Interview – L’expert Mario Caligiuri

«L’expérience antiterroriste algérienne est plus qu’utile pour l’Europe»



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Le professeur Mario Caligiuri est expert en renseignement international. Pour lui, l’expérience de l’Algérie en matière de lutte antiterroriste est une référence «des plus précieuses». Le coauteur du livre Dix Ans de renseignement fait figure en Italie de référence incontournable sur ce sujet qui, disons-le au passage, fut de tout temps épineux dans la Péninsule. Il a bien voulu réserver à Algeriepatriotique la primeur de ses impressions, au terme d’une rencontre organisée à Rome, et parcourir avec nos lecteurs les contours d’une question devenue au fil des ans des plus importantes, au regard des dangers multiples qui guettent la sécurité et la stabilité internationales.

Algeriepatriotique : L’Algérie qui a lutté dans les années 1990 contre la pieuvre djihadiste et l’a défaite peut-elle orienter, sur le plan international, les efforts de la communauté du renseignement, et notamment pour la prévention du terrorisme ?

Professeur Mario Caligiuri : Il est clair que les enseignements de l’expérience algérienne sont plus qu’utiles pour l’Europe, en prenant en compte les garanties démocratiques et la législation des Etats européens en la matière. Je suis d’avis qu’il faille renforcer dans les plus brefs délais les canaux de collaboration à tous les niveaux, non seulement entre les forces de l’ordre et les systèmes juridiques, mais aussi dans le domaine du renseignement et de la collaboration culturelle. Mais point de doute sur l’inestimable patrimoine d’informations que votre pays peut mettre à la disposition de la lutte contre le terrorisme et les stratégies à mettre en place pour ce phénomène désormais planétaire.

Et ce n’est pas un fruit du hasard qu’un intellectuel qui a beaucoup fait pour faire comprendre le monde musulman en Italie ait été un sociologue algérien, Khaled Fouad Allam en l’occurrence, qui enseignait dans nos universités et qui fut également élu à la Chambre des députés. Malheureusement, sa disparition prématurée en 2015 nous prive aujourd’hui de son immense savoir.

Dans quelle mesure les récentes attaques augmentent-elles le risque d’une nouvelle recrudescence des attentats asymétriques en plein cœur de l’Occident ?

Ces attaques sont devenues au fil des ans des plus imprévisibles. En effet, nul ne peut prévenir des actes, œuvre d’une personne qui se radicalise en très peu de temps, souvent à travers la Toile et internet…

Certes, nous connaissons l’influence exercée par des personnalités charismatiques qui, dans des centres culturels ou dans des mosquées, diffusent cette culture de confrontation et d’intolérance. Mais l’actualité récente, surtout en relation de ce que nous observons en Syrie, Israël et la question de Jérusalem capitale, peut certainement stimuler de nouvelles attaques en solitaire. En conclusion, une situation déjà complexe risque de s’amplifier en raison des événements au Proche-Orient et pourrait créer de nouvelles réactions globales asymétriques dont la portée est absolument imprévisible.

En Occident, on parle beaucoup en ce moment du risque représenté par le retour des djihadistes «à la base». L’Italie est-elle prête à y faire face ?

L’Italie a développé au cours des années, en se confrontant au crime organisé et à la lutte armée de certaines formations politiques (les Brigades rouges et le terrorisme d’extrême droite…), une particulière sensibilité dans l’ébauche de modèles de législation, dans le contrôle du territoire et de la compétence spécifique des magistrats, des forces de police et des institutions de renseignement. Récemment, nous avons produit une législation très avancée sur la lutte contre la radicalisation, surtout grâce à l’action du magistrat Stefano Dambruoso. Cela dit, et je réponds à votre question, nonobstant le caractère urgent et dangereux du retour des djihadistes, j’estime que l’Italie pourra y faire face, eu égard au niveau assez réduit de ce phénomène dans notre pays, par rapport aux milliers de combattants étrangers en provenance de France, d’Allemagne et du Royaume-Uni.

Le renseignement italien prend-il au sérieux les risques des synergies possibles entre le terrorisme islamiste et les diverses organisations criminelles opérant en Italie, comme la mafia en Sicile, la Camorra en Campanie, la ‘Ndrangheta en Calabre…

Le renseignement en Italie a développé en son sein des sections spécialisées dans l’analyse et la gestion du terrorisme fondamentaliste. Par ailleurs, ses structures collaborent avec les autres forces de police dans le cadre des activités du Comité analyse stratégique antiterrorisme.

Concernant les hypothétiques synergies avec le crime organisé, des enquêtes de justice ont été menées et ont minimisé le risque de ces liens. Selon certains experts italiens, il est difficile de promouvoir des collaborations structurelles entre des organisations criminelles et des groupes terroristes, ayant des objectifs qui, loin de converger, sont souvent aux antipodes les uns des autres.

Enfin, quel est l’état actuel de la coopération entre les renseignements dans notre région ?

La coopération en Méditerranée entre les renseignements des divers pays de la région face au crime organisé et au terrorisme est plus que jamais fondamentale, car ces deux phénomènes se développent aujourd’hui sur une échelle globale exigeant la récolte d’informations sur tous les plans et à tous les niveaux. Cependant, je continue à croire que le renseignement qui représente le cœur de la souveraineté d’une nation est amené à définir ses activités, selon les règles particulières de chaque pays.

Pour être tout à fait franc avec vous, la coordination sur le plan international est, certes, nécessaire mais une collaboration loyale et sincère sera difficile à voir le jour, car les intérêts des pays divergent souvent de question à question. Je prends pour exemple Israël et l’Europe, ce qui est évident pour l’un ne l’est pas pour l’autre.

Sur un plan strictement européen, il a été souvent question de renseignements continentaux unifiés sur le crime organisé et le terrorisme mais force est de constater que les priorités divergentes des Etats membres sur ces questions ont fait échouer les initiatives, bien que louables, des promoteurs de ce projet.

Propos recueillis par Mourad Rouighi


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