Son incarcération a réjoui les manifestants

Ahmed Ouyahia, l’homme qui cristallise toutes les haines



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Da Ouyahia, plastek f’El Harrach» (Ouyahia, votre place est à la prison d’El Harrach), «Goulou l’Ouyahia makache Europa, djibouh l’El Harrach yadrab essoupa» (Dites à Ouyahia pas d’Europe, ramenez-le à El Harrach se taper la soupe)… Depuis le début du soulèvement populaire du 22 février, il n’y a pas eu un seul vendredi, une seule manif’, sans que le nom d’Ahmed Ouyahia ne soit cité et conspué.

Et après les «Ouyahia dégage !» «Ouyahia himaroune», dès les premières vagues d’arrestations de personnages du sérail, sa tête était réclamée aux cris de «Ouyahia f’El Harrach». Plusieurs carrés de manifestants exigeaient, en effet, son arrestation, le présentant déjà sur nombre de pancartes en tenue de taulard. Depuis mercredi dernier, c’est chose faite. L’ex-Premier ministre – et c’est une première – a bien fini par rejoindre les illustres pensionnaires d’El Harrach que sont les Haddad, Tahkout, Kouninef… Avant d’être rejoint le lendemain par un autre Premier ministre, Abdelmalek Sellal en l’occurrence, ainsi qu’un autre ancien ministre : Amara Benyounès. Et c’est loin d’être fini, des poids lourds étant attendus dans les prochains jours.

Force est de le constater : l’incarcération d’Ahmed Ouyahia est celle qui a le plus réjoui les «hirakistes». Plusieurs manifestants hilares ont fêté cela à coups de pots de yaourt, à l’image de cette mère de famille qui défilait  près de la Grande-Poste une bouteille de yaourt à la main en lâchant à la hussarde : «Endjiboulek el yaourt» (Nous t’apporterons du yaourt en prison). Il faut rappeler aussi que la première fois qu’Ahmed Ouyahia devait être auditionné par le juge d’instruction près le tribunal de Sidi M’hamed, le 21 avril dernier, des cohortes de citoyens l’attendaient de pied ferme rue Abane Ramdane armés de pots de yaourt.

La longévité à risque d’un homme de paille

C’est un fait : de tous les hauts responsables, Ahmed Ouyahia restera la personnalité publique la plus détestée des Algériens. Le patron du RND traîne une réputation d’homme des «sales besognes», de serviteur zélé du système, de monstre froid, d’apparatchik sans cœur qui ne fait pas dans le sentiment. C’est l’archétype même du parfait exécutant «sans états d’âme»,  tout à la fois cynique, stoïque et loyal, ayant un étrange sens du devoir qui l’a souvent poussé à assumer les tâches les plus ingrates et endosser les mesures les plus impopulaire

s, même lorsque la responsabilité était objectivement partagée. Ouyahia n’a jamais hésité à tout prendre sur lui ; et même durant ses traversées du désert entre deux primatures, il n’a jamais pris la peine de se défendre, assumant crânement ses choix économiques et les dégâts collatéraux de sa politique antisociale.

Comme l’indique sa biographie officielle, que l’on peut toujours consulter sur le portail du Premier ministère, l’homme de 67 ans (il est né le 2 juillet 1952 à Bouadnane, en Kabylie) a été à la tête du gouvernement à cinq reprises, deux fois sous Zeroual et trois fois sous Bouteflika : décembre 1995-juin 1997,  juin 1997-décembre 1998,  mai 2003-mai 2006, juin 2008-septembre 2012, août 2017- mars 2019. En tout, il aura occupé le poste de Premier ministre pendant une douzaine d’années. Un record. Qui a ses revers, et c’est l’une des raisons, justement, de son impopularité, notamment sous Bouteflika, qui a la réputation d’utiliser ses hommes de paille comme «fusibles».

Dans la mémoire collective, à tort ou à raison, le nom d’Ahmed Ouyahia restera à jamais associé à l’affaire des cadres gestionnaires massivement incarcérés dans les années 1990 lorsqu’il était chef du gouvernement sous Zeroual, aux ponctions sur salaire, à la liquidation de centaines d’entreprises publiques, aux taxes sur les véhicules neufs ou encore l’instauration de la vignette automobile… Si bien que son nom est devenu fatalement synonyme  d’«austérité». «Tout le malheur du peuple algérien et son appauvrissement ont,  à l’origine, cet homme politique qui a gouverné l’Algérie deux fois avec Zeroual et trois fois avec Bouteflika», résume un internaute.

«Il va goûter à la douleur des cadres incarcérés»

«Ma première pensée en apprenant son arrestation a été pour les cadres gestionnaires injustement jetés en prison. Qu’il goûte un peu à ce qu’ils ont enduré», réagissait un manifestant rencontré vendredi dernier. Récemment, à l’occasion de l’une des marches du vendredi, nous avons croisé une dame qui nous disait qu’elle était prête à tout pour empêcher Ouyahia de se porter candidat à la présidentielle.

