Nettoyer les rues est un acte aussi politique que d’aller voter



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– Vous avez eu la brillante idée de créer le groupe des «brassards verts». Comment avez-vous eu cette idée ?

Je n’ai pas pu participer à la première marche du 22 février parce que j’ai travaillé ce jour là. J’ai marché le deuxième vendredi, et à un certain moment, il y a eu une grosse bousculade au niveau du boulevard Mohamed V entre les marcheurs et des éléments de la BRI. Un effet de foule a obligé ces derniers à tirer des balles en caoutchouc, on a commencé à redescendre sur le boulevard et il y avait plusieurs blessés à côté de moi.

L’un d’eux, un jeune homme a reçu soit une balle en caoutchouc ou une bombe lacrymogène, je ne sais pas, en tout cas il était en train de marcher péniblement avec une blessure. Moi, je n’avais qu’un mouchoir en papier à la main, j’étais embêtée de ne pas pouvoir l’aider. Il souffrait, il clopinait, je n’avais rien pour lui apporter assistance, et cela m’a énervée. Sur le coup, je me suis dit : ce gars-là va souffrir le martyre avant d’arriver du boulevard Mohamed V à la Place du 1er Mai.

Une fois posée à la maison, j’ai réfléchi à cette scène et j’ai pensé que si j’avais sur moi au minimum du sérum physiologique, je l’en aurais juste aspergé, ça lui aurait peut-être fait du bien. Pas le soigner, parce que je ne saurais le faire, mais du moins le soulager pour un moment sachant que je n’ai aucune notion de secourisme de base. A ce moment là, je me suis dit pourquoi ne pas avoir tout le temps dans notre sac du sérum physiologique, du pansement et autres petits trucs qui nous permettraient de soulager et d’aider les marcheurs en cas d’incident.

L’idée était là, elle germait dans ma tête sans pour autant trouver une voie d’exécution. J’ai commencé par avoir l’idée de porter un kit de soins lors des marches, mais comment les autres marcheurs pourront savoir qu’on a ce matériel pour les aider. J’ai pensé au brassard, puis à la couleur verte parce que c’est l’Algérie, c’est le drapeau, c’est l’écologie, c’est le printemps… c’est une couleur qui cumule beaucoup de symboliques.

– Vous vous êtes organisé comment pour trouver des volontaires ?

On a eu la première réunion avec des amis et elle a débouché sur l’achat de tissus, qu’on a découpés de manière artisanale et très spontanée pour créer nos brassards ; l’idée a trouvé de l’adhésion, mais elle n’était pas très organisée jusque-là. J’ai écrit la charte de l’initiative le premier mercredi, une page Facebook a aussi été créée, on a commencé à s’activer le lendemain. Je suis venue voir mes amis développeurs et il se trouve qu’ils avaient déjà leur petit sac de kit de soins. Je leur ai proposé la charte et ils ont tout de suite adhéré. Il faut dire que je n’ai pas eu à convaincre ou quoi que ce soit, l’idée était déjà présente chez eux. On a eu deux vendredis d’action.

– Vous dites que «les brassards verts» ne sont pas le samu, encore moins des secouristes. Comment pouvez-vous présenter le groupe ?

C’est une initiative éco-citoyenne. Pourquoi écologique ? Comme nous ne sommes pas secouristes, ni médecins, ni pompiers et qu’on apporte un service minimum en termes de soins, j’ai rajouté la notion d’écologie qui me semble essentielle parce que c’est au cœur de mes intérêts. Cette notion consiste à nettoyer les rues après la marche. Je tiens à préciser que ce n’est pas une volonté de nettoyer Alger, loin de là.

On n’est pas les epic et équipes de la commune d’Alger, mais l’action est symbolique. Le signal que peut envoyer un brassard vert est là et occupe un espace public et faire des allers-retours portant un sac et en nettoyant les rues d’Alger est une appropriation du lieu. C’est un acte hautement politique sans être partisan. C’est-à-dire que pour la plupart, on ne se réclame pas publiquement pour un parti, on peut avoir des obédiences, mais l’acte de nettoyer la rue est un acte d’exercice de droit politique.

