«Pauvres, les ménages algériens consacrent 42% de leur budget aux dépenses alimentaires»



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- Le gouvernement poursuit sa marche forcée vers la révision (suppression) de la politique des subventions dont le système est présenté comme étant le mal absolu de l’économie algérienne. Un système de ciblage prendra la place de l’ancien. N’avez-vous pas l’impression que le débat sur les subventions publiques des produits de large consommation, les seuls décidément à être décriés, n’escamote pas la problématique essentielle de la relance économique ? L’impression que dégage le gouvernement depuis le retournement des prix pétroliers en 2014 est qu’il s’inscrit dans une démarche de rééquilibrage des comptes publics, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, mais rechigne à engager les réformes structurelles de mutation de l’économie algérienne vers une économie d’offre diversifiée, durable et de moins en moins dépendante des hydrocarbures. Au début de la crise, le Fonds de régulation des recettes a, dans un premier temps, été mis à contribution pour combler les déficits budgétaires, l’épuisant totalement en 2017. Il a été question, dans un second temps, d’une mise en conformité fiscale volontaire qui s’est transformée en revers puisque la cible (les opérateurs du secteur informel) n’a pas joué le jeu. Il a été fait appel, dans un troisième temps, à l’émission d’obligations d’Etat qui s’est soldée par un semi échec puisque la population n’y a pas souscrit et ce sont les entreprises publiques, les banques et les autres institutions financières (compagnies d’assurance, mutuelle, sécurité sociale, etc.) qui ont été contraintes de les acheter. Il a été question, dans un quatrième temps, du financement non conventionnel qui n’est rien d’autre qu’une émission monétaire sans contrepartie, susceptible d’alimenter l’inflation. Le gouvernement souhaite, dans un cinquième temps, faire des économies en levant les subventions qui grèvent lourdement le budget de l’Etat. Il veut recourir, dans un sixième temps, à l’endettement extérieur en cas de nécessité. Enfin, il désire développer les hydrocarbures non conventionnels, ce qui risquerait de perpétuer le caractère rentier de l’Etat algérien. De son côté, la Banque d’Algérie cherche à remplacer les billets de banque dans le but d’attirer l’argent thésaurisé et celui du secteur informel dans les banques, même si ce n’est pas l’objectif avoué. Pour revenir aux subventions, il y a lieu de rappeler que même si celles-ci ont existé dans le système de planification centralisée en vigueur dans les années 1970 et 1980 par le canal des prix administrés, elles ont complètement disparu vers la fin des années 1990 dans le cadre du programme d’ajustement structurel appliqué par l’Algérie sous l’égide du FMI. Elles ne sont revenues, et en force, accompagnées par d’autres dispositifs de soutien aux jeunes et aux chômeurs tels que l’Ansej et la CNAC, qu’à la faveur du Printemps arabe en 2011 lorsque les émeutes ont commencé à atteindre notre pays. Du point de vue économique, le subventionnement est une anomalie au même titre que l’informel ou la corruption, car il fausse les prix qui constituent le seul moyen de coordination des actions des agents qui composent l’économie d’un pays. En conséquence, lorsque l’Etat empêche les prix de s’ajuster naturellement à l’offre et à la demande, il perturbe la coordination des millions de ménages et de firmes qui composent l’économie. A fortiori, lorsque l’Etat subventionne des produits importés, non seulement il crée un effet d’éviction sur les productions locales mais, dans le même temps, il en transfère le bénéfice aux productions étrangères. Les subventions des prix à la consommation ne sont donc pas le meilleur moyen d’aider l’économie à se développer et n’ont, par ailleurs, pas vocation à être équitables pour la population. - Le «ciblage» semble être la panacée pour le gouvernement. Quid de cette méthode : son opérabilité dans le contexte algérien ? Et qu’en est-il des expériences analogues dans le monde ? La première difficulté qui se présente au gouvernement est liée à la problématique de la sensibilité du niveau de vie des Algériens car, selon la dernière enquête décennale réalisée par l’ONS, relative aux dépenses de consommation et au niveau de vie des ménages, en 2011, les dépenses alimentaires ont représenté près de 42% du budget familial, ce qui est énorme et dévoile la pauvreté des ménages algériens. En effet, plus la part alimentaire dans le budget est élevée plus le ménage est pauvre et inversement (loi d’Ernest Engel). A titre de comparaison, les dépenses alimentaires de l’Union européenne n’ont représenté que 13% durant la même période, avec tout de même des disparités entre les différents pays (DGCCRF, n°21 novembre 2013). La seconde difficulté réside dans l’effet de cliquet qui désigne, en économie, le fait que lorsque leurs revenus diminuent, les agents ne vont pas à court terme ajuster leur consommation à la baisse et ils sont quasiment incapables de revenir en arrière (théorie de Thomas Brown). La troisième difficulté concerne le palliatif à la levée des subventions alimentaires. Si le ciblage des subventions doit signifier distribuer des couffins ou des chèques aux plus pauvres (encore faut-il pouvoir les