«La crise est plutôt une opportunité pour l’investissement de la diaspora»



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Ces dernières années, dans les discours, les appels au retour de la diaspora pour contribuer à la construction de l’économie se sont multipliés. Mais des conditions devraient être assurées... En effet, vous l’avez bien souligné «ces dernières années», le gouvernement algérien ne cesse de faire appel, en particulier, à sa diaspora d’affaires, pour participer au développement de l’économie nationale. Plus concrètement, en 2014, le défunt Mohamed Seghir Babès avait lancé un appel à contribution et de soutien au développement économique de l’Algérie, notamment à la communauté des chefs d’entreprise, d’opérateurs économiques et des scientifiques établis en France et dans le reste du monde. En 2016, l’ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, appelle les hommes d’affaires algériens établis aux Emirats arabes unis et en France à venir investir dans leur pays. Cet appel reste d’actualité et émane, aujourd’hui, non seulement du gouvernement, mais également des walis, à l’exemple de celui d’Alger, faisant appel à 200 architectes de la diaspora pour repenser la ville d’Alger, des formations politiques, du patronat et des associations. Comme vous pouvez le constater, cet intérêt pour la diaspora ne découle pas d’une approche stratégique mise en œuvre pour développer des passerelles et des liens constructifs dont l’aboutissement ultime, l’édification de l’économie nationale sur le moyen-long terme, comme il est le cas de certains pays, à titre d’exemple, le cas de l’Irlande est très illustratif. En effet, les Irlandais ont été pionniers dans l’activation de la diaspora irlandaise aux Etats-Unis pour attirer des investissements directs. Au début des années 1980, le pays a pris des mesures décisives pour renouer de manière active avec ses émigrés ou des hommes d’affaires prospères d’origine irlandaise. En 1986, l’Irlande était l’un des pays les plus pauvres de l’Union européenne, vers le début des années 2000, c’est devenu l’un des plus riches. Le moteur de cette nouvelle prospérité a été l’investissement direct étranger. Durant cette période, les Irlandais ont attiré d’immenses capitaux d’Amérique, en grande partie grâce aux attaches personnelles et familiales, et ils ont utilisé cet argent pour construire des usines. La diaspora a été essentielle pour initier la reprise, lors de la crise financière qu’avait vécue l’Irlande, par des incitations économiques, par une stratégie d’influence ciblée, ils ont, par exemple, attiré les sièges européens de nombreuses sociétés internet. Lorsque l’approche se fonde essentiellement dans un contexte de recomposition politique ou de turbulence économique, telle la crise financière que vit l’Algérie depuis quelques années, à mon sens, il est difficile d’aboutir à des résultats concluants et surtout à convaincre la communauté algérienne établie à l’étranger de la bonne volonté des pouvoirs publics ! La relation des pouvoirs publics avec sa diaspora est complexe, et ce, depuis les années 1970, en raison notamment, du non-retour des boursiers de l’Etat qui préféraient rester dans le pays d’accueil après la fin des études, qui a provoqué une rupture des liens, pendant plusieurs années. Depuis les années 1990 à ce jour, les motivations de départ et le profil des migrants algériens sont complètement différents. La diaspora algérienne est très attachée à son pays et exprime une volonté réelle de créer des liens et des passerelles avec l’Algérie et de contribuer à la construction de l’Algérie, son pays d’origine. En me référant aux différentes enquêtes que j’ai menées auprès de notre communauté, la reconnaissance et le respect sont les éléments essentiels que revendiquent et qu’attendent les entrepreneurs de la diaspora. C’est dans cette logique que pourrait s’établir la confiance et à partir de cette confiance que la synergie s’opérera ! L’exemple de l’Irlande le montre bien. Les représentations diplomatiques dans le monde représentent l’ossature de cette confiance. Leur rôle est fondamental et déterminant. Elles devront se rapprocher beaucoup plus de sa communauté, l’identifier, l’écouter, l’accompagner, la rassurer et la motiver. Cette proximité développera davantage de patriotisme et le sentiment d’appartenance. En second lieu, créer un ministère ou secrétariat général de la communauté algérienne à l’étranger, c’est un signal très fort qui véhicule respect et considération pour cette communauté. Il est nécessaire et indispensable, aussi d’internationaliser la banque et l’assurance algériennes pour être à proximité et faire bénéficier l’Algérie des rentrées de devises. Pour terminer, lever les entraves administratives qui excluent les binationaux à avoir accès à certains services (exemple ouvrir un compte bancaire) et faciliter l’acte entrepreneurial en créant un guichet unique pour les entrepreneurs de la diaspora, et d’autres…    Quels sont les principaux résultats de l’enquête que vous avez effectuée sur cette question ?   