Grises mines sur les flancs du Zaccar



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Lundi 7 mai 2018. Station de taxis de Kharrouba (Alger). Il est 6h40. Nous prenons place à bord d’un taxi collectif à destination de Khemis Miliana. Le taxi démarre au bout d’un quart d’heure après s’être assuré que chacun de ses sept passagers a payé sa place. 120 km séparent Alger d’El Khemis. Il ne fait pas beau ce matin, temps lourd, ciel chargé. Passés Boumedfaâ et Hoceïnia, le brouillard est tellement épais que la visibilité est de quelques mètres à peine. Le véhicule gravit prudemment le col de Khandek, haut de 638 m. Le brouillard persiste encore sur plusieurs kilomètres. En se dissipant, les cimes du Zaccar commencent à poindre leur nez sur notre droite. 8h20. Nous voici à El Khemis. C’est la première étape de notre virée en direction des petits hameaux accrochés aux flancs du Zaccar, dans la wilaya de Aïn Defla. Le ciel commence à s’éclaircir, mais il fait frais, autour de 13°. Nous sautons dans un autre taxi à destination de Miliana. En levant les yeux vers le nord, le mont Zaccar nous salue du haut de son piédestal. Avec ses 1550 m d’altitude, il domine majestueusement le paysage. C’est le point culminant, apprend-on, du massif du Dahra dont la capitale est Mostaganem. 8 km séparent El Khemis et Miliana. Une route sinueuse grimpe vers les contreforts du Zaccar qui servent d’écrin à la protégée de Sidi Ahmed Benyoucef, le marabout tutélaire de la région. «Parfois, les gens confondent les deux villes ; ils pensent que Miliana est située sur la plaine. Alors, quand ils me voient monter comme ça, ils sont perplexes et me disent : tu vas nous emmener à la montagne ou quoi ?» lance le chauffeur de taxi. A mesure que nous gravissons la côte, la route fraye au milieu d’une végétation luxuriante. L’air se purifie. Les poumons se gonflent de vie et les organismes retrouvent un peu de verdeur. Quand le fer du Zaccar alimentait la Tour Eiffel Une locomotive exposée à l’entrée de la ville annonce Miliana. Un symbole fort du passé minier de la région. Les vieux remparts disent la profondeur historique de celle que l’on surnomme la «perle du Zaccar». L’architecture de Miliana, faut-il le rappeler, s’est écrite sur plusieurs strates et palimpsestes urbains, où se mêlent le phénicien, le romain, l’ottoman et le tissu colonial, sans oublier l’empreinte fatimide sous le règne de Bologhine Ibn Ziri, le fondateur d’Alger. Il faut mentionner aussi Abdelkader qui comptait à Miliana une manufacture d’armes devenue, depuis, un musée. Il y avait établi, dès 1835, un khalifa dirigé d’abord par Mahieddine Seghir puis Mohamed Ben Allel. La ville est comme bâtie sur un belvédère, d’où la vue imprenable que l’on a depuis la place Ali Amar alias Ali Lapointe, nom donné à l’esplanade connue sous le nom de La Pointe des Blagueurs. Un panorama féerique qui surplombe la plaine d’El Khemis, la vallée du Chéliff et les piémonts du Ouarsenis. Il est bientôt 10h. Nous nous engouffrons dans un troisième taxi à destination de Ben Allel, chef-lieu d’une commune située à 9 km à l’ouest de Miliana, et qui doit son nom à Mohamed Ben Allel, le khalifa de l’Emir et héros de la première résistance anticoloniale, mort au combat en 1843. A noter que la daïra de Miliana compte deux communes seulement, à savoir Miliana et Ben Allel. En empruntant la route de Ben Allel (CW3), on ne peut manquer de croiser, trois kilomètres plus loin, une bâtisse éventrée qui abritait la fameuse Ecole des mines de Miliana. Un vestige qui vient affirmer là encore à quel point la vie sociale de la région a été rythmée, façonnée, par l’activité minière. Cela a duré jusqu’au 31 décembre 1975, date de la fermeture définitive des mines du Zaccar. On aime à rappeler ici ce que la Tour Eiffel doit au minerai du Zaccar et de Rouina et leur fer puddlé très prisé par Gustave Eiffel. 