«Améliorer la loi sur les hydrocarbures sans toucher aux fondamentaux»



...

Quelle lecture faites-vous de l’engagement du ministre de l’Energie à lever les contraintes bureaucratiques à l’investissement? L’ environnement algérien a été confronté à la bureaucratie et le climat des affaires s’est détérioré d’une façon extraordinaire. Sur le plan légal, nous avons de bonnes lois et une réglementation attractive dans tous les secteurs, mais l’influence de l’environnement a fait qu’il n’y a pas beaucoup d’intérêt pour le pays, notamment ces dernières années. Dans le secteur de l’énergie, d’une manière générale, cette bureaucratie existe et est beaucoup plus liée aux procédures qui prennent énormément de temps et le temps c’est de l’argent pour les sociétés internationales qui viennent avec un programme bien défini, cadré par la loi sur les hydrocarbures. Ces sociétés viennent pour une exploration avec plusieurs phases. Sur le plan technique, globalement, depuis 1986 il n’y a pas eu beaucoup de changements dans la loi sur les hydrocarbures, il y a eu des améliorations, des apports. Ensuite, quand on prend les lois, aujourd’hui, le système fiscal algérien est composé de trois régimes. Il y a le régime de la loi 86-14, qui s’applique à tous les contrats signés dans le cadre de cette loi, Il y a le régime de la loi 2005, première version, je dirais amendée en 2006, qui coexiste avec la 86-14, et il y a la dernière mouture de la 2005, modifiée et complétée en 2013, qui est venue également avec un autre régime et les trois régimes marchent en parallèle. Il n’y a pas de problèmes. Les partenaires sont-ils rassurés à votre avis ? Les partenaires dans les débats lors des conférences estiment que le climat a changé et la confiance commence à revenir. Mais d’autres changements s’imposent… C’est une autre amélioration parce que les investisseurs cherchent une rentabilité, et un profit et ils le cherchent dans un cadre précis. Quand on leur fait perdre du temps, ça ne les arrange pas. Il faut que l’investisseur ait confiance. Donc je dis que l’établissement d’un climat de confiance et de sérénité est très important pour les affaires. C’est une condition sine qua non. Cette confiance est en train de revenir et la base d’une confiance c’est d’abord le dialogue. C’est dialoguer entre deux structures et ce sont ces échanges qui vont aboutir à une confiance. Je pense que le ministère a ouvert le dialogue avec les partenaires. Alnaft reçoit tout le monde et discute avec tout le monde. Elle écoute les sociétés pétrolières en matière d’exécution des opérations ou en matière d’incompréhension de la loi. Donc, l’essentiel est que le climat des affaires dans le secteur de l’énergie est en train de s’améliorer et d’aller dans cette direction. Comment intéresser justement les nouvelles sociétés pétrolières ? Maintenant, le deuxième élément, pour intéresser les futurs partenaires, c’est bien sûr le profit qu’ils cherchent. Ces compagnies aspirent à maximiser leurs produits. C’est tout à fait légitime de leur part et la loi actuelle, de mon point de vue, n’est pas suffisamment comprise et expliquée simplement, parce que les gens font une lecture probablement orientée, où on prend le maximum prévu par la loi en matière de taxes.  Certains pensent que le résultat de la loi 2013 c’est que l’Etat prend 93% des taxes et qu’il ne resterait que 7% à partager entre Sonatrach et ses partenaires. Je dis que cela est faux. C’est faux dans la mesure où on prend le maximum prévu par la loi uniquement en matière de taxes. C’est vrai que s’il y a un gisement qui fait plus de 100 000 barils/jour et qui se trouve dans la meilleure zone, la taxe est plus importante, on peut effectivement arriver à un taux de 93%, mais 100 000 barils/jour, c’est quand même 7000 qu’on laisse aux partenaires et qu’on multiplie par 60 dollars, ça donne un chiffre important par jour, soit 42 000 dollars par jour. Mais si on prend un gisement qui fait 10 000 barils/jour et qui se trouve dans un coin isolé où la taxe est très faible on peut se retrouver avec 25% simplement pour l’Etat. Donc, pour lire une loi dans le volet fiscalité, il faut la lire dans sa totalité et il ne faut pas faire simplement une sélection pour orienter une décision Faudrait-il alors expliquer ? Absolument, c’est très important et c’est le rôle d’Alnaft pour expliquer la loi, expliquer les avantages parce que la loi sur