«Attention à l’imitation dans les domaines du tourisme !»



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Depuis des années, on parle de la promotion du produit touristique local, mais l’Algérie n’attire toujours pas. Même les nationaux boudent cette destination. Qu’est-ce qui bloque réellement le décollage du tourisme local ?

Le tourisme est un art complexe et son management doit mettre en œuvre une synergie de compétences multiples. C’est un secteur d’activité qui ne ressemble à aucun autre, tant il est émaillé de spécificités et de subtilités où pragmatisme de terrain et capacité d’anticipation se conjuguent au présent.

C’est une des raisons multiples pour lesquelles ce projet semble bloqué. En tout état de cause, cette situation ne saurait perdurer.

En revanche, si les «nationaux» que je qualifierais plutôt de «demande interne naissante», boudent ou manifestent un certain mécontentement ou ressentiment vis-à-vis de leur pays, cela serait pour moi un signe plutôt positif auquel il est essentiel d’accorder la plus grande attention, car c’est un gisement indispensable à partir duquel l’Etat algérien pourrait bâtir sa stratégie touristique.

J’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de dire et de répéter qu’il n’y aura pas de tourisme réussi sans une demande interne nationale forte. Il suffit de regarder vers la gauche ou vers la droite du pays pour s’en rendre compte.

Et si vous regardez en face, vous comprendrez que si le tourisme français se porte «plutôt bien», c’est grâce à sa demande interne qui lui garantit deux tiers de ses recettes chaque année.

Le tourisme nord-africain, quant à lui, sombre depuis sa naissance dans un phénomène de saisonnalité chronique et je ne pense pas qu’il s’en remettra un jour.

Pour réussir sa stratégie touristique, l’Etat algérien devrait se positionner en stratège capable d’avoir une vision, de devancer les enjeux d’aujourd’hui et de voir vraiment «au-delà».

Le tourisme n’est en rien comparable au pétrole, ni aux hydrocarbures en termes de complexité et d’acuité. Partant de là, la conduite de cette stratégie repose principalement sur la mise en place et la maîtrise sans faille d’un «cluster» d’acteurs du tourisme. Ces derniers doivent être mobilisés pour agir en collectif vers la compétitivité de la destination.

Ces synergies d’acteurs du tourisme autour de l’offre doivent être customisées par les pouvoirs publics, les ressources et attractions, la formation, les activités complémentaires, les entreprises, les acteurs locaux, les conditions de la demande et le management de la destination dans une logique de coconception et de coproduction. Voilà pourquoi, pour le gouvernement, il n’est pas toujours aisé d’entreprendre ce vaste projet. Ce qui n’excuse pas du tout la situation de léthargie dans laquelle se trouve le tourisme en Algérie.

Ce qui est plus regrettable dans ce contexte, c’est le manque d’initiatives fortes pour inciter le secteur privé à entreprendre dans des investissements touristiques via des dispositifs fiscaux spéciaux et autres facilitations…

Il est également quasiment impossible de réussir une stratégie touristique sans avoir d’abord mis en place des programmes de formation adaptés aux métiers très divers du tourisme et des activités touristiques.

Ne pas oublier de distinguer les managements des divers segments du tourisme, du management touristique pur.

Autrement dit, le management hôtelier ou celui de la restauration, par exemple, n’ont presque rien à voir avec le management touristique pur. Même les plus grandes destinations mondiales du tourisme s’étonnent de confondre les différents types de managements. J’insiste sur le danger de la facilité qui consiste à importer des modèles d’activités touristiques et des know-how prêts à installer.

Ces modèles ne marchent que dans le pays où ils ont été conçus. Attention donc à l’imitation dans presque tous les domaines du tourisme, car ça ne marche pas n’importe où.

Pourquoi les agences de voyages n’accordent pas un grand intérêt à la promotion du produit local ?

Sans rentrer dans les détails, les facteurs structurels, culturels et conjoncturels qui impactent durablement tous les métiers du tourisme sur le plan international ne sont favorables ni pour les agences de voyages nationales et internationales ni pour leurs clients étrangers, pour le moment. Le métier d’agent de voyages consiste principalement à distribuer des produits touristiques conçus par leurs partenaires, les tour-opérateurs.

Or, ces agences de voyages ne peuvent pas vendre des produits qui n’existent pas ou qui sont en cours de conception, ou bien encore des produits touristiques inachevés, inadaptés ou à risques. Comme je l’ai dit précédemment, c’est à l’Etat de donner le «la» dans le domaine du tourisme.