L’objet de cette enquête consiste à observer l’état des lieux de l’investissement de la diaspora et son rôle dans le développement de l’entrepreneuriat innovant en Algérie. En réponse, nous avons mobilisé deux enquêtes ayant touché 174 entrepreneurs de la diaspora, dont 36 entretiens et 138 par questionnaire. L’absence des données statistiques sur  les entrepreneurs de la diaspora laisse apparaître un obstacle considérable pour identifier et mesurer cette population. Nos résultats permettent de démontrer les impacts de l’entrepreneuriat de la diaspora sur le développement économique en Algérie, notamment dans certains secteurs. Ces effets positifs sont perceptibles à plusieurs niveaux : des entreprises créatrices d’emploi ; des entrepreneurs innovants ; des entrepreneurs exportateurs. Il est important de revenir sur l’identification de ces entrepreneurs pour mieux saisir ces résultats. Nous sommes en présence de jeunes entrepreneurs, 44% varient entre 36 et 45 ans et 24% d’entre eux ont 26 à 35 ans. Le reste a plus de 46 ans et à très faible taux, des personnes âgées entre 18 et 25 ans. Concernant leur situation matrimoniale, 64% de la population enquêtée sont mariés, 24% célibataires et 11% divorcés. Le dernier pays de résidence est la France pour plus de 74% d’entre eux, suivie des Etats-Unis et du Canada, avec respectivement 9 et 8%. D’une manière générale, la migration algérienne se situe en Europe avec 80% de l’ensemble des enquêtés. L’Amérique du Nord vient en deuxième position avec 16,45%, et dans une moindre mesure, les pays du Golfe ont un taux de 3,55%. Nous avons ainsi identifié, à partir de cette enquête, des entrepreneurs réfléchis avec des projets, d’investissement pour la grande majorité d’entre eux, novateurs pour le marché algérien. Ils sont conscients des potentialités de marché et de par leur expérience, ils analysent le marché et déterminent ainsi les secteurs ou segments de marché à investir. Leur asymétrie d’information sur les règles de fonctionnement du marché et leur méfiance vis-à-vis de l’inconnu les encouragent à solliciter les réseaux professionnels ou leur capital social. En effet, l’analyse conforte l’importance des réseaux dans le processus entrepreneurial de la diaspora d’affaires, notamment pour parer aux différents obstacles rencontrés, au niveau administratif et bureaucratique et pas seulement.    L’importance des réseaux de la diaspora est aussi perceptible par leur organisation nationale et transnationale et leur mobilisation pour le développement de l’entrepreneuriat innovant en Algérie, à partir des programmes, des formations et de financement de certains projets novateurs dans les technologies nouvelles. Les résultats de cette recherche mettent en exergue la prédominance du secteur des technologies de l’information et de la communication chez les entrepreneurs de la diaspora, répartis dans la production des biens et des services. L’ingénierie est également une des activités plébiscitées par cette catégorie d’investisseurs. Notre analyse a également abordé des aspects liés au management de l’entreprise et des activités de l’entreprise. Les résultats, qui en découlent, dévoilent la présence d’un comportement stratégique, qui s’exerce au niveau interne de l’entreprise et au niveau externe vis-à-vis des autres acteurs du marché. L’approfondissement des analyses sur le rapport des entrepreneurs à la gestion des entités et les choix stratégiques auxquels ils ont opté laisse apparaître un entrepreneur «leadership stratégique». Quelles sont les contraintes rencontrées sur le terrain par les entrepreneurs issus de l’immigration ? En plus des contraintes que rencontrent les entrepreneurs novices locaux, qui se résument souvent à la lourdeur administrative, les délais d’attente et la bureaucratie, les entrepreneurs de la diaspora font face à d’autres difficultés. Le climat des affaires algérien est considéré par l’ensemble des individus comme un véritable handicap pour le développement des affaires et des activités économiques. Néanmoins, étant conscient de la complexité de l’environnement des affaires, les entrepreneurs adoptent des stratégies pour pallier aux manques d’information sur les pratiques et les procédures administratives en passant par des réseaux de famille et