les hydrocarbures a été bâtie sur un principe où, théoriquement, quel que soit le prix du baril, il n’y a pas d’impact direct sur la loi et sur les conséquences de cette loi, parce qu’on table sur la rentabilité, et la rentabilité ce sont les revenus sur les investissements. Si le prix du baril est faible, les revenus seront faibles et la rentabilité aussi, et par conséquent les taxes seront faibles. Donc, voilà, c’est le concept qui est mis en exergue dans l’amendement de 2013. Et pour la loi qui va arriver ? Pour l’instant, il n’y a pas de signaux clairs. Aucun signal n’a été donné par le ministre. En juillet, il y aura la première mouture. Mais la loi est un bâti qui se compose de plusieurs pavés. Il y a les fondamentaux, qui resteront fondamentaux. Parmi ces derniers, c’est la propriété sur les hydrocarbures tant qu’ils ne sont pas sortis en surface. Donc, tout ce qui se trouve au sous-sol appartient à l’Etat, même si la société a travaillé et annonce des découvertes. De ce principe découle un autre, c’est-à-dire aucune possibilité d’hypothéquer les réserves du pays. Ça c’est important. Je ne pense pas que quelqu’un puisse les changer. L’autre point fondamental, c’est le principe des 51% pour Sonatrach, sauf si on libère complètement et on revient à la loi de 2005, c’est à dire on va jeter Sonatrach dans l’océan et à mon avis ce c’est pas encore le moment, peut être ça viendra dans quinze ou vingt ans, mais une chose est sûre, ça fait partie des fondamentaux, au même titre que l’interdiction de la torche pour protéger l’environnement (sauf des exceptions par la loi dans certains cas). Il faudrait demander des autorisations et payer des pénalités pour le faire quand le besoin se fait sentir. Quand on part vers les opérations, c’est identifié et nous avons plusieurs phases il y a la prospection qui permet à l’investisseur de dépenser de l’argent sans rien attendre en retour. Ce que gagne l’investisseur, c’est la connaissance et ça concerne essentiellement les études. L’Algérie n’a aucune obligation vis-à-vis du partenaire dans ce cas et le bénéfice qui va à l’Algérie c’est l’étude elle-même. Cette phase de prospection n’est pas exclusive et est ouverture à plusieurs sociétés sur la même parcelle en ayant des datas que fournirait Alnaft. La deuxième étape c’est l’exploration, et là on va changer également. Aujourd’hui, nous avons sept années pour l’exploration qui sont décomposées en phases. Le seul changement qui pourrait intervenir c’est de dire peut-être que sept ans c’est trop ou bien on oublie ces phases comme c’est le cas en Libye. Mais a priori, ça ne gêne personne. Le découpage en phases est en faveur des investisseurs et non en faveur de l’Etat). Aussi, la loi actuelle, contrairement aux précédentes, a ouvert la possibilité à l’investisseur d’avoir déjà comme partenaire Sonatrach, qui s’engage financièrement dans l’exploration. C’est une nouveauté. Il faut savoir que l’exploration est un risque qui n’a jamais été partagé par Sonatrach auparavant. Cette dernière attend la fin de cette étape pour dire je suis votre partenaire si vous avez trouvé. La loi actuelle donne la possibilité à Sonatrach de le faire si elle est intéressée, ce n’est pas une obligation. Et ça c’est un avantage qui est donné aux autres sociétés. La contrainte, c’est simplement de dire que Sonatrach doit s’annoncer avant l’appel d’offres. Quand on passe au développement, qui commence par un plan remis à Alnaft pour approbation, et à ce niveau, il y a des délais qu’il faut réduire. Car, les gens perdent du temps. Il faudrait que la loi soit respectée. D’ailleurs le texte de 2013 a mis la pression sur Alnaft. Si on passe à la phase d’exploitation, elle est bien définie, la prise en charge est bien structurée et les investissements sont tous affectés d’un taux d’actualisation c’est-à-dire pour les dollars investis en 2000, il y a un bénéfice supplémentaire aujourd’hui. La loi prend en considération le fait que l’investissement a duré des années. Jusqu’à la production, le processus est là et ne pose aucun problème. C’est bien encadré. Où résident les problèmes alors ? Le plus gros problème se sont les gens qui sont chargés de l’application de la loi. Ils doivent répondre aux demandes dans des délais précis. Quid des profits ? Il faut comprendre le processus de la loi.  