62% de jeunes Quand le taxi achève sa course à proximité du bureau de poste de Ben Allel, nous nous retrouvons au cœur d’une petite localité rustique à l’urbanisme sommaire. Hormis la poste et l’APC qui se partagent l’étroite rue Emir Abdelkader, la petite bourgade compte six écoles primaires, une polyclinique, une salle omnisports, une maison de jeunes, quelques cafés et commerces et c’est à peu près tout. Fait notoire : «Ici, nous n’avons ni commissariat ni brigade de gendarmerie», se sont plaints plusieurs habitants que nous avons rencontrés. La population déplore aussi l’absence d’une boulangerie, et on sait ce que cela représente en plein mois de Ramadhan. La commune est enserrée dans un relief montagneux au maquis dense et perchée à quelque 800 mètres d’altitude. Selon l’APC, la population locale dépasse les 10 000 habitants. Le référentiel démographique reste le RGPH 2008, qui assure que le chef-lieu concentre le gros de la population municipale avec 4657 habitants. Les agglomérations secondaires comptabilisent 900 habitants, tandis que 3511 villageois sont répartis sur les zones éparses. Le site web de la wilaya de Ain Defla précise par ailleurs que la densité démographique sur le territoire de Ben Allel est de l’ordre de 63,2 habitants au kilomètre carré. On apprend en outre que 62% de la population sont jeunes. Parmi eux : Amine et Abdelkrim avec qui nous avons d’emblée sympathisé. Nous les avons croisés devant une épicerie, à quelques mètres d’une salle de sport baptisée «El Moussalaha El Wataniya» (réconciliation nationale). «Ben Allel est juste un hôtel» Amine, 42 ans, marié et père de deux enfants, est manœuvre en bâtiment. Un «zoufri», comme il dit. Abdelkrim, 33 ans, célibataire, est quant à lui titulaire d’une licence en finances (université de Khemis Miliana). Il a également un autre diplôme en gestion des ressources humaines. Les deux compères sont au chômage, quoi que Abdelkrim se console d’études en master dans une discipline qu’il préfère taire par superstition, les deux formations qu’il a faites ne lui ayant pas porté chance, argue-t-il. Amine, lui, chôme depuis neuf mois. Il devait «descendre» à Sidi Lakhdar, à une dizaine de kilomètres plus bas. «Comme le transport manque cruellement par ici, j’attends mon ami Abdelkrim» explique Amine. D’ailleurs, «clandestin» est un métier très couru par ici, quoi que Abdelkrim emmène avec lui ses voisins bénévolement. Le jeune financier est persuadé que la commune a perdu toutes ses forces vives. «Ben Allel est juste un hôtel», lâche-t-il. «Tu viens uniquement pour dormir. La plupart des gens partent ailleurs chercher du travail, à Miliana, à Ain Defla, à El Khemis, à Chlef, à Blida, à Alger… Ils travaillent dans les chantiers de construction ou bien comme portefaix dans les marchés. Les plus chanceux s’engagent dans l’armée», résume-t-il. A quelques encablures de là, un café bondé. Parmi ses clients, Abdelkrim est sûr de reconnaître une ribambelle de diplômés qui rongent leur frein en sirotant leur breuvage amer. «Moi-même je suis passé par là. Après l’obtention de ma licence, j’ai chômé un bon moment. Ensuite, j’ai travaillé pendant deux ans et demi avec la DAS de Ain Defla. Je touchais 9000 DA. Après, on a mis fin à mon contrat. C’était la seule fois où j’ai travaillé avec mon diplôme. J’ai pris ma retraite à 29 ans ! Maintenant, j’aspire à préparer un doctorat. Je préfère continuer mes études, même pour des clopinettes, plutôt que de me rouler les pouces. C’est juste pour boucher le vide.» «On prononçait la chahada avant de sortir le matin» Amine témoigne de son côté : «Avant, je restais deux semaines, trois maximum, sans travailler, mais immédiatement après j’enchaînais sur un autre chantier. Là, ça fait neuf mois que je suis sans travail à cause du takachouf (austérité).» «Pourtant, je suis habile de mes mains. Je suis plâtrier. Le faux plafond, la décoration, c’est mon métier. Je sais poser le PVC aussi…Je descends régulièrement à El Khemis, Ain Defla, écumer les chantiers dans l’espoir d’une embauche. En vain. Tu dois bouger sinon, tu es mort», poursuit-il. «Dans les années 1990, j’ai dû m’exiler à Hassi Messaoud à cause du terrorisme», se souvient Amine. «C’était en 1997. On prononçait la chahada avant de sortir le matin. A l’époque, il y avait eu un grand massacre à Oued El Had, du côté de Arib (le massacre, perpétré le 3 août 1997, avait fait plus de 100 morts, ndlr). J’ai travaillé à Hassi Messaoud pendant quatre ans pour un salaire de misère. Je gagnais 5000 DA par mois mais je n’avais pas le choix.» Amine se retrouve dans la peau du cordonnier