Décryptage. Pourquoi il est si difficile de savoir qui dirige en Algérie ?



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C’est le politique qui crée l’économique. Ce sont les institutions politiques qui créent les institutions économiques.  C’est pour cette raison qu’on s’intéresse au cadre institutionnel algérien au niveau politique. En effet, le caractère du régime politique reflète un type particulier d’économie. L’échec des politiques publiques, les mauvais choix en termes de réformes économiques sont liées à de mauvaises orientations politiques.

La structure de l’élite politique :

En Algérie, la structure politique est loin d’être transparente. Il est ainsi difficile de démasquer les différents secteurs du pouvoir réel. En effet, derrière les personnes qui représentent le pouvoir officiel se cache un groupe d’élite qui détient le pouvoir de facto et influe sur la prise de décision. L’élite politique pertinente est l’ensemble des acteurs qui participent et influent sur les décisions les plus importantes concernant le devenir du pays comme : les réformes du système éducatif, la privatisation, l’élargissement de la participation politique …etc

La composition de l’élite politique pertinente :

En 2000, elle était divisée en trois rangs essentiels représentant trois générations.
La génération des révolutionnaires qui sont nés avant les années 1940 et ont participé à la guerre de libération nationale. La deuxième génération comprend les individus naissant avant l’indépendance mais qui n’ont pas combattu durant la guerre d’Algérie. La troisième génération, comprenant les personnes qui sont nées après l’indépendance.

– Le premier rang comprend le chef de l’état, le chef du département de renseignement et de la sécurité, un certain nombre d’élite militaire et quelques personnes proches du président comme son frère ou le ministre de l’intérieur.

– Le deuxième rang est constitué des conseillers ou des personnes ayant un pouvoir de veto. Ce sont les clients de la première classe, une élite commerciale puissante. Cette classe comprend le chef du gouvernement, les autres ministres, les leaders des partis politiques et le chef de l’UGTA (union générale des travailleurs algériens).

– La troisième catégorie comprend des acteurs qui ont moins d’influence ou qui ont un pouvoir limité. Toutefois, ils peuvent utiliser leur pouvoir pour nuire aux autres groupes des élites, ils peuvent même gagner des places et rejoindre le deuxième rang. Il s’agit par exemple des unions de commerçants indépendants, les leadeurs des partis de l’opposition…

L’évolution de la structure des élites en Algérie :

Le groupe de l’élite pertinente est susceptible de changer avec le changement du système.
L’élite était formée des échelons supérieurs du FLN et l’armée de libération nationale (ALN)
durant et après la guerre. Le pays a connu des chefs de gouvernement provisoires comme Ferhat Abbes et Benyoucef Benkhedda. Ces deux chefs avaient surtout une fonction cérémoniale, ils ne détenaient donc pas le pouvoir exécutif effectif. En fait les vrais détenteurs de pouvoir se cachaient derrière ces figurants et exerçaient le pouvoir en leur nom. Certains facteurs ont provoqué la libéralisation du système autoritaire algérien et ont entraîné le changement du système politique.

En Algérie, les émeutes d’octobre 1988 n’étaient pas seulement le résultat de la détérioration des conditions économiques et sociales et de l’absence de la démocratie. Elles étaient aussi liées au conflit né au sein de l’élite de base entre les partisans et les opposants des réformes économiques.

– Le président Chadli Bendjedid a été contraint d’entamer des réformes de libéralisation et de démocratisation.

– L’ouverture politique et la libéralisation économique imposées par le FMI ont entrainé certains changements dans les institutions politiques :

 Le retour des institutions politiques constitutionnelles.
 La séparation du pouvoir de la présidence.
 L’élection d’un parlement en 1997.
– Le nombre d’individus a augmenté au sein du groupe de l’élite et d’autres partis politiques ont émergé comme le parti du FIS (le front islamique du salut)

– En 1991, le parti du FIS a gagné les élections parlementaires du premier tour et est devenu une force politique. Suite à cela, les votes ont été annulés et les militaires ont pris le pouvoir par la force. Les partis politiques opposants ont été réprimés et le nombre des acteurs dans la PRE a baissé.

– Les réformes du marché dans les années 1990 –d’une manière sélective (libéralisation du
commerce d’un coté et le contrôle des banques et du système de crédit de l’autre)- ont donné naissance à d’autres opportunités de recherche de rente et ont permis l’émergence d’une élite liée au secteur privé. Cette nouvelle élite-activant surtout dans le secteur de l’importation- partageait des liens forts avec l’administration publique et les services de sécurité.