Puis, les autres acteurs des activités différentes du tourisme suivent et développent les processus en parfaite synergie avec leurs partenaires, les autres acteurs. Reste qu’il est toujours possible pour les agences de voyages téméraires, dont l’activité est encadrée sur le plan juridique de façon drastique par l’Etat, de prendre des initiatives «casse-cou» en tenant compte de toutes les responsabilités qui leur incombent, mais à leurs risques et périls. Il me semble qu’elles ne se livreront pas dès demain à ce genre de pratiques, car financièrement non plus, ce n’est pas rentable.

Comment faire pour assurer cette attractivité ?

L’Algérie n’a rien à envier en termes de ressources touristiques à ses voisins de la Méditerranée. Par contre, là où le bât blesse, c’est dans le développement, la promotion, le montage et le management de ces ressources touristiques.

Ce phénomène est relativement facile à expliquer car la raison principale pour laquelle l’Algérie enregistre un grand retard par rapport aux autres destinations touristiques comparables est le fait de posséder des ressources pétrolières «suffisantes» pour faire vivre le pays.

Alors, le tourisme et l’ensemble des domaines qui pouvaient générer des recettes complémentaires pour l’économie du pays étaient jusque-là mis de côté. Maintenant que tout le monde sait que ces ressources pétrolières sont loin d’être éternelles, il convient donc de procéder sans traîner à un arbitrage judicieux des ressources du pays et à ce propos le tourisme est certainement le domaine élu pour assurer une alternance économique sereine et sans douleur.

Pour garantir son attractivité, notre pays doit créer des points d’intérêt variés, exploiter la diversité de ses paysages, promouvoir et prendre soin de la richesse de son patrimoine historique, gastronomique, culturel et artistique.

Pour faire plus court, l’Etat doit assurer les facilités d’accès et d’infrastructures de transport, mais aussi fournir des équipements importants et variés en structures d’accueil.

Il est certain que le chantier est gigantesque, mais quand les moyens sont là, il faut y aller sans hésiter. Ainsi, chaque département du pays devrait être un département touristique à part entière et avec plusieurs points d’intérêt.

L’Algérie doit sans attendre mettre au service du tourisme des ressources numériques suffisantes car celles-ci vont booster à coup sûr son développement. L’exemple français dans le numérique est intéressant. L’e-tourisme est le premier secteur du e-commerce en France.

Selon Phocuswright, cela représente 18,7 milliards d’euros en 2017, soit une croissance de presque 7 % en un an, avec un taux de pénétration des ventes en ligne de 43 %, taux en retrait par rapport aux principaux pays européens (50-51%). Les ventes en ligne devraient atteindre 22 milliards en 2020 (donc taux de pénétration des ventes en ligne de plus de 45%).

Les chiffres ci-dessus ont été réalisés sans l’application des nouveautés suivantes : la réalité virtuelle, la réalité augmentée et l’intelligence artificielle.

Vous imaginez ce que deviendrait le tourisme du pays si chaque département prenait en charge ses initiatives touristiques dans un mode d’interconnexion et d’interdépendance en cohérence et en harmonie avec sa région, puis sa nation, et ce, grâce à la magie du numérique ?

Les responsables du secteur parlent de la réhabilitation des infrastructures publiques. Où en est à votre avis ce chantier ?

Pourquoi pas ? A condition que ces actions soient en parfaite adéquation avec les règles de montage de produits touristiques. Mais aussi sous réserve d’une restructuration intelligente basée sur une adaptation conforme aux attentes de la demande nationale et internationale et en concordance avec les standards des réglementations internationales de sécurité et d’hygiène.

Ne pas oublier quand même qu’il est très hasardeux de faire du neuf avec du vieux, au moment où tout le monde a besoin d’innovation. Après tout, ces infrastructures pourraient au moins s’inscrire dans une entrée de gamme ou dans une gamme économique dans le positionnement régional de l’offre touristique globale.

Ce n’est là bien sûr qu’une partielle et timide initiative, mais comme il y a un début à tout, ce type de mesure pourrait inciter à d’autres inspirations et le tourisme en est très friand.

A voir et à comparer si les coûts de réhabilitation ne sont pas supérieurs aux coûts de création, etc. Il serait souhaitable que ces acteurs communiquent davantage sur ce projet.

Quel pourrait être l’apport du tourisme dans la diversification de l’économie ?

Les apports du tourisme sont multiples et très importants. Le tourisme est un phénomène économique et social avec une croissance la plus rapide du monde.

La dynamique du tourisme est un moteur essentiel du progrès socio-économique des pays. Aujourd’hui, le volume d’affaires du secteur touristique est égal, voire supérieur, à celui des industries pétrolières, agro-alimentaires ou automobiles. C’est aussi un grand acteur du commerce international.

L’activité touristique impacte positivement des avantages économiques et crée des emplois dans de nombreux secteurs qui y sont liés, de l’agriculture aux télécommunications, en passant par le bâtiment.

