Djamel Allam vu par ses proches et ses amis

Un poète d’une grande sensibilité et immense générosité



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Né le 26 juillet 1947 dans la ville de Béjaïa, Djamel Allam est le cadet d’une fratrie de trois garçons issus d’une modeste famille d’un quartier populaire de la haute ville. Djamel est venu se caler entre l’aîné, Mustapha, et le benjamin, Rabah, dit Bibouh.

Une position qui n’était pas toujours confortable pour lui. «A chaque fois qu’il avait un problème avec moi, je me plaignais à mon père qui le grondait en lui disant : ”C’est ton aîné, il faut le respecter !” et quand il se chamaillait avec Rabah, notre benjamin que tout le monde appelait Bibouh, mon père lui disait : ”C’est ton petit frère, faut le protéger !” C’est quelque chose qui m’est resté dans la tête», raconte Mustapha, l’aîné des frères Allam, rencontré le jour de l’enterrement de l’artiste décédé à Paris des suites d’une longue maladie.

Djamel adorait la pêche sous-marine, cette passion, il finira par la transmettre à pratiquement toute sa famille. «On a tous fait de la plongée sous-marine, raconte Mustapha. Djamel adorait la mer plus que tout. Il allait souvent pêcher ou flâner du côté des Aiguades.» L’autre passion de Djamel est bien sûr la musique.

Après quelque temps passé au conservatoire de Cheikh Saddek Abjaoui à maîtriser les rudiments de cette musique qui avait débarqué au port de la ville avec les Andalous chassés par le Reconquista, Djamel s’est mis à la guitare et à la musique moderne. La carrière commence par la création d’un groupe de Rythm’n’ blues avec ses amis.

Arezki Tahar, dit Kiki, est l’ami d’enfance qui a partagé tant de souvenirs avec lui. Homme de culture et ancien directeur du TRB, Kiki a mille et une histoires à raconter sur Djamel l’artiste. «Nous sommes nés dans le même quartier populaire, l’un des plus mythiques de la ville, ”El houma n Oucherchor” ou le quartier des 5 Fontaines.

Nos maisons étaient à une quinzaine de mètres l’une de l’autre. Il n’y avait pas beaucoup de différence d’âge entre nous, Djamel étant plus âgé que moi de six ans. Nous avons donc grandi dans le même quartier», se souvient-il. Un quartier de petites gens, de pêcheurs qui rament à gagner leur vie, des dockers qui triment à décharger ou à charger les bateaux.

C’est un quartier qui s’ouvre sur la mer et la mer s’ouvre sur le monde. Un quartier où l’horizon est le large où mouillent les bateaux à l’autre bout du monde.

Nourri aux chants traditionnels de la Kabylie

Kiki se souvient. «On a grandi dans le fond ethnomusical de cette ville, nourris par les chants funèbres des vieux et les chants de fête des femmes dans cette ville qui a toujours été traversée par un fonds musical autant ancré dans la berbérité héritée des villages de la vallée de la Soummam et de toutes les montagnes qui environnent Bougie que dans des musiques venues d’ailleurs. Djamel a puisé la majorité de ses mélodies de ses débuts dans le fonds musical de la région.» Adolescent, Djamel Allam était un boute-en-train, plein d’humour et d’énergie. «Je l’ai vu prendre sa première guitare, se nourrir de chaâbi et de toutes ses musiques nouvelles», évoque encore l’ami Kiki. Pendant ces années de braise, cette fameuse décennie rouge qui avaient embrasé l’Algérie durant les années 1990, Djamel venait souvent animer des galas dans cette ville de Béjaïa envers laquelle il se sentait redevable.

C’est ce port d’attache qui lui avait permis d’acquérir sa sensibilité et son univers musical.

Cette sensibilité exacerbée que ses amis lui connaissent et lui reconnaissent, son ami de longue date, Slimane Hachi, l’archéologue bien connu et directeur du Centre national des recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH), en parle avec émotion. «Djamel était un artiste d’une immense générosité et d’une grande sensibilité.

Ce qui me vient à l’esprit alors que nous le mettons aujourd’hui sous terre est cette chanson qu’il a composée en l’honneur de ma fille, Dassine, qu’il aimait beaucoup et qui s’appelle d’ailleurs Dassine. Il venait souvent à la maison, à Alger, ou on partait le voir à Béjaïa», dit Slimane Hachi. Hypersensible, Djamel avait composé une magnifique chanson en l’honneur de Dassine et de toutes celles et ceux qui, comme elle, souffraient de trisomie. «C’était plus qu’un chanteur.

C’était un créateur, un artiste qui avait beaucoup d’attention pour ses contemporains, pour les gens, la nature, la mer, le poisson, la cuisine, tout … C’était un artiste de la vie qui avait une somme d’attention pour tout», résume Slimane Hachi, ému de devoir dire adieu à l’artiste et à l’ami.

«Une école et un modèle à suivre»

Sensibilité et générosité. Des mots qui reviennent dans la bouche de tous ses amis, sans exception. Le peintre Arezki Larbi évoque ce trait de caractère du défunt : «Ce que je retiens de lui en dehors de son art et de ses chansons, c’est son côté généreux au sens large du mot. C’est quelqu’un qui s’est toujours tourné à la vie sans jamais lui tourner le dos. Il a écrit des chansons, composé des musiques, a été comédien et a écrit des choses qui seront publiées un jour, je l’espère, et il ne s’est jamais départi de son sens de l’humour, même aux pires moments de sa vie. C’est ce modèle de vie qui me plaît chez lui. Il ne se renfermait pas sur lui-même : il a beaucoup voyagé dans le monde et s’en inspirait. En lui aujourd’hui, je perds un ami mais aussi un repère.»Abdelaziz Yousfi, dit Bazou, est également un ami de longue date.

