Hommage à Aziz Chouaki

 Un dramaturge dont l’écriture dynamite le réel



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Aziz Chouaki, poète, musicien, journaliste, metteur en scène et l’un des plus inspirés auteurs du théâtre
algérien contemporain d’expression française, vient de s’éteindre à l’âge de 67 ans. Reconnu pour la singularité de son écriture, traduit et monté en plusieurs langues sauf en celles de son pays, son œuvre y est méconnue, à l’instar de tout un répertoire algérien né outre-Méditerranée et ostracisé par les gardiens du temple d’une perverse idéologie.

De la sorte, Chouaki a été doublement en exil de son pays depuis qu’il l’a quitté en 1992 en raison de menaces, à l’entame de la tragédie nationale. L’enfant de Tizi Rached était connu avant son départ en France pour être essentiellement un musicien, bien qu’il ait commencé à tâter l’écriture.

En 1983, il publie à compte d’auteur Argo, un recueil mixte de nouvelles et de poèmes qui le signale comme un prometteur homme de lettres. Six années plus tard, en 1989, son premier roman, Baya, paraît. Masrah el Kalaâ, avec Benguettaf à la translation en darija et Ziani Cherif Ayad à la mise en scène, en tire en 1992 un monologue interprété par Dalila Helilou. Baya y est une Algéroise d’un certain âge, demeurée seule chez elle après le départ de son époux, au travail et de ses enfants, à l’école.

Le prétexte d’anciennes photos qu’elle découvre lui fait dérouler le temps de sa jeunesse et la nostalgie du temps passé, un temps remontant à l’époque coloniale. A la première représentation au Mougar, quelques spectateurs sortent en claquant les sièges. Dans la presse, on tire à boulets rouges, au prétexte que le spectacle fait dans la nostalgie du temps de la colonie.

Rap théâtral des maux et traumatismes

Suite à sa générale, Baya est déprogrammée de toutes les salles où elle devait être à l’affiche en raison d’une campagne qui la suit au fil de ses déplacements. De facto, elle est interdite en Algérie. Une année plus tôt, Michèle Sigal a fait lecture d’un récit à partir de fragments de Baya au Théâtre des Amandiers à Nanterre, une lecture qui est diffusée en 1992 sur France Culture. Le public est surpris et subjugué par la singularité de son écriture. Et parce qu’elle a cette particularité rare, et que la radio privilégie l’écoute, de grandes stations passent sur leurs ondes tous ses textes qui correspondent à leur format.

A propos de son style, Chouaki explique : «… J’écris en français, certes, histoire oblige, mais à bien tendre l’oreille, ce sont d’autres langues qui parlent en moi, elles s’échangent des saveurs, se passent des programmes télé, se fendent la poire. Il y a au moins, et surtout, le kabyle, l’arabe des rues et le français. Voisines de paliers, ces langues font tout de suite dans l’hétérogène, l’arlequin, le créole…».

Grâce à ses près de vingt pièces et à leur qualité, Chouaki gagne en notoriété. Il connaît la consécration en 1999 avec Les Oranges, qui a connu pas moins de six mises en scène différentes ! Dans Le Monde du 25 septembre 2018, il est rapporté qu’au fil de son œuvre, Chouaki «est devenu la plume des bas-fonds d’Alger, qu’il raconte sans jamais juger.

Il y puise l’argot et cet humour façonné au gré de l’ennui, des cafés, des clopes et des joints, des bières et des sniffs de médicaments. En échange, il leur donne de la voix et un peu de son génie d’écrivain. Il en ressort une sorte de rap théâtral qui raconte les maux de l’Algérie et les traumatismes de l’exil».

Dans un article, paru dans Insanyat 32/33 en 2006, Christiane Chaulet-Achour relève qu’en 2003, Marie Virolle (anthropologue) présente l’auteur de L’Etoile d’Alger – avec juste raison – comme «l’auteur le plus surprenant et le plus novateur de la littérature algérienne des vingt dernières années». Jean-Louis Martinelli, le directeur du Théâtre des Amandiers, qui a adapté trois de ses textes, écrit à son propos : «C’est son écriture, son style, avant même les sujets abordés qui m’ont impressionné.

Cette manière si personnelle de faire danser les mots, chavirer la syntaxe. Cette dextérité à créer de l’image avec ses mots, à s’imprégner de la violence du monde et à nous secouer de rire. Il y a chez lui quelque chose de Rabelais ou de Céline. Sa langue dynamite le réel.»