identifier ?), cela est symptomatique des camps de réfugiés. Une façon plus convenable et civilisée d’attribuer une compensation serait de relever le SNMG et les pensions de retraite et d’accorder une allocation de chômage aux personnes en âge de travailler et sans emploi lorsque celles-ci pourront être correctement recensées. Une des expériences de subventionnement qui a réussi ne concerne pas l’alimentation mais le logement, l’APL, l’aide pour le logement accordée aux ménages les plus pauvres et aux étudiants en France, qui louent leur logement au prix coûtant mais qui reçoivent une compensation de la part de l’Etat, calculée sur la base de critères préalablement définis. Dans cet exemple, aussi bien le prix de marché que le pouvoir d’achat sont préservés. Dans le même pays, les personnes en âge de travailler et sans emploi perçoivent également une allocation chômage. - Le ministre des Finances, Abderrahmane Raouia, avait indiqué samedi dernier, en marge d’une réunion des ministres arabes des Finances et du FMI, que le recours à l’endettement extérieur était envisageable dès l’année prochaine. Les hautes autorités du pays se sont dépensées pour récuser tout recours à terme à l’emprunt extérieur et ont fait le choix du financement non conventionnel. Cette volte-face traduit-elle un emballement des indicateurs économiques et financiers du pays : sachant que le pays dispose encore de réserves de change de près de 100 milliards de dollars, et une relative appréciation des cours du pétrole ? Dans l’absolu, il n’est pas déconseillé à un pays d’emprunter sur les marchés financiers internationaux. Ce qui est déconseillé, c’est de ne pas avoir les moyens de rembourser les emprunts. De même, il n’est pas déconseillé à une économie de recourir à titre exceptionnel au financement non conventionnel. Ce qui est déconseillé, c’est que celui-ci soit employé à combler les déficits publics sans que l’économie en question ne possède les ressorts nécessaires pour se relancer. Or, l’économie algérienne, en dépit de ses immenses potentialités, s’est retrouvée à la croisée des chemins. Elle n’est plus une économie centralement planifiée mais elle n’est pas non plus une économie de marché. Elle est une économie rentière dépendant quasiment de ses ressources en hydrocarbures et qui a vu se développer en son sein l’informel et la corruption. Elle possède un secteur informel étendu et menaçant pour les fondements de l’économie algérienne et la corruption a atteint des summums inégalés et est généralisée. En outre, l’Etat est omniprésent dans les affaires économiques jusqu’à devenir contre-productif. Dans ce contexte, toutes les mesures prises depuis l’avènement de la crise en 2014 ne peuvent constituer des solutions durables et n’ont pas vocation à relancer l’économie en crise. Seules des réformes structurelles conduisant à la transformation radicale de l’économie algérienne et de son mode de gestion peuvent constituer la solution idoine et pérenne mais que l’économie politique, polluée par des intérêts de clans, ne permet pas d’amorcer pour le moment. Quant aux «récusations de recours à l’emprunt extérieur par les autorités» que vous mentionniez dans votre question, je vous rappelle que c’est l’actuel Premier ministre qui a déclaré, lorsqu’il était chef d’un précédent gouvernement, qu’en politique, il n’y a jamais de «jamais». Sa théorie s’est d’ailleurs vérifiée dans les années 1990 lorsque l’Algérie a rééchelonné sa dette extérieure et recouru au FMI pour appliquer le programme d’ajustement structurel sous sa houlette, alors qu’elle affirmait quelques mois plus tôt qu’elle ne se plierait jamais aux conditionnalités du FMI, et plus récemment encore pour l’officialisation de tamazight alors que les plus hautes autorités du pays avaient déclaré quelques années plus tôt qu’il ne serait jamais officialisé. - Le gouvernement a fait sien le choix de l’austérité avec ses lots de compression des dépenses publiques, frein au recrutement public, suspension de milliers de grands et moyens projets, contingents de produits interdits à l'importation et autres recettes préconisées par des institutions financières internationales. Le cas du Portugal et son choix anti-austéritaire fait-il contre-exemple ? Autrement dit, le modèle de la croissance tirée par la dépense publique a-t-il vécu, selon vous ? L’austérité n’est jamais un choix pour un gouvernement. Il y recourt lorsqu’il n’a plus les moyens de sa politique. La croissance a été tirée pendant une quinzaine d’années par la dépense publique, elle-même rendue possible par les recettes engrangées par les exportations des hydrocarbures. Lorsque les revenus extérieurs du pays ont chuté de moitié, en raison de la baisse drastique des prix des hydrocarbures, et que cela dure depuis quatre ans, le manque à gagner est faramineux. Une fois que l’Etat a épuisé tous les instruments en sa possession pour combler les déficits, il ne lui reste plus qu'à appliquer la politique d’austérité. Celle-ci se décline toujours, sans ou sous la houlette du FMI, par : l’augmentation des impôts et taxes ; la levée des subventions ; le gel, voire la compression, des personnels de la Fonction publique ; la privatisation et/ou la faillite d’entreprises publiques et la réduction de leurs effectifs, le report et/ou l’arrêt de projets d’infrastructures