Le soft power à la Turque n’exclut pas le business



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L’actuel président turc a visité l’Algérie à deux reprises. Clou de la dernière visite en 2014 de celui qui était alors Premier ministre AKP : la décision de restaurer la mosquée Ketchaoua, «patrimoine commun des deux pays». Paix à l’intérieur et paix à l’extérieur». Très british d’allure, le directeur adjoint Afrique du Nord, Onur Ozçeri, assure que son pays fait toujours sienne la devise de Mustafa Kemal Atatürk. Rappelée devant un groupe de journalistes maghrébins (Algérie, Tunisie, Maroc), accueillis dans une salle de l’imposant immeuble des Affaires étrangères à Ankara, la phrase du père fondateur de la Turquie moderne vise à rassurer sur les «relations privilégiées» qu’entretient l’Etat turc avec les pays du Maghreb de l’après-Printemps arabe, particulièrement la Tunisie où la Turquie continue «d’avoir mauvaise presse», comme le rapporte le chroniqueur vedette de la chaîne satellitaire privée des Karoui, Nessma TV, Sofiane Benferhat, faisant partie de la délégation. Conscient de la colère d’une partie de la classe politique au Maghreb contre la politique engagée par le pays du président général du parti islamiste-conservateur AKP, Recep Tayyip Erdogan, les Turcs rappellent que leur pays est «engagé à fond dans un partenariat gagnant-gagnant» avec des pays qui «partagent» une histoire commune. Preuve de cet intérêt, le volume des échanges avec les Etats de cette zone, particulièrement l’Algérie, «n’a pas cessé d’augmenter». L’actuel président turc a visité l’Algérie à deux reprises. Clou de la dernière visite en 2014 de celui qui était alors Premier ministre AKP : la décision de restaurer la mosquée Ketchaoua, «patrimoine commun des deux pays». Les travaux de réhabilitation du lieu de culte fermé depuis 2008 aux fidèles avaient été engagés début 2015. «Le projet a été confié à l’Agence turque de coopération et de développement (Tika). L’entreprise turque ‘‘de restauration’’ a été retenue pour l’exécution des travaux. Le chantier été installé fin 2014. Tous les travaux du projet ont été effectués sous le contrôle des experts et académiciens turcs et algériens», précise le coordinateur de l’agence Tika Algérie, Orhan Aydin (voir entretien). Très fier du résultat obtenu après trois ans de longs travaux, le vice-président de l’agence Tika à Ankara, Ali Maskan, fait visiter le musée où sont arrangées dans un bel agencement les maquettes des projets auxquels a participé l’institution, les croquis de la mosquée-cathédrale de Ketchoua trônant en très bonne place dans le hall d’entrée de l’immeuble de l’institution. Devant être livré en septembre dernier, le projet a pâti de la mini-crise politique qui s’est dénouée par le départ de Abdelmadjid Tebboune. Finalement, c’est le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, qui devrait étrenner l’édifice. En prévision de la cérémonie, la wilaya d’Alger s’attelle à restaurer cette partie de La Basse Casbah, où trône avec ses deux imposants minarets la mosquée emblématique. Les entreprises engagées par l’administration Zoukh poursuivent le ravalement des façades des immeubles bordant la place des Martyrs. En plus de l’inauguration de l’édifice, l’administration a inclus d’autres projets au programme : livraison partielle de l’extension de la ligne 1 du métro d’Alger de la place des Martyrs et du musée qui y a été réalisé. L’agence Tika s’est engagée dans d’autres projets, à l’instar de deux édifices à Oran. La Direction de l’urbanisme et de la construction (DUC) d’Oran et l’agence turque ont convenu, en avril, d’une collaboration afin de restaurer deux lieux historiques : le palais du Bey et la mosquée du Pacha. Implication de Tosyali Les opérations sont prises en charge financièrement par la société de l’homme d’affaires Fuat Tosyali, PDG du groupe turc Tosyali Iron and Steel, qui rappelle aux journalistes accueillis dans les locaux de l’association des patrons turcs toute «sa fierté» d’engager ce projet. L’homme d’affaires, qui affirme se déplacer régulièrement en Algérie où il a des contacts réguliers avec les dirigeants de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie (CACI), signale que ce pays est un des «partenaires privilégiés» de son groupe. Marquant l’engagement turc en Algérie, l’agence Tika, qui a ouvert une représentation à Alger, souhaite aussi participer à d’autres projets, comme celui de la rénovation de La Casbah lancée par les autorités. «Le projet de restauration de La Casbah auquel on devait participer est gelé pour des raisons financières», regrette Ali Maskan, qui fait remarquer que l’expertise turque dans le domaine de la restauration est mise au service des projets qu’engagerait l’Algérie. Le soft power à la turque laisse place aux affaires. A Ankara et Istanbul, les responsables turcs insistent sur le «rôle moteur» des échanges commerciaux dans les relations entre les deux pays. «Le commerce florissant entre les deux pays possède un réel potentiel de croissance, nous précise-t-on. Nos deux pays avaient évoqué durant la visite officielle du président Erdogan à Alger en 2014 l’objectif de doubler le volume des échanges. La possibilité d’atteindre un tel objectif dépendra de la conjoncture globale et des évolutions dans la politique économique extérieure dans les deux pays.» Et de poursuivre : «Malgré les différences, les complémentarités existant entre les deux pays offraient des perspectives de croissance du commerce et de l’investissement. La stabilité dans les deux pays qui repose sur des bases solides, ainsi que la proximité culturelle des deux peuples sont également des facteurs supplémentaires renforçant les échanges. La Turquie s’est engagée depuis longtemps avec l’Algérie dans le modèle de partenariat, de coproduction et d’investissement à long terme. Dans ce cadre, de nombreuses entreprises turques se sont établies en Algérie et investissent et créent de l’emploi dans différents secteurs comme la sidérurgie, le textile et les produits pharmaceutiques.» Des rencontres bilatérales au programme La réunion de la commission économique mixte turco-algérienne, qui pourrait se tenir dans les prochaines semaines, sera l’occasion de développer encore plus la coopération entre les milieux économiques des deux pays. Evoquant avec les responsables turcs la question de l’accord de libre-échange ou la suppression réciproque des visas, une réponse revient comme une antienne : ces deux questions ne figurent pas actuellement sur l’agenda bilatéral des deux pays. «La partie turque a suggéré à la partie algérienne des discussions sur le premier point (accord de libre-échange)», précise-t-on. Selon les Turcs, il existe une «volonté commune de travailler conjointement pour la consolidation du dialogue politique.» Des consultations politiques entre les secrétaires généraux des ministères des Affaires étrangères ont eu lieu à Ankara en février 2017. Les deux ministres des Affaires étrangères se sont ensuite rencontrés en marge des travaux de l’assemblée générale de Nations unies à New York. «L’objectif de réaliser dans un avenir proche une visite au niveau des ministres des Affaires étrangères a été agréé lors de ces entretiens», signale-t-on. Pour les responsables turcs, la Turquie et l’Algérie représentent des «îlots de stabilité» dans des régions de grande instabilité. «Elles ont toutes les deux une grande expérience en matière de lutte contre le terrorisme. Des consultations bilatérales et une coopération efficace existent entre les deux pays en matière de lutte contre les menaces communes», affirment des cadres de l’administration centrale turque, faisant remarquer que leur pays partage les «approches algériennes» en matière de lutte contre le terrorisme et autres menaces transnationales : «Les deux pays sont en faveur d’une intensification de la coopération internationale indispensable pour lutter efficacement et effectivement contre ces menaces et proliférations de toutes sortes.» 


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