Un moment fondateur



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Avril 80  peut être interprété comme l’expression d’une volonté de réécrire un récit national loin du mythe, du délire, du mensonge et de l’arrangement. Un récit plus conforme à la vérité historique par l’adjonction des fragments manquants et la réhabilitation des mémoires interdites. Avril 80 est un moment historiquement dense. A partir de l’angle culturel, le printemps berbère réexamine les différents aspects de la problématique algérienne. Pour mieux restituer le sens profond de ce moment fondateur, il convient de rappeler à grands traits le contexte national et international de l’époque. L’échec des expériences de modernisation autoritaire survient dans un monde en pleine mutation. En effet, les premiers signes de fissuration du bloc soviétique apparaissent au moment même où l’offensive néolibérale annonce les prémices d’un paradigme nouveau devant présider à l’administration de la planète : la mondialisation. L’Amérique latine et l’Europe méridionale entament leur transition démocratique, l’Asie sort de sa longue léthargie pour montrer un dynamisme économique insoupçonné et l’islamisme le plus radical prend le pouvoir en Iran. L’ancien système mondial d’alliances s’effrite et les autoritarismes du Sud paniquent. Et pour pouvoir durer, ils se mettent en quête de nouvelles ressources politico-idéologiques et osent même se laisser tenter par les pires collusions, comme la connivence avec l’islamisme dans le cas de l’Algérie. Nos dirigeants ont promis le développement, un développement par ordonnance, sans notre avis ni notre participation. Nous avons eu le sous-développement, l’obscurité et la peur du lendemain. L’échec est patent et l’exaspération sociale est à son comble. Avril 80 est une incursion dans ce monde hésitant et l’univers incertain de l’autoritarisme. Avril 80 peut être interprété comme l’expression d’une volonté de réécrire un récit national loin du mythe, du délire, du mensonge et de l’arrangement. Un récit plus conforme à la vérité historique par l’adjonction des fragments manquants et la réhabilitation des mémoires interdites. Non, l’histoire de l’Algérie ne commence pas au VIIe siècle et ne saurait se réduire à l’épopée novembriste. Un récit par ailleurs ancré dans le réel par la réappropriation du temps et de l’espace. L’irruption soudaine et prolongée des populations dans le champ public a en effet ouvert de nouvelles perspectives. L’initiative a changé de camp. Et à ce titre, avril 80 est un moment de modernité. Il a bousculé, agacé. Mais il a éveillé et osé montrer de la vie dans une société supposée morte car «consentante». Le citoyen découvre avec surprise et soulagement qu’il existe autre chose en dehors du parti unique. Avril 80 a révélé d’autres lieux, d’autres sons, d’autres figures. Il a mis en lumière d’autres manières de voir, de concevoir, d’imaginer demain. L’exigence de citoyenneté est par ailleurs au cœur de l’esprit d’avril 80. La réalité est plurielle et elle doit être reconnue comme telle. La démocratie n’est pas dans l’existence des différences. Elle est dans l’aménagement des espaces pour l’expression libre de ces différences. Le mouvement a su éviter l’impasse la plus redoutée, la plus redoutable, celle du repli, du rejet de l’autre, autrement dit l’affirmation par l’exaltation de la différence en réaction à la négation de cette même différence. La dictature a parfaitement saisi l’enjeu. Pour elle, parler autrement peut préparer à penser autrement et à terme, susciter d’autres droits, comme le droit de regard, le droit de choisir, le droit de s’organiser, d’entreprendre, etc. Un système sans mémoire L’appel de la culture, compris comme la liberté de création au sens le plus étendu, et le ressourcement dans la profondeur historique partagée par tout le nord de l’Afrique pouvaient constituer une réponse aussi bien à l’impasse autoritaire qu’au défi d’un monde en pleine mutation. Hélas, aveuglés par la seule question du pouvoir, nos dirigeants ont depuis longtemps perdu le sens des perspectives historiques. Aussi, face au Printemps 80, ils feront le choix de la répression, de la guerre idéologique et de la propagande la plus odieuse. Tous les métiers détestables de la dictature sont mobilisés pour pervertir le mouvement : intoxication, infiltration, noyautage, manipulation et autres. Les Kabyles sont accusés de séparatisme et de complot contre l’Etat. Ils sont également accusés d’avoir brûlé le Coran et souillé le drapeau. Cela a eu pour résultat immédiat de créer un effet d’aubaine dans les milieux conservateurs et au-delà. Comment interpréter une telle démarche irresponsable sinon comme un feu vert à toutes sortes de dérives, un appel au crime ? L’inquisition islamiste ou la gâchette facile des services de sécurité ne trouvent-elles pas là leur explication ? N’est-ce pas là la meilleure manière de mener à bien la fracturation nationale ? Nulle part dans le monde il n’existe de problème identitaire. En revanche, il y a des stratégies identitaires. Elles sont à l’origine des plus grands drames de l’humanité. Notre pays a eu à en payer le prix fort. En effet, en déplaçant la problématique d’Avril 80 du terrain politique vers le terrain idéologique, le pouvoir a rendu possible l’évolution la plus sombre pour le pays. La décennie sanglante est la conséquence