Contribution de Youcef Benzatat – Trois indépendances pour une République



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Par Youcef Benzatat – Il n’y a aucun doute aujourd’hui pour affirmer que le peuple algérien est entré depuis un mois maintenant, depuis le 22 février plus précisément, dans un processus révolutionnaire. Une affirmation que l’on peut soutenir au regard de la forme et des contenus des évènements qui se produisent dans l’espace public depuis cette date inaugurale. Sur la forme, on peut constater l’irruption massive du peuple dans l’espace public dans toutes ses catégories d’âge et de sexe, femmes, hommes, jeunes, retraités, etc. d’une part, et dans toutes ses composantes ethniques, religieuses, politiques, idéologiques, etc., d’autre part. On peut observer également le même phénomène dans les catégories sociales. Sur les contenus, les slogans des manifestants sont unanimes à vouloir changer de paradigme du vivre-ensemble par la volonté de changer de système de pouvoir, de réécrire les textes fondamentaux et en appelant à une nouvelle République.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que le processus révolutionnaire engagé est soumis à des pressions, aussi bien internes qu’externes, qui peuvent le faire échouer et provoquer, par conséquence, un reflux pouvant ramener la société à un état plus dramatique encore que celui dans lequel elle se trouvait avant le déclenchement de ce processus révolutionnaire. Notamment, la pression interne induite par les clivages ethniques, religieux et idéologiques, d’une part, et la pression découlant d’intermédiations externes pouvant déposséder la révolution de ses mécanismes de souverainetés, d’autre part.

Afin de faire face à ce risque d’échec et d’empêcher que le reflux ne se produise et que la révolution puisse se solder par une réussite heureuse, la conscience collective est sommée de veiller à la neutralisation de ces pressions et de les inscrire structurellement dans son action continue. A commencer par le choix des critères de représentativité des acteurs du processus révolutionnaire, en considérant le concept de Révolution à sa juste mesure.

A ce propos, lorsqu’on évoque le concept de révolution, on vise particulièrement la transition d’une société d’un Etat traditionnel à un Etat moderne, avec tout ce que ce concept de modernité implique. A savoir, la souveraineté de l’Etat entendue comme une émancipation de ce dernier du religieux, du militaire et de l’identitaire. La souveraineté populaire, qui est garante du jeu démocratique en consacrant l’alternance au pouvoir, par l’élection des gouvernants au suffrage universel et dont le régime démocratique qui en découle aura pour devoir de protéger les droits des minorités devant l’hégémonie de la majorité élue. La souveraineté de l’individu, notamment par son accès à la liberté de conscience et dont la femme et l’homme jouissent des mêmes droits et libertés.

La transition d’un Etat traditionnel vers un Etat moderne ne peut s’accomplir que par un processus révolutionnaire qui aurait pour tâche de substituer un ordre nouveau, fondé sur ces trois souverainetés, à un ordre ancien où ces souverainetés sont déficientes, en partie ou en totalité. Tel est le cas en Algérie aujourd’hui où aucune de ces souverainetés n’est acquise. L’Etat est aliéné dans les instances religieuses, identitaires et militaires. La souveraineté populaire est confisquée par le régime politique en vigueur sous couvert d’une démocratie de façade. Et la souveraineté de l’individu se trouve piégée par l’ordre religieux qui est diffus aussi bien dans la société que dans l’Etat et ses institutions.

Dans ce cas, pour pouvoir réaliser une transition vers la modernité, il faudra au préalable opérer une révolution ayant pour objectif ces trois souverainetés. A ce propos, la Guerre de libération nationale, qui avait permis à la société de s’émanciper de l’emprise coloniale, ne peut être considérée comme une révolution, car l’ordre traditionnel qui a permis à la société de s’émanciper de la domination coloniale a été reconduit intégralement après l’indépendance, en maintenant, voire en aggravant par endroits les structures mentales patriarcales et l’imaginaire mythologique religieux et en exacerbant, par ailleurs, les clivages identitaires. D’un côté, la revendication de l’identité amazighe, tout en s’inscrivant dans une part de modernité, par son adhésion à la laïcité, a été en même temps pervertie en nationalisme ethnique au détriment de l’Etat nation, au mieux au fédéralisme identitaire, du métissage de sa population et de l’aspect transculturel de sa culture et, de l’autre, la revendication religieuse musulmane est devenue un projet théocratique pour la société dans sa totalité et en s’inscrivant dans une idéologie transnationale. Le choix de la langue arabe à l’école, qui s’est opéré sans le souci de traduction du patrimoine culturel universel, a précipité le reflux vers l’imaginaire mythologique religieux. De ce fait, ni l’un ni l’autre de ces clivages ne sont compatibles avec un Etat moderne.

L’échec de la transition démocratique entamée en 1989 est la traduction de ces déficiences de souveraineté. Car la transition démocratique est incompatible avec une société traditionnelle, conservatrice et figée dans ses identités ethniques et religieuses. La transition démocratique dans ces conditions doit être envisagée dans un processus plus large qui puisse prendre en considération ces trois déficiences de souveraineté. C’est à la condition de la compréhension d’une transition de la société traditionnelle vers une société moderne comme processus qu’il faudra donc définir le choix des critères de représentativité des acteurs du processus révolutionnaire en cours. Car il ne peut y avoir de démocratie sans modernité, comme il ne peut y avoir de modernité sans processus révolutionnaire de transition. Ce modèle transitionnel, qui devrait arrimer la société algérienne à la contemporanéité du monde, avec toutes les valeurs de modernité que cela implique, est le garant contre toute éventualité de reflux.

C’est pour toutes ces raisons que les critères de représentativité des acteurs du processus révolutionnaire ne doivent être définis sur la base de popularité, de charisme ou de tout autre critère populiste et arbitraire.

De même pour la République à bâtir, qu’il faudra se garder de qualifier de deuxième dans le genre, car il n’y a jamais eu de première République depuis notre accès à l’indépendance en 1962. En vérité, depuis cette date, l’Algérie s’était figée dans un statut quo provoqué par un coup d’Etat militaire contre le gouvernement civil provisoire et dans lequel elle est toujours embourbée sous l’autorité du même système de pouvoir qui en a hérité. Il serait donc plus adéquat de parler de première République algérienne.

Y. B.


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