Des dizaines de manifestants interpellés puis relâchés à Béjaïa

La «marche des libertés» réprimée



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La marche des libertés à laquelle a appelé le comité pour la libération de Merzoug Touati dans la ville Béjaïa a été stoppée, hier, par un impressionnant dispositif policier à quelques centaines de mètres du lieu de son démarrage, devant le campus Targua Ouzemmour.

Des dizaines de manifestants ont été malmenés et embarqués vers différents commissariats de la ville, où certains d’entre eux ont subi humiliation et interrogatoire avant d’être fichés dans les registres de la police.

Dès la matinée d’hier, la ville de Béjaïa a été quadrillée par les éléments de la police antiémeute appuyés par des centaines de policiers en civil et de la brigade de recherche et d’intervention (BRI). Béjaïa était sous état de siège.

Les premiers manifestants qui arrivaient des autres wilayas ont été interceptés au niveau des barrages filtrants installés sur les routes nationales reliant Béjaïa à Alger, Tizi Ouzou et Bouira. Au niveau des points de contrôle installés à l’occasion, les policiers contrôlent les automobilistes et retardent le déplacement des militants. Sur la RN24, à Toudja, Rachid Nekkaz a été contraint de rebrousser chemin. Zoubida Assoul du mouvement Mouwatana a, quant à elle, réussi à passer entre les mailles de la police et à prendre la parole, plus tard, sur la place Saïd Melbel. A l’entrée de la ville aussi, des militants ont été arrêtés, dont Saïd Boudour et Abdou Semmar.

Dans le lot des arrestations figurent également Bouaziz Aït Chebib, président de l’URK, des militants du MAK, l’activiste Yanis Adjlia et Kamira Naït Sid du Congrès mondial amazigh. Ce sont les cibles privilégiées de la police, qui a également pris dans le tas des militants d’Amnesty International, des membres du comité pour la libération de Merzoug Touati, du PST et autres militants pour la démocratie. Même des journalistes ont été embarqués ou fouillés, leurs téléphones et appareils photos confisqués. Au centre-ville ou à la gare routière et au niveau de tous les accès menant vers le point de départ de la marche, c’est la chasse aux militants. Des riverains suspectés sont soumis systématiquement à la fouille. Les militants du MAK, bien visibles pour les policiers, ont été parmi les premiers à monter de force dans les fourgons.

Devant la résidence universitaire Targua Ouzemmour, les quelques marcheurs qui ont échappé à la rafle sont déconcertés. Parmi eux, on peut reconnaître le député Atmane Mazouz et Mohammed Labdouci, chef du bureau RCD de Béjaïa, des syndicalistes et responsables de la LADDH de Tizi Ouzou qui viennent d’arriver.

«Les autorités viennent de fouler aux pieds toutes les conventions internationales qu’elles ont ratifiées, en usant de la force et en empêchant des manifestants de s’exprimer pacifiquement. Nous sommes venus pour participer, avec toutes les structures composant la société civile, à cette marche pour soutenir Merzoug Touati qui est un détenu d’opinion et pour dire non aux atteintes aux libertés», a déclaré Sadek Kati, président d’Amnesty International.

Le mouvement vient d’être «décapité». Accroché à son téléphone portable, Kati Sadek est à l’affût de la moindre information. «On vient de me dire qu’il y a un groupe qui se rassemble actuellement sur la place Mekbel, nous allons les rejoindre», dit-il. C’est le plan B ; les initiateurs avaient pris leurs dispositions. Sachant que la marche n’est pas autorisée, un rassemblement des «rescapés de la répression» doit se tenir sur la place Saïd Mekbel. Sur les lieux, plusieurs centaines de personnes sont rassemblées. Pendant ce temps, les premiers manifestants arrêtés commencent à être relâchés.

Vers 12h30, la police déplace une partie de son arsenal répressif à proximité de la place Saïd Mekbel. Elle laisse faire les manifestants. Une prise de parole est organisée. Les ligues de défense des droits de l’homme de Tizi Ouzou, Annaba, Alger et Oran sont représentées. Une représentante de l’Association franco-berbère de Paris, des auteurs, des syndicalistes, des avocats, le président du RAJ étaient aussi au rendez-vous.

Les intervenants venus pour revendiquer la libération de Merzoug Touati et des détenus d’opinion et pour la défense de la liberté d’expression et de toutes les libertés ont dénoncé à l’unanimité la répression policière. Pour eux, cette réaction du régime «prouve que le système est en fin de vie. Cela démontre aussi que la cause pour laquelle les militants sont sortis aujourd’hui est juste !» Le représentant du PST jure que cette marche n’est que partie remise : «Nous allons organiser une autre marche !»

Le représentant de la ligue de Tizi Ouzou a appelé à «l’union des rangs et de mettre de côté les drapeaux politiques pour revenir plus fort, car le système profite de la division qu’il entretient à sa faveur. Le séparatisme est encouragé par le pouvoir». De son côté, le collectif citoyen Le Pouvoir d’agir estime que «le pouvoir a décidé de museler toute la société et de restreindre toutes les libertés. Aujourd’hui, se taire équivaut à de la complicité». A ce titre, «il y a lieu de s’engager dans le combat pacifique pour imposer toutes les valeurs de la démocratie».

Dans une déclaration rendu publique, la LADDH a «rappelé aux pouvoirs publics l’obligation du respect des droits de réunion et de manifestation pacifique qui sont consacrés par la Constitution et le droit international ratifié par l’Algérie et appelle la population à demeurer dans le strict cadre pacifique qui doit être la seule réponse à la répression». La LADDH a réitéré «sa solidarité avec l’ensemble des détenus d’opinion et son appel à la libération de l’ensemble des détenus d’opinion et à l’examen sans délai du recours par la Cour suprême introduit par les avocats du blogueur Touati Merzoug pour sa libération».

Dans un communiqué qui a été adressé à notre rédaction, le bureau régional du RCD a réagi à la répression. «Le RCD, qui a pris part à la marche initiée par le comité pour le libération de Touati Merzoug, à travers ses militants dénonce et condamne ce déploiement musclé de force pour empêcher une action pacifique appelant au respect des libertés et à la libération de tous les détenus d’opinion. Béjaïa, qui a lourdement souffert des atteintes aux libertés et tout récemment à la liberté d’initiative et d’investissement de ses opérateurs économiques, doit compter sur ses forces et la mobilisation de ses enfants pour mettre fin aux différents blocages et atteintes à ses droits», écrit le RCD.

Le blogueur Merzoug Touati est incarcéré depuis janvier 2017 pour avoir publié sur son blog, El Hogra, un entretien avec un diplomate israélien. Il se trouve actuellement à la prison de Blida pour purger sept ans de prison ferme.


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