publiques, le désengagement de l’Etat de la sphère économique, la décentralisation, etc. Le modèle rentier de la croissance tirée par la dépense publique s’essouffle et on commence enfin à reparler ou à redécouvrir l’économie et ses principes. Quant à la comparaison avec le Portugal, je ne la trouve pas idoine car c’est depuis 1985 que ce pays est entré dans un processus de modernisation et il a rejoint l’Union européenne en 1986. Anciennement pays agricole, le Portugal a développé une économie de type capitaliste de plus en plus fondée sur les services, puis sur l’industrie. Il a aussi réalisé beaucoup de réformes, dont la privatisation de nombreuses sociétés contrôlées auparavant par l’Etat. Il a, bien entendu, souffert de la crise financière internationale de 2008, transformée en crise des dettes souveraines européennes en 2010, au même titre que tous les pays du sud de l’Europe, plus vulnérables que ceux du Nord. Au demeurant, le Portugal n’est pas un pays rentier. Il tire sa richesse du travail. - L'ancien ministre de l'Industrie, Abdelhamid Temmar, a défendu bec et ongles sa politique de privatisation qu'il a jugé «réussie». Avec le PPP, le partenariat public-privé, le gouvernement et ses partenaires UGTA/patronat découvrent les vertus du PPP plus de 40 ans après les pays du Sud-Est asiatique. L'histoire du privé national, du capital privé national, sa formation, sa vocation, peut-elle s'insérer dans un modèle PPP genre Corée du Sud en investissant des secteurs structurants (industrie, technologie, etc.) et à forte valeur ajoutée ? J’ai lu et apprécié l’interview sur TSA de l’ancien ministre chargé de l’Industrie, Abdelhamid Temmar. Il a d’ailleurs été mon professeur à l’université et mon ministre lorsqu’il était à la Prospective et à la Statistique. J’ai trouvé sa contribution pédagogique, académique et objective au regard de son contenu. Je n’ai pas eu la chance de travailler avec lui lorsqu’il était à l’Industrie, donc je ne peux pas porter de jugement sur la réalité de ce qui s’est vraiment passé au cours de la période en question. Je dois signaler tout de même un élément que je n’avais pas mentionné plus haut, c’est que lorsqu’une économie est en crise, la vente des actifs publics fait partie de la panoplie des solutions pour renflouer les caisses de l’Etat. Cela permet aussi aux entreprises privatisées d’avoir une gestion plus rigoureuse. Par contre, je ne comprends pas pourquoi n’avoir pas ouvert le capital des entreprises publiques privatisées en passant par le marché financier, ce qui aurait permis d’une part de dynamiser ce dernier et d’autre part d’avoir une meilleure évaluation de ces entreprises. Quant à l’appellation PPP (partenariat public-privé) ou à celle de privatisation, ce ne sont rien d’autre que l’ouverture du capital des entreprises publics, le reste étant une question de proportions. Ce qui importe, c’est la gestion selon les règles de rentabilité économique de ces entreprises. Maintenant, si cette rentabilité peut s’inscrire dans des projets structurants de long terme, dans le cadre d’un partenariat public-privé, dans un souci de mutualisation des moyens, pourquoi pas ? Si, par contre, il s’agit d’ouvrir le capital d’entreprises publiques au privé, national et étranger, il serait souhaitable de passer par le marché financier et d’adapter les moyens de celui-ci à la nouvelle situation. - Quelle valeur, selon vous, peut avoir la charte du PPP et dans quelle mesure celle-ci peut déboucher sur une reprise en main efficace des unités privatisables sans que la collectivité y perde au change (transfert maffieux de la propriété, perte de l'emploi, cessation de l’activité, etc.) ? Je pense, encore une fois, qu’un marché financier organisé, transparent et doté de moyens adéquats, est la meilleure façon d’éviter les passe-droits. Celui-ci ne se développe, bien sûr, que dans le cadre d’une économie de marché elle-même développée. Mais, l’un alimentant l’autre et vice-versa, ils pourront tous les deux se développer. Je suis conscient aussi que le processus d’ouverture, qui a pris déjà 30 ans de retard, doit tout de même se faire prudemment et progressivement afin d’éviter des conséquences non désirées. Evidemment, cela aurait été plus facile durant les années d’aisance financière. Mais, aujourd’hui, la transformation de l’économie algérienne est non seulement nécessaire mais indispensable au regard de la leçon de 1986, rééditée en 2014. Et, il vaut mieux que nous la fassions nous-même qu’encore une fois contraints et forcés sous la houlette du FMI. Je suis conscient enfin que l’Etat a une responsabilité historique et politique majeure, durant cette conjoncture de tous les doutes, dans la libération des initiatives des Algériens, aujourd’hui bridées, en améliorant le climat des affaires de façon particulière et l’écosystème d’une manière générale afin de relancer la machine économique mais également et surtout en garantissant les droits à une éducation et à une santé de qualité, le droit à une justice indépendante, les droits sociaux, les droits politiques à choisir librement et en toute transparence et connaissance de cause ses représentants, du président de l’APC au président de la République, et à pouvoir exercer le contrôle sur toutes les institutions de l’Etat.


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