L’idée n’est pas de rendre Alger propre au premier degré, mais c’est de militer et de s’approprier l’espace. Aujourd’hui, l’espace public n’est plus «mal el baylek» (la propriété de l’Etat), c’est notre bien à nous tous, c’est notre responsabilité à nous tous. Et l’envie de dégager, de nettoyer la saleté est un acte politique.

– A travers les brassards verts ou les autres groupes qui se mobilisent pour le bon déroulement des marches, comment évaluez-vous la conscience et l’implication des jeunes dans tout ce mouvement populaire ?

Si on ne devait parler que des jeunes qui nettoient les rues après les marches, je pense que vous avez remarqué qu’il n’y a pas que les brassards verts qui nettoient, il y a toute une prise de conscience actuellement sur la nécessité et le besoin de nettoyer. Pour moi, c’est très important. Ce n’est pas une coïncidence que l’Algérien se dise qu’il faut nettoyer les rues, comme si ces dernières n’ont jamais été sales. Non, Alger était sale, on s’en foutait et on enjambait les ordures un peu partout.

Le lieu public est un terrain qu’on a déserté parce qu’il y a eu les années noires qui nous ont mis dans une sorte de repli et d’égoïsme. On ne s’occupait plus de ce qui est commun, l’autre ne nous intéresse pas. Il y a eu aussi avant les années noires toute une mentalité et croyance populaire qui dit que la propriété commune n’est à personne et on ne se l’approprie pas. Par exemple, quand quelqu’un casse un téléphone public et qu’on réclamait, il disait : «wesh, yak mal el baylek».

C’est très violent ! On a été dépossédés historiquement du lieu public. Je dis historiquement, parce que cela remonte à loin, plus loin que les années noires mais à la période ottomane. Donc, aujourd’hui, on vit une réappropriation du lieu public par l’acte politique. C’est là toute la force du geste, au-delà du fait que celaa coïncide avec des hashtag majors, la mondialisation et internet. Je pense vraiment que même s’il n’y avait pas d’internet, on aurait agi de la même manière pour dire que c’est à nous.

C’est un acte naturel d’appropriation de lieu, ça ne va pas retomber et je suis sûre qu’à partir d’aujourd’hui, l’expression de l’espoir continuera à se faire de manière naturelle et spontanée. C’est un acte aussi politique que celui d’aller voter. Nettoyer les rues ou mettre une enveloppe dans une urne est une manière de dire que je suis là, j’existe, j’ai un rôle politique. C’est un acte d’existence, d’appropriation, d’exercice de droit politique et un discours de rupture avec une croyance populaire historique qui dit que le lieu public n’est pas une propriété individuelle.

– Les brassards verts, c’est autre façon de ressortir l’aspect solidaire et pacifique du mouvement populaire. Selon vous, quelle est l’image que peut dessiner ce genre d’initiative ?

On peut comprendre l’image que reflètent les brassards verts dans le regard des gens qui ont très bien accueilli l’initiative. Ils sont très contents de voir d’autres personnes qui se mettent à leur service pour leur bien et sans rien demander. Quand tu as quelqu’un qui a une crise de tétanie et qu’un brassard vert va courir pour lui donner un médicament, ou quand une petite fille s’est perdue parmi la foule la semaine dernière et que les brassards verts l’ont mise à l’abri et l’ont rassurée le temps de retrouver ses parents, ce sont des acte citoyens qui apportent une assurance pour les manifestants.

Les brassards verts ont une image très sympathique, les gens ont adoré l’initiative et l’ont accueillie à bras ouverts, parce qu’ils ne demandent rien et sont là au service des citoyens et les rassurent du mieux qu’ils peuvent ne serait-ce que par un sourire, une caresse sur les mains, une discussion, en rigolant avec une personne en crise de panique. L’apport peut être plus psychologique qu’autre chose. Il faut noter que lors de la première et la deuxième marches, les secouristes étaient absents. Les pompiers étaient présents, mais pas les secouristes. Ce n’est que lors des deux dernières marches qu’une équipe de secouristes a été dégagée, on était contents d’avoir des professionnels de la santé sur le terrain, mais on a quand même participé aux soins.

– Badra Hafiane née à Alger, elle est journaliste, réalisatrice de documentaires et initiatrice du groupe «les brassards verts».


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