M’hamed Hammoudi. Expert international en énergies renouvelables

«La production d’électricité pourrait inclure 27% d’EnR en 2030»



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Dans cet entretien, l’expert international en énergies renouvelables (EnR), M’hamed Hammoudi, revient sur les différentes étapes menées jusque-là en Algérie pour le développement des EnR dans le pays. Le Dr Hammoudi, qui travaille avec de jeunes chercheurs algériens sur le potentiel national et sa répartition géographique, aborde en détail les potentialités de l’Algérie dans ce domaine, que ce soit en termes de production pour le marché local, d’exportation ou de défis liés au stockage.

 

Les annonces et décisions autour du développement des énergies renouvelables en Algérie se sont multipliées au cours de ces dernières années. Mais, concrètement, où en est ce chantier ?

Les énergies renouvelables ont été promues en Algérie depuis le début des années 1970, un grand coup de frein à cet élan a été constaté durant les années 90′, et c’est à partir de 2002 avec les textes de lois n°02-01, qu’un nouveau souffle a été donné pour développer les énergies renouvelables en Algérie.

La réglementation a évolué en 2011, puis 2015, permettant de proposer un cadre juridique plus complet et surtout des mesures incitatives concrètes à travers le Fit in tarif (FIT) très attractif, supérieur à 40% – 70% de ceux pratiqués en Europe à l’époque.

Les prix de rachats de l’électricité de nature renouvelable ont suscité l’intérêt non seulement des opérateurs nationaux, mais aussi du monde entier, voulant investir dans les énergies renouvelables en Algérie et profiter des prix de rachats attractifs déclinés selon les régions et le temps, sur une durée globale de contrats de 20 ans.

La conjoncture mondiale dans le secteur des énergies renouvelables, poussant vers la disparition des FIT ainsi que l’effondrement des cours du pétrole devant financer le déploiement des EnR, l’Algérie a revu le contenu de ses plans et la nature des rétributions accordées aux producteurs de l’électricité à partir des sources renouvelables.

En 2014, l’Algérie, à travers l’opérateur énergétique Sonelgaz, a lancé la construction de 343 MW en PV, ainsi que 10.2 MW en éolien, cette première en Algérie a permis d’une part, de comprendre les mécanismes de déploiement de cette énergie et d’autre part d’identifier les goulots d’étranglement dans la réalisation des centrales photovoltaïques et éoliennes.

Une façon pratique et indispensable d’acquérir l’expérience nécessaire pour identifier les nouveaux métiers et les compétences humaines susceptibles d’apporter une valeur ajoutée locale et augmenter le taux d’intégration nationale voulu et promu par les pouvoirs publics. L’évolution de la réglementation à partir de 2016-2017, sur l’obligation d’un contenu local industriel et sur les services a permis l’émergence d’une industrie dédiée au secteur des EnR, et plus précisément celle du photovoltaïque.

Ce choix technologique voulu par les pouvoirs publics en proposant une part de 62% dans le Plan national de développement des EnR (PNDER) est dû essentiellement aux avancées technologiques dans le secteur photovoltaïque (PV).

Mais aussi à la maturité économique de cette solution, en comparaison avec celle du CSP (Concentrated Solar Power), qui présente des Capex (coûts d’investissements) 2.5 fois plus importants que ceux du PV et des coûts de production autour de 140 dollars/MWh alors que pour le PV, les coûts de production LCOE ne dépassent pas 46 dollars/MWh.

Les opérateurs économiques nationaux privés pour la plupart ont vu cette opportunité d’investir ce secteur porteur dans le domaine industriel, à travers l’implantation d’unités d’encapsulation de PV mais aussi de structures métalliques porteuses et de câbleries spécifiques. Le service n’est pas en reste, car nous constatons l’émergence, à l’échelle nationale, de sociétés exerçant en tant que EPC (Engineering Procurement Construction) et offrant le service d’Operating and Maintenance.

