Tribune. Pour les Algériens, il n’est jamais le moment de s’attaquer aux généraux !



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Tout petit, à l’âge où le plus important était d’avoir le même jouet que le garçon du même palier, on avait tenté de m’expliquer que des courageux compatriotes luttaient avec des armes pour libérer mon pays. Moi je ne pensais qu’au jouet et à mon nouveau cartable pour l’école.

 

Puis, sur les épaules de mon père, j’ai assisté à une danse dans les rues. On m’avait dit que les « hommes armés », les vaillants courageux avaient libéré mon pays et que j’allais être libre.

 

Moi, je pensais au vélo qu’avait mon copain, c’était mon horizon de liberté de petit gamin. J’ai finalement eu ce vélo, c’est dire combien je me fichais des libérateurs de ce pays.

 

Mais l’âge venant, j’entendais bien que les gens, l’air dépité, disaient autour de moi « je n’ai pas eu de logement, c’est pour les anciens moudjahidines » ou « Je n’ai pas eu de crédit bancaire, c’est pour les enfants des hommes armés » ou « On ne m’a pas donné la terre que je souhaitais, c’est pour les anciens hommes armés » » et ainsi de suite.

 

Vers dix ou douze ans,  je voyais bien qu’on me rappelait que les gens qui « avaient pris les armes » sont les héros qu’il fallait respecter et honorer. Mais je voyais bien qu’ils ne les respectaient pas seulement, ils se prosternaient devant eux. Je n’ai jamais compris les consignes de cette langue nouvelle qui envahissait notre vie, l’arabe classique. Il y a du avoir une erreur de compréhension dans la traduction des verbes.

 

Le temps passe, je commençais à regarder les filles et leurs histoires de crédits et d’appartements, franchement ce n’était pas tellement mon souci. Sauf que je n’étais plus dupe sur les « hommes en armes », j’avais compris qu’ils étaient toujours servis sans faire la queue.

 

« Tais-toi !», me disait-on lorsqu’ils voyaient bien que j’allais dire une vérité sur ces abrutis en Ray Ban.

 

Et voilà qu’on m’explique que l’armée algérienne avait été la garante de l’unité nationale et qu’il ne fallait pas trop rappeler mes positions sur mes compatriotes berbérophones. Moi, Areski ou Mokrane, c’étaient mes copains de collège et, franchement, je ne comprenais pas pourquoi ils seraient une menace pour l’intégrité du pays, sa religion, son passé et bla, bla, bla.

 

Les filles ont grandi, sont devenues de plus en plus attirantes et, moi, je voyais bien que les hommes en armes nous menaçaient dans notre liberté d’êtres humains. Leur milice, la Sécurité Militaire, était partout, jusque dans l’intimité de nos premiers émois amoureux.

 

Alors, on m’a de nouveau mis en garde « On te connais, ne va pas prendre des risques en prononçant le moindre mot envers eux ! ».

 

Les colonels sont devenus généraux, les millions sont devenus milliards et les appartements pour anciens moudjahidines sont devenus des villas au prix de trois siècles de travail d’un homme honnête.

 

Ce n’était toujours pas le moment de s’attaquer aux militaires.

 

On m’a expliqué que le colonel Boumédiene était le sauveur de l’Algérie, le garant de son honneur et que nous avons du « nez », nous disaient-ils, heureusement que notre armée nationale est là pour nous garantir notre dignité d’Algériens.

 

Moi, je voyais bien que le nationalisme, le patriotisme et la religion des « hommes armés » se conciliaient très bien avec quelques pèlerinages à St Moritz, Genève ou Paris. Le « nez algérien » aimait bien faire du ski, voyager en classe business et prendre le soleil dans les pays exotiques, chez ces ennemis à notre valeureuse patrie, des impies.

 

Et me voilà étudiant à Paris, chaque année je devais retourner dans un bureau des « hommes armés » pour obtenir un sursis. Moi, j’ai fini par leur dire qu’ils pouvaient toujours courir pour que j’aille crapahuter pour des abrutis, totalitaires et corrompus.