directe la plus visible. Mais en dépit de toutes les tragédies vécues, nos dirigeants ne semblent pas avoir exorcisé en eux cette tendance irrésistible à l’inamovibilité, tentation à vouloir rester à n’importe quel prix. Une existence sans vie Aujourd’hui, tamazight jouit d’une reconnaissance formelle. Ce n’est pas rien. Toutefois, elle est sans existence réelle. La promotion de tamazight va très vite buter sur le mur où se sont déjà fracassés le multipartisme, le droit de grève, la liberté de culte, la liberté d’expression, le droit de choisir librement les gouvernants, la liberté d’entreprise ; bref, toutes les libertés individuelles et collectives. Il s’agit bien sûr de l’absence de l’Etat de droit et de la médiation démocratique. L’académie portera les limites liées à la nature du système et à l’état des libertés publiques en situation autoritaire. L’autoritarisme impose des limites à l’intérieur desquelles aucune forme de liberté ne peut exister. Le propre des constructions virtuelles est d’offrir de l’illusion. Celle-ci peut tromper. Elle peut également «séduire». L’impatience, source de tous les opportunismes, se charge du reste. Il s’exprime déjà un droit de propriété sur la future Académie de la part de certains au titre de leur engagement réel ou supposé pour la cause amazighe. Cette attitude néo-patrimonialiste n’est pas sans rappeler la légitimité historique dont se drape l’autoritarisme pour justifier sa longévité. Pour les besoins de ses échafaudages à venir, le pouvoir semble vouloir encourager l’émergence d’interlocuteurs «sur mesure» en Kabylie. Les candidats, comme d’habitude, ne manquent pas. L’officialisation de Yennayer a déjà donné lieu à une profusion de propos répugnants faisant l’éloge du pouvoir et tenus par de piètres chefaillons sans racines et dont le seul domaine d’excellence est le grenouillage et l’offre de service. Ils n’ont même pas l’envergure des grands traîtres. C'est-à-dire trahir la tête haute, en assumant, sans avoir à se cacher derrière un accent, une posture ou une paire de lunettes. Encore et toujours la Kabylie La Kabylie est sans cesse suspectée et constamment sommée de prouver sa loyauté. Après chaque preuve, il est exigé d’elle une autre preuve, puis la preuve de la preuve et ainsi jusqu’à frôler l’affront. Cette récurrente mise à l’épreuve cache en réalité un mépris inavoué et un rejet inavouable. Le délit de kabylité est là. Il est le résultat d’une élaboration lente et ancienne et tire ses origines dans le mouvement national. La Kabylie a de tout temps évolué sur le fil du rasoir. Pourtant, jamais la Kabylie n’a formulé la moindre demande spécifique, la moindre revendication pour elle-même. Les combats portés par la Kabylie sont des combats pour tous. Ils ont toujours eu pour effet de propulser tout le pays vers moins d’arbitraire et plus de liberté. Elle a payé cher et seule cet engagement pour tous. On ne peut à la fois pratiquer l’isolement de la Kabylie et lui faire un procès en sécession. Elle est en ce moment victime d’un déni de développement flagrant. De hauts responsables de l’Etat le concèdent. Cette politique d’exclusion sournoise doit cesser. Tout ce qui a été dit, écrit et fait contre la Kabylie déshonore la République. L’Etat ne peut se dérober au devoir de repentance et de réparation. La Kabylie n’est pas destinée à être une province turque juste bonne à payer l’impôt. Pas plus qu’elle n’est condamnée à servir de lest dans des rééquilibrages occultes ou à subir indéfiniment et sans réagir aux descentes punitives d’Alger. Le vivre-ensemble impose un devoir de communion et de solidarité. Nos compatriotes des autres régions ne peuvent l’ignorer. Ce devoir doit se manifester clairement et maintenant. Si les luttes démocratiques ont du mal à aboutir, c’est principalement en raison de ces énergies manquantes, défaillantes et parfois même très complaisantes et bienveillantes avec le régime en place. L’unité ne peut exister dans l’absolu. Elle s’incarne toujours dans un destin commun, un idéal partagé. Quelle issue ? Les temps sont certes difficiles. La crise, dans son intensité et ses effets, est masquée par un unanimisme strict n’autorisant aucune critique ni même le droit au doute. Les effets de la décennie sanglante agissent encore comme argument de dissuasion et bloquent psychologiquement toute possibilité de solution. Cependant, le statu quo est indéniablement le choix le plus dangereux car il prépare au pire. La bataille pour l’Etat de droit et les libertés est celle de tous. Les segments propres et crédibles de la société doivent se rencontrer, échanger et projeter ensemble pour épargner au pays une dislocation certaine. Pour exister dans ce monde impitoyable, les solutions ne sont pas seulement d’ordre national. Elles sont aussi et surtout d’ordre régional. Il faut vite se mettre au travail.  Cela exige en premier de mettre un terme à l’aventure et à la provocation. Infliger au pays davantage d’humiliation ne peut être sans conséquences. La commémoration du Printemps berbère doit se faire sous le signe de la résurgence citoyenne et du rassemblement des forces démocratiques. L’esprit du 20 Avril est un capital capable aujourd’hui de fédérer les énergies saines et de réaliser les convergences nécessaires. Avril 80 doit être réinventé tous les jours.  


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