Ces sociétés sont en général le fruit d’associations mixtes ou JV avec des groupes internationaux dans le secteur, permettant un transfert de savoir-faire pérenne aux jeunes cadres universitaires algériens recrutés, leur ouvrant la possibilité d’exporter leur savoir-faire acquis dans les projets en Algérie vers les pays de la région.

En décembre dernier, la CREG, l’autorité de régulation de l’électricité et du gaz, a émis un appel d’offres portant sur 150 MW/an de centrales PV destinés aux investisseur nationaux afin de produire et commercialiser entre 10-20 GWh d’électricité photovoltaïque par an et par centrale.

Une première en Algérie, car le recours au contenu local en service et en éléments de la centrale y ont été les critères principaux de sélection pour les participants à cet appel d’offres.

Une occasion sans doute très intéressante pour les opérateurs nationaux dans le secteur d’acquérir l’expérience nécessaire pour s’attaquer à d’autres projets plus ambitieux et à d’autres horizons plus éloignés en exportant non plus des produits uniquement, mais aussi du savoir-faire.

Résoudre la problématique d’approvisionnement en carburant pour la génération d’électricité des localités du Grand Sud algérien était l’ambition affichée par la SKTM/Sonelgaz à travers l’appel d’offres émis en décembre dernier et portant sur une capacité annuelle totale de 50 MW.

A cela s’ajoute l’annonce faite par Sonatrach de réduire sa consommation de carburant dans ses sites de production de 80%, correspondant à un gigantesque programme d’hybridation de 1300 MW en PV hybride, qui s’inscrit dans le cadre de sa stratégie SH2030 et permettant d’augmenter ses capacités de gaz à l’export.

Comme on arrive à le voir à travers les projets annoncés et à le constater davantage chaque jour, le train des EnR en Algérie est en marche et rien ne saurait l’arrêter, car c’est une priorité nationale. Cette vision a pris le temps nécessaire pour se concrétiser afin de maîtriser nos choix technologiques avec une maturité économique, permettant à l’Algérie de financer de façon efficiente et pérenne son programme de développement des énergies renouvelables.

Cependant, le retard est bien là, comment faire pour le rattraper et exploiter le potentiel existant ?

Il est clair que pour atteindre les objectifs fixés par le PNDER, à savoir 22 000 MW à l’horizon 2030, l’Algérie devrait recourir aux professionnels du secteur. L’engouement du privé est très encourageant, car il démontre d’une part l’attractivité économique du secteur en Algérie, mais aussi le gigantesque potentiel de l’Algérie estimé par nos études à plus de 2.634 millions de TWh/an, juste pour le potentiel PV.

L’Algérie a l’ambition de réaliser le PNDER en moins de 11 ans, en affichant clairement sa volonté politique et en y associant un arsenal juridique et financier attractif pour les opérateurs privés et publics.

Ces derniers sont le véritable moteur de ce changement, de cette transition énergétique efficace vers un avenir énergétique pérenne permettant le développement durable de notre société.

Afin d’y parvenir concrètement, les pouvoirs publics devront faciliter les procédures de procurement des intrants des différents composants des centrales PV ou éoliennes et réduire les délais de construction à travers celle de l’obtention des permis de construction. A ce rythme, en installant annuellement en moyenne 1200 MW de PV, 455 MW en éolien, 180 MW en CSP, 90 MW en biomasse, l’Algérie parviendra à concrétiser son objectif à l’horizon 2030.

Ces chiffres ne sont pas faramineux, si l’on devait les comparer avec ceux de la Chine qui a installé 54 036 MW ou bien, l’Inde avec ses 8800 MW et le Chili qui a mis en place avec ses modestes moyens 892 MW juste pour cette année 2017.