A condition que l’Algérie ne fasse pas du «copier/coller» en termes de stratégie du tourisme en s’inspirant de la stratégie française et de l’ensemble des stratégies nord-africaines (ces dernières fonctionnent encore sous les paramètres d’un vieux logiciel français)…

Le tourisme algérien, pour réussir définitivement, doit éviter à tout prix d’être perçu par les touristes comme quelque chose de «déjà-vu» s’il ressemble au tourisme tunisien, marocain ou égyptien…

Le pays doit donc créer son propre modèle pour multiplier ses chances de réussir son projet touristique. Il est important pour l’Algérie d’avoir un positionnement singulier.

En ayant son propre modèle, l’Algérie aura de facto un positionnement singulier sur l’échiquier des destinations méditerranéennes, en parfaite adéquation avec les aspirations des touristes d’aujourd’hui et pourra ainsi les attirer et satisfaire leur quête de nouveauté, de différence et d’exotisme.

Attention, comme le tourisme séduit tous les pays du monde, ce secteur sera de plus en plus concurrentiel, car l’OMT propose aux pays en développement des aides importantes et des accompagnements pour lancer leurs projets touristiques.

Pour réussir à coup sûr son projet touristique et le hisser au TOP des destinations méditerranéennes, l’Algérie a une carte à jouer et doit gagner car elle ne peut pas s’offrir le luxe de rater le train du tourisme qui ne passe qu’une fois.

Pour y parvenir et comme dans le tourisme l’implication de l’Etat est une condition sine qua non, ce pays a plus que jamais besoin d’avoir à sa tête des hommes d’Etat, mais pas d’hommes politiques.

Car «la différence entre l’homme politique et l’homme d’Etat est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération», pour paraphraser James Freeman Clarke, écrivain et théologien américain du XIXe siècle. Souhaitons toujours des vents favorables au tourisme algérien.

Quid du rôle des compagnies aériennes sachant par exemple que la destination Algérie à partir de la France notamment où on compte une grande communauté est l’une des plus chères au monde ?

Le transport aérien est un segment touristique qui représente le poste le plus important en termes de recettes touristiques devant tous les autres segments qui composent le produit touristique.

Sans transport dynamique, il n’y a pas de tourisme. En effet, le transport aérien en Algérie semble confortablement «assis» sur une position quasi monopolistique depuis qu’il existe. On peut aisément pronostiquer ce qui arrive aux entreprises autarciques…

Une précision tout de même : à l’instar des agences de voyages, aucun segment de produit touristique ne peut faire à lui seul le tourisme ni un produit touristique… Donc, les compagnies aériennes ne peuvent pas inventer de destinations touristiques, tant leur métier est le transport.

Le secteur du transport aérien se mondialise à pas de géant et l’avenir de ce secteur n’est pas facile à cerner car seuls les acteurs majeurs, c’est-à-dire les constructeurs comme Airbus et Boeing et les grandes compagnies aériennes possèdent et protègent jalousement des informations que le secteur du tourisme pourrait exploiter à des fins de prise de décisions stratégiques.

Pour les vingt prochaines années, ils annoncent une croissance du nombre de passagers-kilomètres de 4,6 % par an (Airbus) ou 4,9 % par an (Boeing). D’après leurs estimations, ce trafic devrait doubler en quinze ans, tout comme il a doublé tous les quinze ans depuis le début des années 1970.

L’International Air Transport Association(IATA), association des plus grandes compagnies mondiales, annonce quant à elle une croissance de 3,8 % par an en nombre de passagers, amenant à un doublement du nombre de passagers en vingt ans.

Néanmoins, même si elles sont plutôt réjouissantes à mon avis, ces données peuvent être interprétées d’une façon négative par d’autres acteurs du tourisme et par conséquent, elles pourraient empêcher ces derniers de prendre des décisions importantes, ce qui est peut-être le cas de l’Algérie…

Je suppose que nul parmi les acteurs du tourisme n’est censé ignorer les lois du marché. Certains peuvent être provisoirement atteints de surdité ou de myopie managériale.

Mais dès qu’un concurrent redoutable arrive sur le marché, tous les acteurs et les entreprises autarciques se retrouvent médusés, ne sachant quoi faire et j’en veux pour preuve la disparition de dizaines de compagnies aériennes partout dans le monde, y compris celles parmi elles qui étaient prestigieuses.

Que sont devenues les stars des transports aériens (du passé) comme Sabena, Swissair, Ansett Australia, Pan Am, Twa, et compagnie ? Et qu’en sera-t-il demain pour Air France et Alitalia ? Pourtant ces compagnies ont tous les moyens nécessaires pour être les leaders dans leur domaine.

Et si le sort de l’aérien algérien était comparable à celui des compagnies disparues ?

Certes, certains pourraient ricaner en disant que cela ne sera pas possible…L’avenir nous le dira.

 


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