Elle avait effectivement une dent contre lui et pour cause : «Ouyahia a détruit ma vie», assène-t-elle. Et de nous raconter comment son mari, informaticien, «a été l’une des toutes premières victimes d’Ouyahia dans les années 1990» durant la campagne d’incarcération des cadres. «Mon mari a été mis au chômage, on venait de commencer notre vie. On attendait notre premier enfant, j’étais à mon 4e mois de grossesse. Cette affaire nous a coûté très cher. Mon mari a fait une dépression. Il en a été tellement malade qu’il a eu des problèmes de santé, il a fait un diabète aigu, on a dû l’amputer des deux jambes. J’ai dû travailler pour élever mes deux enfants. Aujourd’hui, ils sont à la fac, hamdoullah, mais je ne suis pas près de pardonner à Ouyahia et ce gouvernement injuste.»

Des petites phrases qui passent mal

Une autre raison pour laquelle Ouyahia suscite autant de rancœurs au sein de l’opinion est le chapelet de petites phrases qu’on lui prête : «Le peuple n’est pas obligé de manger du yaourt», «Affame ton chien il te suivra», «En Syrie aussi, ça a commencé avec des roses», «Nous ne laisserons personne utiliser la rue, et je parle, ici, au nom de l’Etat. Nous maîtrisons la rue, et nous l’avons prouvé en 2014». Il faut dire que la réflexion abrupte sur la consommation du yaourt, présenté maladroitement comme un produit de luxe, est très mal passée à en juger par le nombre de manifestants qui ont paradé vendredi dernier avec ce dessert pour narguer Ouyahia. «L’image du pot de yaourt est simple et efficace, comme un message publicitaire, c’est pour ça qu’elle est aussi partagée», décrypte un spécialiste en communication publicitaire. «Il faut dire aussi qu’Ouyahia a fait beaucoup de dégâts, ce qui explique cette image défavorable qui lui colle à la peau.»

Ces petites phrases n’ont fait que conforter dans l’imagerie populaire l’impression d’avoir affaire à un homme de pouvoir arrogant, qui prend son peuple de haut. Sur le compte d’un Youtuber, qui a consacré une vidéo à Ouyahia et sa supposée déclaration «Affame ton chien, il te suivra», les commentaires sont sans appel et en disent long sur le ressentiment que nourrit le personnage.

Florilège : «C’est l’incarnation des malheurs de tous les Algériens ! Il nous a toujours ignorés», «Eh oui, il a traité le peuple de chien. Quelle arrogance !» «C’est un lâche qui méprise le peuple d’en bas». Dans les manifs, beaucoup tiennent également à lui rappeler que le caractère résolument pacifique du mouvement du 22 février incarné par le slogan «Silmiya !» a apporté un cinglant démenti à ses mises en garde  prédisant un sort à la syrienne si le peuple persistait dans son élan contestataire. «Ya Ouyahia, Dzaïr machi Souria» (Ouyahia, l’Algérie n’est pas la Syrie), entonnaient à plusieurs reprises les manifestants. Une pancarte repérée vendredi dernier disait à l’adresse du Premier ministre déchu : «Ouyahia on t’a prévenu, l’Algérie n’est pas la Syrie. Et on dit à Gaïd : l’Algérie n’est pas l’Egypte».

«Un sentiment antikabyle»

Pour terminer, il convient de noter que ce traitement réservé à Ahmed Ouyahia est considéré par certains nomme l’expression d’un «sentiment antikabyle primaire». «Le pouvoir a livré Ouyahia en pâture parce qu’il n’aime pas les Kabyles», estime Mehdi, 31 ans, commerçant de son état, rencontré hier à la place des Martyrs. Mehdi arborait un t-shirt à l’effigie de Lounès Matoub. L’occasion de rappeler que Matoub n’hésitait pas à s’en prendre dans ses chansons à l’enfant de Bouadnane et à «lekvayel ne’service», les «Kabyles de service» (communément appelés KDS).

Sur une image détournée qui a fait florès, Ouyahia est qualifié de «Miss Lahram». «Il faut dire aussi qu’Ouyahia est le seul qui tenait un discours de vérité. Il ne faisait pas dans le populisme», tempère un confrère qui se dit «contre les tribunaux populaires et la justice médiatique». «Je ne défends pas Ouyahia mais la vérité doit être dite : Boutef a tout fait pour casser Ouyahia et tout lui mettre sur le dos. Dans l’affaire des cadres gestionnaires, il n’était pas le seul à décider. Zeroual, Betchine et Adami en partagent tout autant la responsabilité. Les ponctions sur salaire, c’est parce que les caisses de l’Etat étaient vides. Le baril était à 10 dollars. Ouyahia a toujours dénoncé le terrorisme, il était qualifié d’éradicateur et il n’avait pas les faveurs des islamistes. C’est pour cela aussi qu’il est détesté. Son seul tort est d’avoir tout pris stoïquement sur lui et n’avoir jamais parlé pour rétablir les responsabilités.»

Il aura été, sa vie durant, le parfait paratonnerre du système…


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