Crise libyenne

Haftar fait dérailler la conférence de Palerme



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Conscient que c’est de sa présence (ou son absence) que dépendait le succès du sommet de Palerme sur la Libye, le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort et rusé du clan qui règne sur l’est du pays, ne s’est pas privé de faire double jeu à l’occasion.

Et s’il a fait le voyage jusqu’en Sicile, il s’est toutefois refusé de participer au dîner des chefs d’Etat et de gouvernement et à la session plénière, à Villa Egea, au grand dam des responsables du pays hôte qui tenaient particulièrement au rôle actif du maréchal qui négocie habillement ses cartes.

Des indiscrétions avaient même parlé, la veille de la rencontre, d’un voyage éclair secret que le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, aurait fait à Benghazi, dans une ultime tentative pour convaincre Haftar à faire le déplacement. Information que le gouvernement italien a démentie.

La délégation de l’Armée nationale libyenne (ANL) a été jusqu’à publier un tweet, en italien, qui se voulait sans équivoque : «Haftar est à Palerme pour s’entretenir avec les chefs d’Etat des pays voisins et non pour participer à la conférence sur la Libye.»

Et c’est ainsi que les organisateurs ont dû se contenter de l’apparition furtive du militaire libyen à la réunion et de la photo de circonstance qui illustre la poignée de main qu’il a quand même échangée avec son rival Fayez Al Sarraj, chef du gouvernement d’union nationale, devant les caméras des médias. Mais avant la mi-journée d’hier, Haftar avait déjà quitté Palerme.

Vieille colère

Il faut dire que les relations diplomatiques entre Tripoli et Rome s’étaient tendues ces derniers mois et ont poussé l’ambassadeur italien à Tripoli, Giuseppe Perrone, à rentrer en Italie. Surtout que le maréchal Haftar lui-même avait déclaré le diplomate italien «persona non grata pour la majorité des Libyens», suite à un entretien que l’ambassadeur Perrone avait donné à un média libyen et dans lequel il affirmait que la Libye n’était pas «prête à tenir des élections», affirmations qui lui ont attiré la foudre du clan de Benghazi qui y a vu «une ingérence étrangère dans les affaires de la souveraine Libye».

Le sommet de Palerme, qui s’est tenu hier et avant-hier, 12 et 13 novembre, a vu défiler les présidents respectifs de la Tunisie et de l’Egypte, Caïd Essebsi et Abdelfatah Al Sissi, et le chef du gouvernement russe, Dmitri Medvedev. La France a seulement dépêché son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.

Parmi les participants, il y avait également le président du Conseil de l’Union européenne, Donald Tusk, et l’envoyé spécial de l’Onu pour la Libye, Ghassan Salamé. L’Algérie était représentée par son Premier ministre, Ahmed Ouyahia, et le chef de la diplomatie, Abdelkader Messahel, arrivés dans le chef-lieu de la Sicile hier matin.

Et si l’Onu a réaffirmé, à l’occasion, que la solution pour sortir le pays de la crise «doit être politique et non militaire», le chef du gouvernement italien a, pour sa part, souhaité «la tenue d’élections législatives en Libye au printemps 2019, dans un climat de sécurité retrouvée».

Insinuations

Si Haftar a tenu à préciser à l’opinion publique libyenne qu’il n’avait «rien à voir avec le sommet de Palerme», il n’a pas manqué toutefois d’accuser les pays voisins de menacer les frontières libyennes. Dans un entretien accordé à la télévision libyenne Al Hadath, le maréchal libyen a eu des propos provocateurs : «Nous avons des frontières avec la Tunisie, l’Algérie, le Tchad, le Soudan et l’Egypte et l’immigration illégale vient de toutes parts.

Les chefs d’Etat de ces pays ont leur point de vue sur cela et doivent nous aider au moins en contrôlant leurs frontières pour ne pas faire entrer des immigrés clandestins, ce qui nous crée le problème des milices de Daech et des intégristes qui entrent à travers nos frontières.»

Une manière insolite d’interpréter le chaos libyen, qui menace la stabilité des Etats riverains exposés à l’infiltration de groupes armés fuyant la Libye. Une situation qui voit le pays divisé en plusieurs régions selon l’appétit mafieux des clans qui, forts de la protection de telle ou telle puissance, se font la guerre au détriment de l’union et de l’intérêt de la nation libyenne.

Car tout laisse croire que des élections libres n’auront pas lieu en 2018, et les bases pour leur tenue en 2019 ne se font pas encore voir. Et si le Premier ministre russe, Medvedev, a rappelé une lapalissade en affirmant : «Il faudra que les différentes parties fassent des compromis, autrement le pays éclatera», Conte a pour sa part souligné que «la solution ne peut être imposée de l’extérieur».

Après le sommet de Paris, qui s’était déroulé en mai dernier, cette nouvelle réunion internationale sur la Libye n’a pas débouché sur une issue à la crise du pays, qui reste en proie à l’instabilité et à l’insécurité dans une grande partie de son territoire.

Un incident diplomatique a même émaillé ce sommet, puisque la délégation turque a quitté Palerme avant la clôture de la réunion, car «très déçue» d’avoir été exclue d’un mini-sommet en marge des travaux.

Le seul point sur lequel les participants ont trouvé un consensus est celui qui concerne «la mise en place de mécanismes pour un déploiement des forces militaires et de police régulières afin de renforcer la sécurité à Tripoli et isoler les groupes armés».

A l’extérieur de Villa Egea, des dizaines de manifestants ont contesté le sommet scandant des slogans comme : «Les responsables de la guerre contre la Libye et le chaos qui y règne ne peuvent être les acteurs d’une solution à la crise».

La figure d’Al Sissi a également été fustigée par les contestataires. Une autre occasion ratée, car boycottée par le maréchal Haftar et visiblement par la France.

Des rencontres, programmées sans doute plus pour répondre à un agenda diplomatique interne des gouvernements des deux pays transalpins qu’à celui de la région nord-africaine.


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