison de la crise économique et le recours, par le gouvernement, à des politiques d’austérité. Le premier responsable de la LADDH s’exprime aussi sur l’élimination des candidatures aux locales du 23 novembre prochain en appelant la justice à les rétablir, surtout que l’administration a agi sur la base de rapports secrets des services de sécurité. - L’année 2017 tirant pratiquement à sa fin, quel bilan faites-vous de la situation des droits de l’homme durant cet exercice ? On peut mesurer le climat des droits de l’homme au degré de la démocratisation d’une société. Plus une société est démocratique, plus les droits se portent mieux. En Algérie, nous étions sous état d’urgence de droit et nous sommes passés sous état d’urgence de fait. Les libertés sont malmenées au quotidien : l’année 2017 a été marquée par des interdictions, des restrictions et des atteintes de toute nature aux droits de l’homme : poursuites judiciaires engagées et emprisonnement à l’encontre de défenseurs des droits de l’homme, de blogueurs, de donneurs d’alerte, pour avoir exprimé des opinions, de simples citoyens pour avoir exercé leur culte ainsi que d’innombrables restrictions à la liberté de création, d’opinion, de manifestations culturelles, de rassemblements pacifiques, notamment des familles de disparus, et de réunions publiques organisées par divers acteurs politiques, intellectuels, culturels, syndicaux ou associatifs. Les associations qui activent dans les domaines des droits de l’homme ou périphériques et qui tiennent à leur indépendance sont privées du fameux sésame de l’administration, en l’occurrence l’agrément, pour les empêcher de travailler. Nous avons également vécu une campagne odieuse contre les migrants. - Pourtant la nouvelle Constitution a été présentée comme une «révolution démocratique pour le pays»… La nouvelle Constitution, comme vous dites, est en fait des amendements apportés à la précédente Constitution. A force de la triturer et de la modifier, on a fini par la banaliser et lui enlever toute sa valeur en tant que norme suprême qui s’impose à tous. A force aussi de renvoyer certaines dispositions à des lois organiques ou ordinaires et qui n’ont pas encore vu le jour, on a créé un vide constitutionnel pour empêcher les citoyens d’exercer leurs droits fondamentaux. La Constitution, c’est un ensemble de règles juridiques encadrées par les lois organiques ou ordinaires qui garantissent le respect des droits des citoyens et consacrent le principe de la séparation des pouvoirs, ainsi que l’indépendance de la justice et du Conseil constitutionnel. Au moins pour ces deux règles, nous sommes loin des normes internationales. La mise sous tutelle du pouvoir exécutif des deux entités citées les empêche de jouer leur rôle de protecteurs des libertés et de la Constitution en «produisant» notamment de la jurisprudence qui réaffirme l’inviolabilité irrévocable des droits fondamentaux. - Depuis quelques mois, le gouvernement développe un discours alarmiste sur la situation financière du pays. L’Exécutif s’apprête à revoir la politique des subventions et il pourrait même procéder à des compressions d’effectifs dans la Fonction publique. Selon vous, y a-t-il un danger sur les droits socioéconomiques des Algériens ? Il n’échappe à personne que les mesures d’austérité, et il y a plusieurs exemples dans le monde, auront de graves conséquences sur le plan humain, notamment de plus en plus de chômage pour plus longtemps et l’amplification du phénomène de paupérisation de pans entiers de la société. Je pense au chômage des jeunes, aux retraités, au travail des enfants, à l’esclavage domestique, à la prostitution, à la drogue... et donc à une atteinte à l’ensemble des droits sociaux et économiques qui toucheront de nombreux groupes sociaux, particulièrement les plus vulnérables. La grande pauvreté peut aller de pair avec une augmentation des traitements inhumains et dégradants. Il est évident qu’en temps de crise, les droits de l’homme sont malmenés et il s’agit pour nous d’alerter sur les risques et les dangers qui pèsent sur le tissu social. La ligue se tiendra toujours du côté des plus faibles. - Le monde vient de commémorer la Journée mondiale contre la peine de mort. La LADDH fait partie des organisations plaidant pour l’abolition de cette peine. Quelles sont les actions que vous comptez mener en vue de réaliser cet objectif ? La peine de mort est une peine cruelle, inhumaine et dégradante. Aucune personne, aucun Etat ne peut réparer un crime par un crime. Si c’est Dieu qui donne la vie, il n’y a que Dieu qui peut l’ôter. Les crimes commis contre les enfants restent des crimes abominables et condamnables. La législation pénale est déjà trop dure pour les crimes contre les enfants. Il faut savoir et il faut le marteler, les abolitionnistes n’encouragent pas l’impunité contre les crimes mais travaillent à substituer la peine de mort par une peine plus «humaine», comme la prison à perpétuité ou à vie. Le criminel aura tout le temps, le restant de sa vie, de réfléchir aux crimes qu’il a commis et à s’amender. Le crime est consubstantiel à la nature humaine, il a toujours existé depuis que le monde est monde. Les statistiques au niveau international montrent que là où des Etats appliquent la peine de mort, les crimes n’ont pas diminué, et là où la majorité des pays ont aboli la peine de mort, les crimes n’ont pas augmenté. C’est pour dire que le maintien ou le rétablissement de la peine de mort n’est pas la solution. Il faut s’attaquer aux causes de la violence et des crimes dans notre société et mener des politiques publiques à même d’apporter des solutions. Le respect de la personne humaine, de la tolérance, des idéaux de la paix, de la sacralisation de la dignité humaine dès l’école, dans les foyers, dans les médias, etc., amènent à une société où la vie humaine est respectée. Nous avons, avec d’autres associations, créé une coalition contre la peine de mort. Elle en est à ses débuts, mais la loi sur les associations n’encourage pas à mener un plaidoyer et des campagnes à destination du grand public et de proximité, dans les écoles et les espaces publics. Nous sommes dans une situation de résistance. - L’administration et la justice ont éliminé des centaines de candidatures aux élections locales du 23 février en se basant sur des «rapports secrets des services de sécurité». Que signifie cette pratique ? Est-ce le retour au fichage des citoyens ? L’élimination par l’administration ou la justice, comme vous le dites, de candidatures aux prochaines élections locales doit obéir à la Constitution et à la loi électorale. Les candidatures peuvent être rejetées quand les candidats ont été privés de leurs droits politiques et civils par des décisions de justice définitives après un procès équitable. Si les candidatures ont été rejetées sur la base de rapports sécuritaires, eh bien on appelle cela en droit des voies de fait, et la justice doit les rétablir dans leurs droits. C’est cela un Etat de droit. - Des voix s’élèvent ces derniers jours pour appeler à l’application de l’article 102 de la Constitution et destituer le chef de l’Etat pour des raisons médicales. Cet article est-il applicable ? La Constitution, comme je l’ai expliqué, est une façade. Toutes les Constitutions en Algérie ont été octroyées, elles n’ont jamais été l’émanation du peuple. Notre pays a besoin de nouveaux paradigmes, d’un changement radical de système, d’une transformation sociale de la société pour jeter solidement et durablement les jalons d’une démocratie respectueuse des droits de l’homme de jure et de facto, de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, de l’indépendance de la justice et de consacrer l’alternance. Seule l’Assemblée constituante, après des élections libres, peut être légitime et crédible pour cette transformation de la société et aller vers un pays de libertés et de prospérité. Montesquieu disait qu’un pays qui ne consacre pas tous ces principes est un pays qui n’a point de Constitution.  


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