Ces chiffres comparatifs montrent clairement la possibilité d’atteindre notre objectif, sachant que pour la construction d’une installation, il suffit de quelques (3-4) ingénieurs et surtout de la main-d’œuvre qui déploie les structures porteuses, pose les PV et les raccorde aux onduleurs, et finalement connecte les onduleurs au transformateur d’évacuation, dont la puissance dépend du réseau de raccordement.

Afin d’illustrer cela, pendant 95 jours 350 ouvriers ont été nécessaires pour construire 50 MW sur plus de 75 hectares en Egypte. La construction des centrales, permettra de générer des emplois permanents et temporaires, alors que leur exploitation générerait plus de 700 000 emplois, selon le premier responsable du secteur.

Quelle technologie privilégier pour limiter les coûts de production, surtout en cette période de crise ?

L’Algérie a pris l’engagement ferme de changer son mix énergétique pour gagner son pari de transition énergétique. Cela permettrait grâce à l’installation d’une puissance globale de 22 000 MW et en se basant sur des technologies économiquement matures d’atteindre à l’horizon 2030 un taux de 27% en énergies renouvelables dans sa production électrique.

En se basant majoritairement sur le solaire photovoltaïque qui est une technologie mature et en pleine expansion planétaire, l’Algérie a pris l’engagement d’installer 13 575 MW en s’appuyant sur son immense potentiel estimé à 2 634 960 TWh/an, qui correspond à 107 fois celui de la consommation électrique mondiale, estimée autour de 24 800 TWh/an en 2017).

Avec cet immense potentiel, les coûts de production d’électricité en Algérie pourraient être compris entre 42-52 dollars/MWh, selon le recours ou non au contenu local, pour l’approvisionnement des centrales PV en éléments. En diversifiant ses installations EnR vers l’éolien, qui assure une capacité de 5010 MW, l’Algérie pourrait profiter pleinement de son potentiel éolien estimé à plus de 12 925 TWh/an.

Recourir à la technologie CSP, à partir de 2020, afin d’installer une capacité globale de 2000 MW, a été salué par les spécialistes qui estiment que ces coûts d’installation, 2,5 fois plus cher que celle des PV, ne justifiait pas l’urgence de son utilisation, même si nous disposions d’un potentiel autour de 169 880 TWh/an, selon la DLR.

Cette approche permet d’attendre une baisse des coûts en Capex et Opex à la suite d’une maturité du marché mondial de cette technologie, comme ce fut le cas pour la technologie PV.

Valoriser les déchets à travers l’installation de 1000 MW et recourir à la cogénération avec une capacité globale de 400 MW a montré que les autorités publiques ont pris conscience de la nécessité de recourir à l’efficacité énergétique pour pérenniser l’approvisionnement de l’ensemble du territoire national.

Recourir aux énergies renouvelables pour permettre d’une part de préserver plus de quantité de gaz à l’export et conforter la place de l’Algérie sur les marchés énergétiques et d’autre part pérenniser sa consommation nationale demeure un choix idéal, mais aussi un défi à relever.

Il est clair que la technologie photovoltaïque, compte tenu d’une part du gigantesque potentiel de l’Algérie et d’autre part de sa maturité économique, demeure le choix le plus approprié pour la concrétisation efficace et rapide du PNDER en Algérie.

Serait-il possible d’exploiter le marché de l’exportation ? Quid justement du stockage du surplus de production ?

Tenant compte de la disparité entre la demande et la production d’énergie à l’aide des EnR, recourir au stockage à grande échelle deviendrait un impératif, afin d’absorber et réutiliser l’énergie produite, d’une saison à une autre. Le stockage serait de deux natures, offrant une flexibilité journalière et saisonnière.

La première reposerait sur des batteries de grande capacité et des batteries à flux Redox, alors que pour assurer un stockage saisonnier induit par la différence entre la demande estivale et celle durant les autres mois de l’année, on fera appel à l’hydrogène comme vecteur énergétique.

