Le mensonge, selon ses apôtres



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Lorsqu'on était à l'école primaire, on était astreint à faire des heures supplémentaires dans l'école arabe, où la matière dominante était l'apprentissage du Coran et des règles religieuses. Vous dire qu'on y allait avec enthousiasme serait vous mentir, mais l'obéissance aux parents et à leurs décisions impliquait des sacrifices, et aller à cette école à contre-cœur en faisait partie. Ce qui était particulièrement éprouvant, c'était de voir nos camarades français manifester leur joie à la veille de vacances, alors que pour nous, vacances signifiaient plus d'école arabe. L'école se résumait à une unique salle de classe, avec trois rangées, dont l'une était occupée par les filles, pour qui le hidjab et la mixité dangereuse n'avaient pas été encore inventés. Un jour, le maître nous dispensa un cours sur le mensonge, illustré par la «falaqa» retentissante infligée à un élève qui s'absentait régulièrement, et avec des excuses irréfutables. Le petit malin, sachant que le maître avait des sympathies pour les combattants de l'ALN, justifiait ses absences par les visites à son père, moudjahid, emprisonné assez loin d'Alger. Bien sûr, au retour de chaque «visite», on avait droit à un compte-rendu sur les retrouvailles et à une discussion passionnée, sous l'œil attendri du maître qui devait envier le sort de ce père héroïque.
Mais un jour, la ruse fut éventée et notre Pinocchio démasqué : lors d'une discussion avec un parent d'élève, il apprit que le supposé prisonnier était en réalité tout à fait libre et travaillait en France. Le faux fils de moudjahid eut beau supplier, promettre au «cheikh» de lui ramener de l'huile et des figues de Kabylie, ce dernier resta inflexible et exécuta la sentence de 10 «falaqas»(1). Pendant que le supplicié regagnait sa place, les pieds endoloris et sous les quolibets, le maître commença sa leçon en nous mettant en garde contre le mensonge, interdit par l'Islam. Il nous cita à l'appui de son propos le verset du Coran correspondant au sujet, ajoutant que le pire des péchés, la faute imprescriptible, était de mentir à Dieu(2), alors là pas de pitié ! Puis, se tournant vers les filles, le cheikh énonça l'axiome fatal : «Cependant, dit-il avec un large sourire, ce qui ne lui arrivait pas souvent, on a le droit de mentir à sa femme.» Evidemment, les filles qui n'avaient pas encore appris la soumission aux décrets des théologiens protestèrent contre cet injuste privilège masculin et elles avaient tout à fait raison. Car, le maître, en bon musulman algérien et très sélectif, nous avait donné une version tronquée et très orientée des textes qui fixent les règles et les limites assignées à l'art du mentir conjugal.(3)
Mentir à sa femme est donc permis, si c'est dans le but de l'amadouer, de resserrer les liens d'affection du couple, comme la traiter de colombe, alors qu'elle peine à mouvoir sa surcharge pondérale. Normalement, la règle est la réciprocité puisque la plupart des théologiens, plus ouverts, ont laissé la possibilité à une femme d'appeler son mari «mon poussin», même s'il est plus obèse qu'un député. Mais l'interprétation masculine, généralement consensuelle et mise en pratique, est le hadith qui autorise expressément  à  mentir dans trois cas : l'homme ment à sa femme pour lui être agréable, il ment dans le cadre d'une action de conciliation, et quand il est en guerre. La conciliation n'ayant pas eu lieu d'être, le mensonge en cas de guerre a été massivement et ouvertement déployé en pays arabes, lors de la guerre de juin 1967, comme le rappelle opportunément le quotidien Al-Hayat. Le journal revient sur le décès, survenu lundi dernier, d'une figure de la radio égyptienne et de la «Voix des Arabes», Ahmed Saïd, à la veille du 51e anniversaire de la défaite. L'auteur Hazem Siagha ironise sur le titre de la célèbre émission «Des mensonges démentis par la réalité», qui aurait dû, selon lui, s'intituler «Des réalités faussées par le mensonge». Rappelant son rôle lors de ce conflit, il souligne que les communiqués que lisait Ahmed Saïd à la radio n'étaient pas de sa main, mais des bulletins militaires. «Toutefois, la teneur de ces bulletins, que les militaires ont rédigés et leur tonalité générale resteront irrémédiablement attachés à son nom, du fait de la conviction qu'il mettait à les lire. Ahmed Saïd était un fonctionnaire mais un fonctionnaire convaincu de son rôle, et ce qu'on sait de lui incline à penser qu'il était prêt à tout faire pour servir la cause en laquelle il croyait. Ahmed Saïd est mort, mais nous avons encore un Ahmed Saïd qui ne veut pas se résoudre à mourir et à emporter avec lui le mensonge. Malheureusement, note Hazem Siagha, nous n'avons pas retenu la leçon de 1967, et nous avons eu un autre exemple à Baghdad, avec les ‘’victoires’’ de Saddam Hussein sur les Américains.» Sans oublier les exploits guerriers de Hafedh Al-Assad, le «Héros du Golan», chantés par les médias syriens, lors de la troisième guerre israélo-arabe d'octobre 1973. Bien sûr, le quotidien saoudien de Londres met de côté le plus gros mensonge, de fabrication américaine celui-là, celui des armes de destruction massive, que l'Irak était accusé de posséder. Le mensonge se perpétue, et se renouvelle et il est certain que les menteurs arabes sont issus, pour la plupart, de l'école américaine. Il suffit juste d'une ou deux fatwas appropriées pour faire passer la pilule, et nous disposons pour cela de réserves inépuisables. 
A. H.

1) Sentence qu'il exécuta lui-même, ce coup-ci, estimant avoir été roulé dans la farine, et sachant qu'habituellement, il déléguait ces fonctions aux deux élèves les plus costauds et ne craignant pas d'éventuelles représailles. L'un tenant fermement les deux pieds joints en posture idoine et l'autre dispensant la châtiment avec un bâton aussi douloureux que flexible. Notre grande revanche a été de voir un de ces malabars subir lui aussi la punition, avant de prendre la saine résolution d'aller au maquis.
2) Beaucoup parmi nous se sont interrogés, après la classe, comment on pouvait mentir à Dieu, puisqu'il sait tout, mais comme l'expérience nous avait appris que contredire le maître pouvait avoir de douloureuses conséquences. Ceci dit, on peut tromper Dieu, comme le fit un notable de mon village: lorsqu'il était pauvre, il se confondait en prières, en suppliques demandant à Dieu de l'enrichir. Dès qu'il fut exaucé, il s'empressa d'oublier le chemin de la mosquée et on dit de lui depuis : «Evitez l'homme qui a roulé Dieu !»
3) Ne nous attardons pas trop sur cette tendance lourde à tout codifier, y compris la pratique du mensonge, alors qu'il y a un décalage évident entre les textes et la réalité, cette réalité attestant en permanence de l'injustice faite aux femmes.


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