Contribution – Les harkis et l’Algérie

aucune conciliation envisageable ?



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Par L. Faria – Après avoir lu l’article (sur Fatima Besnaci) et fait le tour des commentaires, j’en arrive à la conclusion que la Guerre d’Algérie n’est toujours pas finie. Les protagonistes sont morts pour la plupart mais on perpétue une guerre à rallonges que l’on étire indéfiniment. Le papier est neutre, rien à redire, il est parfaitement objectif. C’est entre Fatima Besnaci et les honorables lecteurs d’AP que ça se joue. Nous avons ici deux camps aux points de vue diamétralement opposés et entre lesquels aucune conciliation ne semble envisageable.

D’un côté, une fille de harki plaide la cause des harkis. C’est de bonne guerre, si je puis dire ; quoi de plus naturel, en effet, pour une fille de harki que de défendre ses intérêts et ceux de la communauté qu’elle représente ? De l’autre côté, les lecteurs tirent presque unanimement sur l’«adversaire», sans autre forme de procès. On sort l’artillerie et on fusille l’ennemi. Quelques intervenants font exception et font valoir une circonstance atténuante : nul n’est tenu de payer pour les crimes de ses parents.

Soit. Il me semble cependant qu’il y a lieu d’illustrer certains points et d’en relativiser d’autres. Sans trop s’étaler, disons qu’il y a du vrai dans les propos de Fatima Besnaci quand elle dit connaître des harkis outre-Méditerranée. Il n’y a rien de surprenant à ce qu’elle ait des contacts en Algérie avec des descendants de harkis. Ils sont là et bien là, parmi nous, et ne se cachent ni ne rougissent. Combien d’Algériens qu’on croyait «clean», nickel sur le plan généalogique se sont, un beau jour, mis en quête d’un aïeul qui aurait participé à la guerre dans le camp adverse ? Il suffit qu’on entende vaguement parler d’une nouvelle loi, d’une rumeur d’amendement ou de révision en rapport avec l’octroi de la nationalité française aux enfants ou petits-enfants de harkis et c’est parti pour l’autopsie des ascendants, la dissection et l’analyse minutieuse du «pedigree» avec le fol espoir d’exhumer un grand-parent qui aurait, paraîtrait-il, rallié les rangs de l’ennemi. Un potentiel supplétif ayant servi en Algérie ou même au Maroc dans une harka, une SAS, une SAU, un GMS ou autre GAD. Naturalisé, cela va de soi.

Et vas-y que j’adresse une requête au Tribunal de grande instance de Nantes, seul habilité à délivrer les actes d’état civil établis dans les pays anciennement sous souveraineté française avant leur indépendance ! Une demande où l’on fait valoir les hauts faits d’armes (les bas aussi d’ailleurs) de l’aïeul naturalisé par jugement ou par décret. Une demande ? Que dis-je ! Des demandes par milliers ! Des tonnes de lettres expédiées d’Algérie, dûment affranchies et cachetées par nos services postaux. Et, dans l’autre sens, beaucoup de réponses négatives, beaucoup de prétendus Français musulmans totalement inconnus au bataillon. Des grands-parents aux exploits souvent imaginaires. Mais qu’à cela ne tienne, on continue d’écrire, de réécrire et d’étoffer les dossiers. Au point qu’à Nantes, le SCEC (Service central d’état civil) croule sous les requêtes et que, faute de renforts suffisants, le Tribunal de grande instance accumule un retard inquiétant dans le traitement des dossiers.

Arrêtons-nous là pour ce qui est des descendants de harkis (ou prétendus tels) restés en Algérie et échangeant avec leurs pairs établis en France. Examinons à présent sous l’angle moral le fait d’être ou d’avoir été harki. Une engeance à tous points de vue méprisable, selon l’opinion générale, tous des traîtres, des collabos, des criminels, de la vermine, une horde infâme suscitant la haine et le dégoût. Harki est synonyme d’abominable monstre, assassin abject, égorgeur, éventreur… Et il y en avait tellement ! Leur nombre (durant la Guerre d’Algérie) est estimé entre 300 000 et 500 000, le chiffre varie, selon les historiens. Quelle autre guerre peut se targuer d’avoir rassemblé autant de traîtres et de collabos ? Sachant que la population d’Algérie comptait 8 760 000 musulmans (contre 980 000 non musulmans) en 1954 et 10 millions de musulmans (contre un million d’habitants de souche européenne ou israélite) en 1962, cela fait une proportion effarante de traîtres à leur pays. Le nombre de familles comptant un ou plusieurs collabos donne froid dans le dos ! Franchement, se peut-il qu’il y ait eu autant d’ivraie dans la population ? Ah, ça en fait des traîtres et des collabos ! Et quand bien même ce nombre aurait été atteint, sont-ils tous à mettre dans le même sac infamant ? Tous à ce point pourris ?

Loin de me faire l’avocat du diable, et pourtant au risque de prendre une volée de bois vert, je pense qu’il ne serait pas insensé de considérer que certains d’entre eux ne méritent peut-être pas d’être qualifiés ainsi. Beaucoup ont été amenés, bien malgré eux, à intégrer un camp qu’ils n’ont nullement choisi. Il leur a échu, à leur corps défendant. «L’idée d’un choix opéré de la part des harkis de se battre aux côtés de la France durant la Guerre d’Algérie est loin de s’appliquer à la plupart d’entre eux. […] Si l’on peut dire que, pour un certain nombre d’aventuriers ou de notables, l’engagement dans la guerre du côté de la France a été un choix, ce sont finalement des cas individuels. Pour ceux qu’on a appelé les harkis, cela n’a pas du tout été un choix. […] On devrait étudier l’histoire d’une manière plus précise et renoncer le plus vite possible à toute une série de stigmatisations dangereuses.» Ce n’est pas moi qui le dis, c’est un chercheur émérite qui fait autorité en matière d’histoire d’Algérie : Mohammed Harbi. Difficile de l’accuser de fabuler ou de travestir l’histoire.

Il témoigne, par exemple, qu’après son arrestation en 1965 («après le coup d’Etat de Houari Boumediene»), il fut emprisonné au pénitencier de Lambèse où il s’est retrouvé avec «de nombreux harkis emprisonnés eux aussi depuis plusieurs années». Aucun n’avait choisi de devenir harki, «tous s’étaient retrouvés du côté français d’une manière non pas consentie mais subie, et il est bien difficile de porter un jugement catégorique sur leurs itinéraires». Dans les Aurès ou ailleurs, le même cas de figure se serait répété. Beaucoup de harkis auraient basculé sous la torture. Il y en a qui auraient rejoint la harka pour avoir la vie sauve, car c’était ça ou l’exécution.

Que certains aient délibérément choisi, en leur âme et conscience, d’aller dans l’autre camp, c’est indéniable. Mais de là à stigmatiser tous azimuts, c’est aller vite en besogne. D’autres historiens ont écrit en ce sens : les procédés employés par l’armée française pour contraindre des Algériens à changer de camp furent ignobles à glacer le sang. La question n’est pas de compatir mais de comprendre. Il ne s’agit pas d’excuser mais d’expliquer. Cela mérite au moins réflexion. Il ne serait pas malvenu de se documenter, de s’enquérir des témoignages, de mener sa propre recherche et de se faire une opinion objective. Au lieu de juger sur la base d’idées reçues, très largement répandues mais pas toujours entièrement fondées.

L. F.


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