Disposer d’un système de stockage performant, flexible et à grande échelle permettrait de disposer de l’énergie à n’importe quel moment de la journée et de l’année, augmentant ainsi nos chances de placer de grandes quantités d’énergie sur un marché spot de l’électricité qui est très volatil.

Exporter de l’électricité provenant de sources renouvelables permettrait à l’Algérie d’une part de vendre un produit ayant une forte valeur ajoutée et d’autre part de disposer de crédits carbones volontaires ou obligataires dont la valeur marchande peut atteindre 87€/crédit.

A ce titre, deux marchés s’offrent à notre pays, le marché européen, où l’Algérie vient de demander son adhésion, et le marché africain des pays limitrophes du Sud. Il est à signaler que le premier pays importateur d’énergie électrique en Europe est l’Italie avec un volume d’échange dans le marché spot autour de 33 TWh.

Exporter de l’énergie vers ce pays aurait du sens, à condition que les coûts de transport de l’électricité à travers des lignes HVDC soient bas et les que volumes transférés soient importants.

Il n’en demeure pas moins que vendre de l’électricité aux pays voisins du Sud, comme la Mauritanie, le Mali ou le Niger, permettrait à l’Algérie de mieux rentabiliser ses installations électriques et aux populations des pays limitrophes du Sahel d’améliorer leur cadre de vie en leur apportant l’énergie nécessaire à leur développement.

La consommation moyenne de l’électricité dans ces pays est de 540 kWh/hab/an, avec une croissance annuelle allant de 2,53 à 3,3%. Un potentiel de croissance de marché important, sachant que la moyenne mondiale de consommation électrique est de l’ordre de 3127 kWh/hab/an et que le prix moyen de l’électricité en Afrique est de 140 dollars/MWh.

Les écarts constatés entre les coûts de production de l’électricité en Algérie et les prix de vente de celle-ci dans les pays limitrophe du Sud sont dans un rapport de 1/4.

Parvenir à vendre l’excédent de notre électricité produite à partir de sources renouvelables permettrait de rentabiliser davantage les investissements de l’Algérie dans ce domaine ainsi qu’une plus grande intégration future de ces énergies dans le mix énergétique national, en apportant de nouvelles sources de financement aux projets du PNDER.

Atteindre les objectifs le PNDER à l’horizon 2030 permettrait à l’Algérie d’une part d’augmenter ses quantités de gaz à l’export de 38 milliards de mètres cubes par an et d’autre part de réduire sa dépendance envers les carburants carbonés pour produire de l’électricité de 27%.

Ce double pari gagnant permettrait aussi à l’Algérie de disposer de quantités impressionnantes d’énergie électrique à l’export induites par les excédents de l’installation des 20 585 MW de solaire photovoltaïque, thermique et éolien.

Cette possibilité serait économiquement plus importante, à partir d’énergie stockée, qui permettrait une flexibilité dans la vente durant le moment où les prix spot seraient les plus intéressants, survenant entre novembre et février de 8h et 22h.

D’autre part, les énergies renouvelables permettraient de générer annuellement plus de 80 millions de crédits carbones, engendrant des revenus annuels entre 1,6 et 7,1 milliards €selon le mode volontaire ou obligataire.

Disposer de ces revenus permettrait d’une part d’alimenter de nouveaux investissements dans le secteur des EnR en Algérie et d’autre part de couvrir la totalité des coûts d’exploitation des centrales.

La mise en place des énergies renouvelables permettraient à l’Algérie d’équilibrer son mix énergétique, d’y inclure une part importante d’énergie durable (27%), de réduire les impacts carbonés de sa production d’électricité et de fournir plus de gaz à l’export, consolidant ainsi ses parts de marché dans le secteur énergétique régional.

Grâce aux énergies renouvelables stockées, l’Algérie disposerait d’une grande capacité d’énergie finale à l’export vers l’Europe ou bien vers l’Afrique et monnayerait de façon substantielle les crédits carbones issus de la production des énergies vertes non carbonées.


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