mal chaussé, lui qui aura passé la moitié de sa vie à retaper les toits des autres, et qui est hébergé par son frère, avec sa femme et ses deux enfants. Abdelkrim fera remarquer : «Nous sommes pénalisés dans la mesure où Ben Allel est classée en périmètre urbain, alors que comme vous pouvez le constater, tout le relief montre qu’on est en zone montagneuse. Nous ne bénéficions pas de l’aide à l’habitat rural, et en plus de ça, la commune n’a eu droit qu’à un quota limité de logements sociaux. Il y a une véritable pénurie de foncier à Ben Allel. Une part importante des terres ici relèvent du domaine forestier, donc on ne peut pas construire.» Et d’ajouter : «Moi j’habite dans une cité vétuste, tellement vétuste que le plafond se met à goutter à la moindre averse. En hiver, il y a toujours un seau d’eau à côté de mon lit à cause des infiltrations.» Amine enchaîne : «Je peux vous assurer que la majorité de la population de Ben Allel est pauvre. Vous n’avez qu’à voir le nombre de postulants au couffin du Ramadhan. Allez voir le monde qu’il y a à la mairie. Pour moi, c’est le couffin de la honte !» 1300 demandeurs du couffin du ramadhan A la mairie de Ben Allel, il y avait effectivement une foule de demandeurs de la fameuse aide rituelle. «Nous sommes en pleine distribution du couffin du Ramadhan ! Rana hassline. Revenez un autre jour !», nous coupe d’emblée un élu. Le secrétaire général s’excuse poliment de ne pas pouvoir nous recevoir : «Désolé, je ne peux pas vous parler, vous connaissez la loi. Le maire est en séminaire pour toute la semaine.» Un cadre de l’administration municipale consent néanmoins à nous livrer rapidement quelques informations utiles. «Il y a plus de 1300 demandes de couffin du Ramadhan», affirme-t-il en précisant que la valeur du couffin est de 5000 DA par personne. «Si on recense tous les nécessiteux, ça pourrait atteindre les 2000 personnes», ajoute-t-il, soit 20% de la population. Ce taux élevé de demandeurs de «koffate ramadane» témoigne d’une grande précarité sociale et confirme la tendance en termes de chômage. «C’est parce qu’on n’a pas une zone industrielle ou d’activité. Ils (les investisseurs, ndlr) vont vers les autres communes. Ici, il n’y a rien. La commune n’est pas attractive. C’est une région montagneuse à caractère agricole, mais même l’agriculture ne marche pas très bien. Pour gagner leur croûte, les habitants du coin vont travailler en dehors de Ben Allel. S’il y avait une zone d’activité, peut-être que ça aurait atténué les choses. L’éducation et l’administration publique sont les seuls secteurs pourvoyeurs d’emplois. Il y a aussi certains qui travaillent à leur compte. Ils font de l’élevage caprin, de la volaille… L’un possède 4 vaches, l’autre 10 ou 15 têtes de moutons et il vivote avec ça. C’est un peu comme en Grande Kabylie, sauf que là-bas, ils sont beaucoup plus actifs que nous». «Pour les populations des montagnes, rien n’a changé !» Amine résume : «Vous savez, pour les populations des montagnes, rien n’a changé.» «Nous n’avons même pas de boulanger ! Le lait en sachet est rare. La clinique manque de tout. Nous n’avons pas de maternité. Je viens d’avoir un bébé. Ma femme a souffert le martyre avant d’accoucher. Je n’ai pas les moyens d’aller à la clinique Wancharis (une clinique privée à Khemis Miliana, ndlr). Les parturientes sont étalées sur le sol des hôpitaux. La majorité de nos jeunes ne travaillent pas. 90% de ceux qui travaillent se sont engagés dans l’armée. Dès qu’un jeune arrive en terminale, son seul rêve c’est ‘El Casquita’.» Abdelkrim prend le relais : «Quand je vais à Alger, je réalise que je suis un mort-vivant ici. Allah yerhamna (Que Dieu ait pitié de notre âme). La comparaison me fait très mal. A Alger, vous avez tout. On ne sent pas qu’on a les mêmes droits. La santé, le logement, le travail, le transport, les routes, les loisirs, tout manque ici. Tu dois supplier pour tes droits. A Alger, les gens ne votent pas. Le système compte sur les douars oubliés pour gonfler la participation, c’est vrai ou pas ? Il sait qu’il ne peut pas compter sur Bab El Oued ou Sahate Echouhada. Les gens votent en masse, ici, après, ils n’ont rien en retour.»  


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