 

« Boumédiene, des hommes armés et courageux ont libéré la patrie et toi, lâche, tu ne veux pas donner deux ans pour ton pays ».

 

J’ai répondu qu’il n’en était pas question, ils se sont remboursés largement, ces hommes armés et courageux, avec un taux d’intérêt exorbitant. Je me suis dit que c’était tout de même cher payé pour des hommes en bonne santé et en vie. Qu’ils ne comptaient surtout pas sur moi pour jouer l’abruti en armes et me rouler par terre devant un sergent chef, le dernier de la classe, celui du fond, celui que nous moquions pour être le bourricot du lycée.

 

Un premier exil et finalement la politique qui m’appelle. Mon premier rendez-vous avec Hocine Ait-Ahmed, je m’en souviens comme aujourd’hui. Une question dans la conversation « Pourquoi tu veux militer avec nous ? ».

 

Ma réponse fut claire car c’est celle que j’ai rappelé toute ma vie durant, « Pour libérer mon pays du régime militaire, tout le reste est dépendant de cet objectif central ! ».

 

J’avais publié beaucoup d’articles mais un jour j’en publie un, sur El Watan, menaçant les généraux algériens d’une justice qui les poursuivraient, tôt ou tard, ce fut dans le début des années 90′.

 

Alors, on m’a dit ce qu’on m’a toujours répété durant toute ma vie « Tu as raison mais crois-tu que c’est le moment de les menacer de la sorte, quelle mouche t’a piqué  ? ».

 

Et voilà que les islamistes, créatures des militaires, leurs enfants spirituels arrivent. « Boumédiene, plutôt le choléra que la peste, les militaires nous protègent du pire ! ».

 

Oui, j’ai bien vu le résultat, au final l’Algérie a eu le foulard et les militaires. Bravo !

 

Second exil, les enfants grandissent et les généraux ne vont plus seulement à Paris ou à Genève, les comptes offshore sont plus loin. Ils n’ont plus la fameuse Honda, réservée pour les « Hommes en armes », mais la Mercedes ou le 4-4.

 

Et ça continue, ils élisent même des généraux au poste de Président de la république. Vient alors le temps des fortunes encore plus grandes, des milliards offshore à vomir. Vous pensez bien que je n’ai même pas bronché car on m’aurait rétorqué « Boumédiene, ce n’est pas le moment ! ».

 

L’unité nationale, celle dont j’avais rêvée, les milliardaires et les les généraux ont réussi à la faire. Ce que des décennies de militantisme n’avaient pas réussi à construire, les milliards on réussi à le faire. De la semoule aux travaux publics, en passant par les usines automobiles, l’unité nationale s’est faite avec les milliards, ils se sont réconciliés autours du compte bancaire offshore, plus de haine, plus de divisions.

 

Alors, de temps en temps, certains médias acceptaient que je fustige les généraux mais que voulez-vous faire, isolé au milieu d’une population totalement « achetée » par les milliards, nationaux et offshore ?

 

Puis est venu la nouvelle génération, la belle génération d’Internet et de la mondialisation. Ils sont sortis dans la rue et ont fait trembler le régime militaire.

 

Ainsi, j’ai repris ma plume et j’ai inlassablement demandé un Nuremberg pour les généraux algériens. Savez-vous ce que des gens m’ont dit ? Vous l’avez deviné « Gaid Salah, il ne faut pas l’attaquer, il est notre garant contre le pire ».

 

On me dit qu’il vaut mieux Gaid que Tartouz ou Gazouz. On me dit, de nouveau, qu’il vaut mieux le choléra que la peste. Ils applaudissent Gaid, ils en font un sauveur, presque le libérateur de la nation.

 

Mes chers compatriotes, à 64 ans, je suis épuisé par votre fascination envers les « Hommes armés ». Vous n’êtes pas seulement soumis, vous êtres drogués, en addiction et en dévotion.

 

Et, moi, la drogue et les religions, ce n’est pas de ma compétence ni de ma force de continuer à lutter contre.

 

 

Par SID LAKHDAR Boumédiene, Enseignant


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