Décryptage. Sous-développement

y a-t-il une spécificité algérienne ?



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Dans la première partie de la présente étude nous avons cherché à caractériser les processus de libéralisation économique en remontant l’histoire économique des Etats-nations modernes pour en saisir la quintessence. Il est apparu à l’analyse que, porteurs dans leur principe des prémisses du dépassement de l’organisation actuelle du monde en Etats-nations, ils se sont révélé n’être, en fin de compte, que le mode d’expression de la puissance de certains d’entre eux et de la domination économique qu’elle induit sur les autres Etats-nations qui n’ont pas encore achevé leur formation.

Passée la première révolution industrielle qui a propulsé au-devant de la scène mondiale certaines des grandes puissances actuelles, l’histoire économique des autres pays se résume en une course d’obstacles au cours de laquelle chacun d’eux tente d’accéder à la maîtrise du principe de composition qui prélude à sa reconnaissance comme Etat-nation qui compte dans le concert des autres Etats-nations. Cette course qui se déroule sur le terrain économique tout autant que sur le terrain militaire, revient en pratique à chercher à développer les process techniques les plus élaborés pour la production des richesses et pour leur accumulation, ce qui passe par la maîtrise du principe de composition.

Dans de nombreux cas, l’Etat s’est pleinement investi dans cette entreprise. Un régime autoritaire s’installe qui met en œuvre une politique volontariste dans le but de rattraper le plus rapidement possible le retard économique qu’accuse le pays vis-à-vis des autres qui se sont constitués en Etats-nations sur la base de la maîtrise du principe de composition. Mais cette entreprise est, sinon des plus aléatoires, du moins des plus malaisées en raison du fossé qui sépare, sur le plan technique et industriel, le premier groupe de pays de ceux qui cherchent à les rejoindre.

C’est la veille technologique qui se trouve être le facteur discriminant entre ces deux groupes de pays. L’explication tient au fait que la veille technologique intègre dans le principe de composition le savoir le plus évolué nécessitant pour sa mise en œuvre les plus gros moyens techniques existants et les plus perfectionnés, ce qui n’est évidemment pas du ressort des pays qui n’ont pas atteint un certain degré de maîtrise du principe de composition ou qui n’ont simplement pas atteint un seuil critique dans l’accumulation technologique.

L’étude de quelques expériences d’industrialisation accélérée a montré les limites des stratégies volontaristes dès qu’elles sont confrontées à la dure réalité : ce qui pouvait apparaître au départ comme leur ligne de force principale – à savoir le développement prioritaire de quelques industries motrices – se retourne contre elles en créant par sa seule force d’inertie des distorsions cumulatives dans le développement industriel (cas de la Russie) ou en mettant à rude épreuve la poursuite de l’accumulation interne sur la base d’industries extaverties (cas de la Corée du sud).

Quand le pays s’engage enfin dans les réformes qu’appelle de toute nécessité la crise dans laquelle il est tombé, le mal semble avoir déjà été fait, la libéralisation censée suppléer aux dysfonctionnements de l’économie ne fait que l’aggraver. La logique financière s’empare des activités, évinçant la logique productive qui les organisait en un système industriel certes peu performant en comparaison du niveau de performance atteint par des systèmes concurrents mais tout de même suffisamment cohérent puisque doué de la capacité de se reproduire sur ses propres bases.

Le mode d’allocation des ressources qui prévalait, fondé sur la logique tutélaire, cède le pas devant un autre mode d’allocation des ressources, fondé sur la logique financière ; une logique qui met en avant le principe de la valorisation de l’argent investi plutôt que celui de la cohérence globale des structures productives. Bien évidemment, l’investissement productif se ressent de cette nouvelle loi et perd du terrain devant l’investissement spéculatif, délié des activités ayant pour finalité de produire des richesses et de les accumuler. Aussi a-t-on vu s’effondrer littéralement, sous l’effet de la crise financière, des économies qui, sans être des plus performantes en termes de rendement ou de productivité des facteurs, avaient néanmoins atteint un degré de maîtrise du principe de composition tel qu’elles faisaient de l’ombre dans certains domaines à des économies industriellement beaucoup plus développées.

D’autres expériences d’industrialisation accélérée ont tout simplement échoué en raison de facteurs internes de blocage de l’accumulation (cas de la Turquie) ou de leur incapacité avérée à maîtriser le principe de composition (cas de l’Egypte). La situation des pays qui n’ont pas atteint le seuil critique en matière d’accumulation technologique en raison de leur insuffisante maîtrise du principe de composition est évidemment autrement plus dramatique que celle de ceux qui ont réussi à l’endogénéiser.

Socialement déstructurés, ils n’ont eu ni les capacités techniques, ni les moyens financiers, ni même parfois la volonté politique de se sortir de l’état de déshérence où les a jetés le système qui organise les relations entre les Etats-nations en un ensemble hiérarchisé de puissances.

De tous les pays qui ont entrepris de s’industrialiser sans jamais réussir à endogénéiser le principe de composition, l’Algérie se présente comme le cas le plus représentatif. A la réflexion, on peut pourtant se demander s’il ne s’agit pas là d’un cas atypique. Cette deuxième partie est entièrement consacrée à l’étude de l’expérience algérienne. La spécificité, si spécificité il y a, tient au fait que ce pays a déployé des efforts titanesques pour accéder à la maîtrise du principe de composition sans que ces efforts soient couronnés de succès. C’est donc par rapport aux pays ayant, par des efforts similaires, atteint cet objectif qu’il convient de parler de spécificité.

L’idée selon laquelle il existerait une spécificité algérienne n’est pas une lubie ; elle se dégage de la perception immédiate que nous avons de l’échec de l’expérience algérienne de développement, échec d’autant plus retentissant que les espoirs furent grands de voir l’Algérie rejoindre le peloton de tête des pays ayant réussi la double gageure d’endogénéiser le principe de composition et de réaliser le projet politique consistant à transformer les structures fermées de la vieille société en un Etat-nation moderne. Pourtant ni les ressources matérielles, ni les conditions politico-idéologiques n’ont manqué aux tenants du régime autoritaire qui s’est instauré dans ce pays dès son accession à l’indépendance.

Pourquoi et comment ce régime qui, ailleurs, a réalisé sa double mission historique, a-t-il échoué en Algérie, c’est la question fondamentale à laquelle nous essaierons de répondre dans les chapitres qui suivent. Le présupposé dont nous partirons tient en une formule lapidaire : extériorité de l’Etat par rapport à la société et extériorité du surplus par rapport au procès de production domestique. Cette double caractéristique est à l’origine de la double incapacité des gouvernants à réaliser l’Etat-nation et à endogénéiser le principe de composition ; double incapacité qui tient d’une sorte de récurrence historique et de causes plus factuelles ressortissant au politique tout autant qu’à l’économique, pour ne rien dire des facteurs socio-psychologiques.

Par Ahcène AMAROUCHE, Professeur et chercheur associé au CREAD


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