d’amis, professionnels, de la diaspora, et des réseaux sociaux. Ils se font accompagner dans leurs démarches ou désignent un intermédiaire qui aura pour mission la charge administrative et bureaucratique. En revanche, la règle des 49/51% constitue pour certains un frein pour l’investissement de la diaspora en Algérie. Les résultats de ma recherche montrent qu’une partie non négligeable vit entre ici et là-bas pour des raisons notamment familiales, dont tant de difficultés les entravent. Lorsqu’ils créent des activités en tant qu’Algériens, ils sont alors épargnés de la règle 49/51, mais ne sont pas autorisés à transférer des dividendes ou une partie de leur salaire à la famille installée dans le pays d’accueil, compte tenue de la législation algérienne. Lorsqu’ils investissent en tant qu’étrangers, ils perdent alors beaucoup d’avantages. Dans certains cas, le manque d’écoles internationales en Algérie constitue un handicap pour les familles d’entrepreneurs, puisque leurs enfants n’ont pas forcément accès à l’enseignement de l’arabe dans les sociétés de résidence. Pour cette raison, les entrepreneurs mariés et issus de l’immigration vivent souvent entre ici et là-bas, puisqu’ils maintiennent la résidence de la famille dans le pays d’accueil et préfèrent ainsi gérer leur investissement en Algérie en circulant plusieurs fois dans l’année. Aussi, le contexte socioéconomique, la stabilité politique et juridique sont des facteurs déterminent des perspectives de développement de l’entrepreneuriat de la diaspora en Algérie. Est-il possible d’évaluer l’apport de ceux qui sont revenus au pays pour entreprendre ? Aujourd’hui, il est quasiment impossible d’évaluer l’apport de cette diaspora en Algérie, parce que c’est une communauté qui est diluée dans les statistiques. Je m’explique : lorsqu’elle se propose avec son identité algérienne, elle est considérée comme étant algérienne à part entière, lorsqu’elle use de sa double nationalité, alors elle est considérée comme IDE (Investissement direct  étranger) !   Les organismes publics chargés de l’investissement (ministère de l’Industrie et les différentes agences et dispositifs) devraient introduire sur les dossiers, une mention permettant d’identifier les entrepreneurs de la diaspora des autres locaux. C’est à partir de là, que nous pourrions avoir connaissance, approximativement, du nombre global d’entrepreneurs issus de l’immigration, des secteurs investis et de la valeur ajoutée créée par ses entreprises. C’est à ce moment que nous pourrions évaluer et mesurer l’apport de l’investissement de la diaspora dans le revenu du pays (PIB). L’exemple de Bangalore, un territoire technopolitain en Inde, est devenu un centre universitaire, scientifique (qui compte plus de 2000 chercheurs) et économique considérable. Il est considéré comme la «Silicon Valley» indienne et l’exemple d’un pôle de compétence d’importance mondiale axé sur les nouvelles technologies, particulièrement la sous-traitance dans les domaines des logiciels informatiques, de la biochimie (fabrication de molécules pharmaceutiques...) de l’aérospatiale. Cette merveille indienne est construite par les ingénieurs de la diaspora indienne qui ont travaillé à la Silicon Valley, dans les années 1990 et début des années 2000. C’est un apport considérable, qui fait de l’Inde, aujourd’hui, une puissance mondiale dans le domaine des TIC.   La crise ne risque-t-elle pas de freiner ce phénomène, surtout qu’en parallèle, il y a fuite des cerveaux ? A mon sens, la crise est plutôt une opportunité pour l’investissement de la diaspora.  Comme je disais plus haut, en plus d’une politique claire, notre diaspora a besoin de garanties et de reconnaissance. La crise financière que vit l’Algérie aujourd’hui n’empêcherait pas les entrepreneurs issus de l’immigration à venir investir. Ce qui, à mon sens, bloquerait l’investissement de la diaspora et c’est aussi valable pour les IDE, c’est le manque de visibilité politique, juridique et économique en Algérie. Cette réalité, créée, a accentué sa méfiance et le manque de confiance, également valable pour l’investissement des locaux. Avant tout, l’entrepreneur est un agent économique qui mesure le risque et évalue le gain. Au contraire, par patriotisme et fort sentiment d’appartenance, la diaspora sera disponible à accompagner l’Algérie dans ces moments de turbulences. Néanmoins, comme je le disais, la relation devra être bâtie sur la confiance, reconnaissance et garantie. C’est comme la relation d’un couple !  Ce n’est pas une spécificité pour la diaspora algérienne, mais, c’est pareil pour toutes les diasporas du reste du monde !


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