Ce musicien et arrangeur a joué, composé et partagé la scène avec lui pendant 21 ans. «On a joué et travaillé ensemble pendant des années, notamment sur son dernier album, Les Youyous des Anges que j’ai coréalisé avec lui. Au-delà, Djamel était quelqu’un de très très généreux. Il y a déjà une générosité dans sa musique et dans ce qu’il est. Sa musique était très riche et aucun album ne ressemble à l’autre. Chacun avait des sons et des couleurs différents.

C’est cela qui était génial en lui. A chaque fois, c’était de nouvelles expériences pour lui, parce qu’il était ouvert et écoutait les autres. Les gens qu’il a connus, écrivains, artistes, peintres et intellectuels, l’ont enrichi. Cela lui a forgé un bagage intellectuel et artistique qui lui a permis de composer dans la richesse et la diversité. Son côté le plus génial est qu’il savait comment faire une chanson simple. Faire simple, c’est très compliqué en fin de compte. Lui, il arrivait avec trois accords à faire une chanson magnifique. Pour moi, Djamel est une école, un modèle à suivre», conclut Bazou.

Autre ami avec lequel il a partagé la scène et les studios, Hafid Djemai. Ce musicien hors pair et enfant de la ville de Bougie avoue qu’il est difficile de «résumer 50 ans de carrière d’un artiste aussi multiple et fécond en quelques mots». Néanmoins, Hafid dira qu’il est partagé entre tristesse et fierté. «Je suis triste parce qu’on le perd, mais je suis fier parce qu’on l’a eu. Il aurait pu ne pas exister mais il se trouve qu’il a existé et donné pendant 50 ans. Quand il a commencé, en 1969, à côtoyer en tant que machiniste, dans un théâtre, les grandes stars françaises de l’époque, celles-ci l’ont tout de suite adopté, car elles ont décelé chez lui le talent», dit-il. «Djamel est aujourd’hui un bien immatériel qui appartient à tous», estime Hafid.

«Il a révolutionné la musique kabyle»

Des noms de la nouvelle génération de chanteurs kabyles qui s’inscrivent dans la lignée de Djamel Allam aussi lui rendent hommage. Figure de proue de la chanson contestataire kabyle, Oulahlou dit avoir été marqué par l’interprète de l’enfant de Yemma Gouraya. «Djamel était une vraie bête de scène aussi bien dans ses compositions et que dans sa manière de les chanter. Il avait une grande présence sur scène. Il était gai et joyeux et créait une très belle ambiance.

De ce côté-là, c’est quelqu’un qui m’a beaucoup inspiré», dit-il. Pour Oulahlou, la grande force de Djamel est d’avoir renouvelé le chant kabyle traditionnel. «Djamel a pris le chant kabyle, tel qu’il était. Tel qu’il était chanté dans les montagnes, tel que le chantaient nos pères dans les champs ou nos mères à la maison

Il s’en est emparé sans complexe, l’a sublimé et en a fait un chant universel. Il a aussi révolutionné la façon d’écrire de l’époque, en s’emparant de la poésie traditionnelle, en opérant un retour aux sources sans se caler sur les schémas de l’époque imposés par le chaâbi» ajoute-t-il. Pour Oulahlou, le grand mérite de Djamel Allam et des pionniers de l’époque est d’avoir valorisé les chants du patrimoine et du folklore kabyles à une époque où seul l’andalou et le chaâbi étaient considérés comme de l’art. «Il fallait oser prendre un ”ahiha” et le chanter avec son âme. C’est le défi relevé par ces pionniers : universaliser le chant kabyle et nous le faire aimer à nouveau en nous réconciliant avec nos racines», affirme Oulahlou.

Un point sur lequel s’accorde aussi le chanteur Mamou Benzaid, qui a bien connu Djamel et même repris l’un des ses titres : «Il avait un style qui a complètement cassé la monotonie de ce qu’on voyait à la télévision à l’époque : monter sur scène seul juste avec sa guitare et un tambourin, alors que tout le monde jouait avec un grand orchestre derrière, il fallait le faire. Il avait ramené du nouveau sur ce plan, aussi bien que sur le plan musical. On peut dire que Djamel a révolutionné la musique kabyle.»

Autre figure de la chanson moderne kabyle, Akli D, présent également à l’enterrement de Djamel. Akli se rappelle que quand il avait vu Djamel pour la première fois, il était un peu intimidé.

Au final, il n’était pas du tout cette «grande gueule» qu’il le pensait être. «Dès que je l’ai connu humainement, cela a été une gifle pour moi et une leçon : il ne faut jamais juger les gens sans les connaître. J’ai découvert en lui un côté humain incroyable. On a passé beaucoup de temps ensemble et c’était quelqu’un de tellement attentionné qu’il vous faisait à manger et venait voir si votre couverture n’est pas tombée en dormant», raconte Akli. «Quand j’ai commencé à chercher d’où lui venait cette ouverture musicale sur le monde, j’ai su qu’il était ami avec Léo Ferré, Jacques Higelin et d’autres encore et c’était aussi quelqu’un qui lisait beaucoup.

Djamel est resté cet éternel étudiant qui apprenait chaque jour et cela lui permettait de ramener beaucoup de choses dans ses chansons. Djamel était un visionnaire qui faisait déjà de la musique du monde dans les années 1970. C’est grâce à ses chansons et à celles d’Idir aussi que j’ai chanté en kabyle sans complexe dans les rues de Paris et Amesterdam et que j’ai pu survivre dans ma vie de clandestin. Merci à lui», témoigne Akli D.


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