Elle possédait un important pouvoir d’influence sur la prise de décision dans le contexte économique. Cette position confortable lui a permis de développer son activité en violant certaines règles formelles et en adoptant des normes informelles dans les transactions commerciales.

Le maintien du pouvoir des élites et la division sociale :

La persistance du pouvoir de l’élite dans les pays oligarchiques est liée
à deux facteurs principaux : la dotation en ressources naturelles et le nombre d’année passé sous le régime socialiste. L’Algérie présente les mêmes facteurs. D’abord elle se caractérise par une abondance en ressources naturelles. Ensuite, elle suit la voix du socialisme dès son indépendance.

A ces deux facteurs s’ajoute le problème de la division des groupes sociaux.

Les ressources naturelles :

L’abondance en ressources naturelles peut être un avantage comme elle peut être un
inconvénient pour un pays. Ainsi les ressources naturelles ne condamnent pas un pays à la pauvreté si elles sont utilisées de manière efficiente. C’est la qualité institutionnelle qui détermine la façon d’utiliser la rente et sa distribution.

Si les institutions sont défaillantes comme c’est le cas de l’Algérie, la rente devient une
malédiction. En effet, La dotation en ressources naturelles dans notre pays a entrainé l’émergence d’une élite politique rentière qui adopte un comportement de recherche de rente favorise la mauvaise gouvernance. Cette élite contrôle la rente pétrolière et le gaz ainsi que sa distribution et manipule les institutions dans son intérêt pour s’accaparer de la richesse. Cette position de force lui a permis le maintien du pouvoir.

Le fractionnement de la société algérienne :

La société algérienne est une société divisée depuis l’indépendance. Certains facteurs ont
accentué cette fragmentation et l’ont fait perdurer. Parmi ces facteurs il y’a :

 Les hydrocarbures comme unique source de revenu entraînent un conflit permanent pour le contrôle du secteur stratégique et l’appropriation de la rente.

 La division idéologique et l’émergence du pluralisme des partis politiques depuis le début des années 80.

La décision tardive du gouvernement concernant l’application des conditionnalités du FMI
comme l’application du PAS et la privatisation jusqu’en 1993 (alors que l’état a sollicité l’aide des institutions financières à la fin des années 1980). Finalement, la division profonde et durable de la société algérienne (régionalisme, langage…) entre les groupes a profité aux élites pour le maintien du statut- quo. L’absence de coopération entre ces groupes a empêché la création d’un groupe robuste pouvant s’opposer à cette élite de base.

Malgré le changement qu’il y a eu dans le groupe de l’élite dirigeante après que le FLN ait lancé la stratégie de rajeunissement, pour permettre à la population jeune de participer à la vie politique. Les nouveaux individus recrutés étaient non seulement triés sur le volet mais en plus ne bénéficiaient pas d’un grand pouvoir puisqu’ils étaient surtout dans des partis politiques. Ces individus étaient issus de milieu favorisé. Dans la plupart des cas, leur famille était anciennement membre de l’élite pertinente.

Ainsi sur 51 membres de l’élite questionnée qui sont issus de la troisième génération, 47 d’entre eux remplissaient certains critères :

– les descendants des familles révolutionnaires.
– les descendants des hauts fonctionnaires du FLN ou des grands cadres administratifs.
– les individus issus de familles considérés comme nobles comme les anciens nobles de la
révolution ou les anciens Moudjahidines (qui sont devenus entrepreneurs).
– les successeurs des nobles religieux comme les Chikh des Zaouia

L’élite politique s’est servie de certaines stratégies pour maintenir le pouvoir comme la
stratégie « diviser pour mieux régner ». Pour s’adapter au marché international et alléger la pression interne, l’élite dirigeante a procédé à la libéralisation de l’économie et à l’ouverture politique.

Ceci en permettant à d’autres partis outre que le FLN de participer aux élections et
obtenir des sièges dans le parlement. La libéralisation a permis la naissance d’un groupe opposant « les kabyles » qui ont réussi à introduire la langue Tamazigh dans la constitution de 2003. Mais ce groupe n’était pas aussi puissant pour déstabiliser le pouvoir en place.
La stratégie de division a créé à la fois un conflit permanent au sein d’un même parti et aussi un conflit entre les partis.

Parmi les méthodes employées dans la stratégie « diviser pour mieux régner :
– la répression (comme pour le FIS et les droits humains)
– la cooptation, il s’agit d’un mode de recrutement où une assemblée désigne elle-même ses
membres.
– Encourager la fausse concurrence en appuyant des structures parallèles à l’élite de base mais qui en sont très proche (les syndicats et les associations).

 

Un travail de recherche mené par Khendek Samira, diplômé de l’université Abou Bekr Belkaid de Tlemcen


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