Tant qu’on n’a pas la sortie, les hydrocarbures appartiennent à l’Etat algérien. On va résumer le processus. Quand le pétrole sort des puits, il va à travers les installations de traitement et là l’Etat donne déjà un avantage gratuitement au contractant. Il est autorisé à prélever des quantités pour ses besoins, dans des proportions raisonnables. C’est déjà un avantage. Les pertes en cours ne sont pas prises en compte, par exemple. Une fois mis à la porte du pipe, il y a les points de mesure. C’est là que les choses commencent à prendre forme en matière financière. Et là, la production reste chez le contractant et l’Etat commence à demander ses droits par la première taxe qui s’appelle la redevance, dépendante de plusieurs facteurs : du niveau de production et de la zone, notamment. Cette taxe varie de 5,5% à 20%. Ensuite, dans tout ce qui reste de cette production va couvrir le coût du transport et c’est l’Etat qui le prend en charge en plus. Après, on valorise et on calcule les investissements totaux (exploration et développement) pour les rembourser et on passe à la taxe sur les revenus   pétroliers. Dans ce cas, je pense que le mot taxe est inapproprié parce que c’est toujours le remboursement de la propriété de l’Etat. Et là, l’Etat tient compte du niveau de production et de certains paramètres pour payer la taxe qui va jusqu’à 70% et ça continue comme ça. Cette taxe dépend de la rentabilité. Si cette dernière est inférieure ou égale à 10%, vous avez le minimum de taxes sur le revenu pétrolier, c’est-à-dire 20% et 10% pour le non conventionnel, mais si vous avez une rentabilité qui dépasse 20%, là vous avez le plafond des taxes, 70%, pour le conventionnel et 40% pour le non conventionnel. Voilà, jusqu’ici c’est bon. L’Etat prend sa part. Ensuite, il y a une autre taxe : les profits. On ne voit plus les hydrocarbures, mais une société qui opère en Algérie. Vous avez votre résultat, moi je le taxe. L’opérateur est taxé à 30% pour certaines catégories et 19% pour d’autres. Ces derniers ont bénéficié d’un avantage fiscal. Là, quand la rentabilité dépasse 20% la taxe est de 80%. Ce qui est contesté par les gens. Ça fait peur. Mais le problème est de savoir quels sont les projets qui vont être dans cette catégorie, moi je dirais deux ou trois, c’est tout. A votre avis , y a-t-il lieu d’alléger ? On peut revoir et rabaisser les taux pour être en compétition avec d’autres pays. La nouvelle mouture peut effacer tout cela et venir avec autre chose. Qu’en pensez-vous ? Moi, je pense qu’avant de se lancer dans un chantier nouveau, il faut d’abord étudier ce qui existe. Il y a lieu d’améliorer. Et pour le développement du gaz de schiste ? Pour le gaz de schiste, c’est cadré par la loi aujourd’hui. Nous sommes en phase de prospection.  Ce gaz va coûter cher et plus on précise les études, plus on gagne en temps et en argent par la suite. Donc, le gaz de schiste a un calendrier et présente une complication par rapport au conventionnel. Il faudrait que la chaîne logistique soit très performante. C’est là où on gagne. Si ce ne sera pas le cas, on perdra énormément d’argent, on ne va pas tirer profit de ce projet économiquement sauf pour la sécurité énergétique du pays parce que cela n’a pas de prix. Aujourd’hui, on est à l’aise. Mais, d’ici 2030-2040, tout ce qu’on produira ou 60 à 70% seront destinés à la consommation interne si rien ne change. Qu’en est-il pour les énergies renouvelables ? Il faut être cohérent avec sa démarche. En 2011, on déclare un programme présidentiel de 22 000 mégawatt (mW) pour 2030. Il y a eu une volonté et on a terminé un programme de 400 mW en 2014. Mais de 2014 à aujourd’hui, on n’a rien fait en quatre ans, zéro mW malgré l’avantage que présentent les ENR par rapport aux hydrocarbures. Mon idée c’est d’encourager les citoyens à s’auto-équiper en électricité via les EN en leur accordant des subventions. Ça peut représenter 30 ou 40% du programme. Maintenant les responsabilités entre ministères ont été clarifiées, l’énergie se charge de tout ce qui est connectable au réseau et l’environnement se charge du reste. Ça ne gêne pas, mais ce qui est important aujourd’hui, il faut être concret. Il ne faut pas qu’on regarde les ENR sur du papier. Les ENR sont une nécessité. Ces énergies ne vont pas remplacer les hydrocarbures, certes, mais c’est un complément pour assurer la sécurité énergétique et éventuellement donner au pays la possibilité d’avoir un peu plus de revenus.


Lire la suite sur El Watan.