A l’intention de ceux qui ne le connaissent pas, signalons la lecture de son texte Esperanza (Lampedusa) organisée par RFI au Festival d’Avignon de 2015, disponible en podcast (http://www.rfi.fr/afrique/20150816-integral-aziz-chouaki-algerie-esperanza-lampedusa-litterature-poesie-avignon). Concernant l’homme, ceux qui l’ont approché en France témoignent que «Aziz Chouaki est un solitaire con-trairement à ses compatriotes à succès.

Il fuit les mondanités et surtout refuse de jouer le rôle de l’Algérien rescapé du terrorisme, prêt à en découdre avec l’islamisme». Questionné à ce propos, s’il avoue respecter le franc-parler de Kamal Daoud et de Boualem Sansal et être souvent d’accord avec leurs idées, il n’apprécie pas leur tendance à répondre à une attente du public français.

Quelle postérité ?

La disparition de Aziz Chouaki convoque la question d’un théâtre algérien d’expression française mis à l’index dans notre pays, un théâtre réduit à celui de la seule période de la lutte de Libération nationale, selon ce que nombre de travaux universitaires ont vulgarisé par devers eux. Ce répertoire est constitué d’une douzaine de pièces, dont d’ailleurs seul un quart a connu l’épreuve de la scène avant l’indépendance.

Or, le théâtre en langue française a refleuri quatre années après 1962. Ahmed Cheniki recense près de 80 pièces publiées jusqu’en 2005. Il s’est depuis enrichi, ce qui n’est pas sans constituer une problématique majeure en rapport à ce «butin de guerre» qu’est la langue française.

Comment expliquer la persistance et surtout la revivification de ce théâtre francophone, particulièrement à partir des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, alors qu’il n’est donné sur aucune scène algérienne ? Ses auteurs ne sont plus tous des Algériens vivant en Algérie.

Certains d’entre eux sont inscrits dans les rouages du théâtre français, mais ont la particularité d’écrire d’un point de vue qui fait la part de leur algérianité. Si la plupart ont connu la guerre d’indépendance, d’autres pas, dont le plus illustratif exemple est celui de Mustapha Benfodil, né en… 1968 et vivant en Algérie.

Ce répertoire post-indépendance s’est développé durant la  «décennie noire», où le besoin de savoir était immense chez une opinion publique française à la recherche d’une autre source, plus réflexive, afin de relativiser ce que rapportait une tragique actualité au jour le jour. Ce théâtre a rempli une fonction de clarification, mais cette fois contrairement à la période de la guerre d’Algérie, elle est à charge et à décharge.

C’est pour cela, entre autres raisons, qu’il dérange les «autorités culturelles» en place. Par ailleurs, comparativement au théâtre qui se monte en Algérie et qui est pour l’essentiel un répertoire écrit par des comédiens ou des metteurs en scène, celui en français est un théâtre d’auteur. Les artistes de la scène en Algérie se sont mis à écrire depuis la naissance du théâtre algérien afin de pouvoir exercer leur métier.

Autre différence, le théâtre en langue française bénéficie de l’avantage d’être publié en France, pour être ensuite éventuellement monté, ce qui n’est pas le cas du théâtre arabophone, parce qu’écrit en arabe dialectal, son potentiel lectorat est dérisoire et qu’il n’existe pas de politique de soutien à l’écriture dramatique.

Enfin, dernier paradoxe, la question se pose de savoir pourquoi le ministère de la Culture enjoint aux hommes de théâtre de traduire prioritairement les romans algériens en pièces théâtrales, alors que des dizaines de textes dramatiques en français de dramaturges algériens peuvent l’être plus avantageusement. Alors quelle postérité pour ce patrimoine, comme celui que nous lègue Aziz Chouaki ?

– Ziani Cherif Ayad : «Aujourd’hui, Aziz Chouaki serait applaudi par le hirak»

Sollicité hier, Ziani s’élève contre l’accusation d’apologie de la période coloniale dans Baya, le spectacle tiré du texte éponyme de Chouaki : «Les jeunes qui constituent le gros du hirak s’y reconnaîtraient.

Ce qu’ils disent aujourd’hui, c’est ce qu’il a écrit il y a une trentaine d’années par rapport à cet idéal fracassé par l’accumulation d’incuries et la trahison des espérances nées de l’indépendance au nom de la légitimité révolutionnaire. Ce que dénonce Baya, c’est le monopole exercé par le système depuis 1962 sur la Révolution libératrice et qui en a souillé les valeurs.

A l’époque, cela n’a pas été compris parce que cela allait à contre-courant de l’idéologie dominante. Pourtant, ce propos sur la légitimité usurpée, il en était déjà dans les autres spectacles que j’ai montés, comme Echouhada yaoûdune hada el ousbou. Baya était dans la continuité de cette thématique. Je suis certain qu’aujourd’hui Aziz Chouaki serait applaudi par le hirak.» M. Kali

                 


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