2 juin 1978-2 juin 2018

Malek Haddad et l’interminable purgatoire



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Comment célébrer le talent d’un poète, parti 40 années plus tôt, au moment où le pays est en butte à des problèmes existentiels relatifs au devenir des libertés publiques et, par voie de conséquence, aux menaces que l’on agite, depuis quelques semaines, au sujet de la démocratie ? Ne serait-ce donc qu’une simple vanité de cénacles littéraires que d’amplifier à l’excès l’indifférence qui s’est abattue sur ce représentant majeur de la littérature nationale de combat ? Sûrement pas, dès l’instant où même le pouvoir politique prétend faire amende honorable dans le domaine des arts et des lettres en réhabilitant certains proscrits parmi nos romanciers, comme ce fut le cas pour Mouloud Mammeri. Hélas, l’ingratitude de l’Histoire demeure en l’état s’agissant d’un certain Malek Haddad enterré dans une discrétion totale le 2 juin 1978. Parler de lui après un si long enfouissement ne doit, par conséquent, avoir lieu que sous l’autorité incontestable de critiques littéraires patentés et de biographes rigoureux. Or, il n’en est rien puisqu’il ne s’en est trouvé qu’un seul libraire à Constantine pour rappeler cet anniversaire à travers une modeste affiche. Dans cette cité écrasée par la tartuferie ramadanesque et demeurée immémoriale jusqu'à l’oubli, nulle institution publique ne s’est manifestée dans ce sens alors qu’une maison de culture et un lycée arborent son nom. En somme, cet écrivain, qui vécut de façon douloureuse son «exil» dans la langue française, ne sera guère épargné outre-tombe par les infamies des clercs qualifiant son œuvre de «strictement étrangère». C’est que de tous les auteurs de sa génération, il fut celui que l’on gratifia le moins à travers les anthologies. Poète de langue française comme l’étaient la plupart des écrivains de son époque, il était cependant frappé d’une sorte de handicap rédhibitoire qui le privait d’une certaine éloquence en arabe dialectal. Aussi traîna-t-il une «oralité» approximative qui finira par le convaincre que la «béquille» de l’écriture où il excellait dans le maniement n’était au mieux utile à son épanouissement que dans les besognes journalistiques, en ces temps-là. Avait-il eu tort de s’autocensurer après qu’il eut publié l’émouvant aveu des «zéros tournent en rond» ? L’on peut y penser car, au moment où il soldait dans un élan suicidaire son altération linguistique, un autre écrivain arabe aussi immense que lui, Salah Stétié pour ne pas le nommer, prenait le contrepied de cette reddition intellectuelle que son alter ego l’Algérien prônait. Assimilant sa condition d’orphelin de lecteurs, Malek Haddad décréta alors que l’on a beau ferrailler, nul auteur ne sortira gagnant de ce duel. Et pour cause, elle est semblable à une loterie avec ses lots de consolation décernés aux «approchants». «D’ailleurs, nous, écrivains algériens, sommes des «approchants», écrivait-il. Plaidant dans ce sens, il ajoutera ceci : «Mon grand père ne m’a jamais lu comme il n’a jamais lu Dib, Kateb Yacine ou tel autre de ces clair-chantant dont le talent n’est pas en cause (…). Je salue donc l’éloquence de tous ces muets car je suis incapable à mon tour de raconter en arabe ce que je sens en arabe (…)». Contrairement au désenchanté Malek Haddad parce qu’il vient d’un espace culturel moins aliéné, le Libanais Salah Stétié y voyait dans la langue du colonisateur une possibilité d’inverser le rapport de domination. «Tant que la langue française, écrit-il, était langue du colonisateur, cette ombre était opaque. La colonisation ayant reflué pour faire place à la complicité, cette ombre est désormais transparente et légère. En effet, si pour l’autochtone, la langue est plus forte que l’identité, il risque de perdre son identité en cours de route et, coupé de ses racines, de n’aller que là où l’on n’a pas nécessairement besoin de lui. Si, au contraire, les racines sont plus fortes, plus prégnantes d’identité, alors il transportera cette identité dans la langue de l’autre, la définissant peut-être mieux grâce à ce regard dégagé : à la fois intérieur et l’extérieur, complice et libre (…)». Un si majestueux compromis étaitil possible pour Malek Haddad ? Probablement pas dès lors que les contextes diffèrent entre un Liban serein et une Algérie incarnant toutes les ruptures. C’est dire pourquoi l’impasse où se trouvait le poète ressemblait à une peine capitale. Mais comme l’on ne refait pas l’itinéraire d’un écrivain, à l’œuvre inachevée, en multipliant les regrets, pourquoi donc ignorer ses écrits mineurs parus dans la presse, là où quelques pépites attendent d’être relues ? D’ailleurs, sa chronique consacrée à l’imam Ben Badis est à elle seule une évocation sublime. Relisons-le : «(…) Jamais un homme dans cette ville qui a tant de mémoire et tant de souvenirs ne fut mieux mêlé à sa sensibilité, à sa personnalité même. C’est une image familière connue et reconnue, un saint, un savant, un guide, une âme… Il est partout. Il existe. Loin des gloires tapageuses et des célébrités surfaites. Il est entré chez lui dans nos cœurs, chez lui dans ces maisons aux portes basses, sous ces voûtes qui soutiennent une espérance incassable, sur ces places vivantes où le ciel devient clairière, dans l’échoppe feutrée, dans l’école murmurante, au fond de la permanence rassurante de cette ville en vigie sur la plaine.» Autre florilège, autre registre dans l’écriture : celle du critique d’art. C’est justement à lui que l’on doit de comprendre ce qu’elle avait d’immensément tragique l’œuvre du peintre Issiakhem. «… Celui qui seul sait supporter le tragique. Le drame est sa matière première. Non parce qu’il se complaise pour dénoncer le malheur, il faut bien le connaître. Il faut en prendre la mesure (…) Comme on arrache brusquement un pansement sur une chair vive sans illusion, sans précaution… Soudain, un univers halluciné et hallucinant s’est imposé à l’artiste. Il éclate chez Issiakhem comme l’injustice suprême. Il sait que le malheur est aussi une faute de goût et ce malheur l’indigne…» C’est ainsi que se déclinait l’onirisme d’un poète torturé mais au verbe lumineux. Le quêteur d’une identité perdue et pour laquelle il mit à l’encan son talent qui était immense. Avait-il eu tort de fermer hâtivement le ban de son plain-chant ou finalement raison de se murer dans le silence afin de chasser les muses de la langue de «l’autre» ? Ces questions sans réponses importent peu puisqu’il a tenu parole jusqu’à son dernier souffle. Celle de se taire pour mieux rentrer chez lui.
B. H.

 


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