Ali Bey Nasri. Président de l’Association nationale des exportateurs

«Il ne peut y avoir de redémarrage de l’activité économique sans une stabilisation de la situation politique»



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Dans le présent entretien, le président de l’Association nationale des exportateurs, Ali Bey Nasri, tire la sonnette d’alarme sur la situation de morosité qui frappe les entreprises économiques . Manque de financements, absence de confiance, notre interlocuteur indique que des filières entières, comme le BTPH, sont à l’arrêt . Il avertit qu’à la rentrée prochaine il y aura des risques de compression d’effectifs en masse.

 

Peut-on avoir un état des lieux sur ce que vivent les industriels en ces temps de morosité économique ?

Ce qui impacte beaucoup les industriels, c’est le manque de financements. Les banques ont donné un tour de vis et les financements sont de plus en plus rares. Et quand les entreprises n’ont pas de financements, elles sacrifient la partie exportation. La situation est très difficile et le marché national, pour ne pas dire en récession, s’est beaucoup ralenti. Les entreprises rencontrent des difficultés énormes à obtenir des financements. Les banques publiques, compte tenu de ce qui se passe, ne donnent pas aussi facilement et appliquent des restrictions importantes pour les crédits. Le deuxième impact direct de la situation politique sur les grandes entreprises réside dans la perte de confiance qui s’installe, surtout au niveau des grandes entreprises, car il n’y a pas de visibilité sur l’avenir.

Est-ce qu’il y a des filières plus touchées que d’autres ?

Il s’agit d’abord des filières de l’agroalimentaire, je citerai par exemple l’industrie des boissons, des pâtes. Et la deuxième grande filière touchée par ce marasme ambiant, c’est le BTPH. Ce secteur est actuellement sinistré, et a un effet d’entraînement sur beaucoup d’autres activités. Le BTPH est un grand pourvoyeur d’emplois et les métiers qui recourent à la construction sont aussi variés que nombreux et sont touchés de plein fouet… C’est réellement une préoccupation majeure. L’Etat, dont les institutions sont le premier donneur d’ordres, a mis en veilleuse beaucoup de projets, et les responsables qui gèrent au niveau des banques publiques sont frappés d’une sorte de paralysie. Il y a une grave crise de confiance qui s’est installée, on ne fait plus foi à la qualité des entreprises en termes de rating, c’est-à-dire de solvabilité. Il y a une confusion concernant le jugement de la pertinence de la demande de financement avec le bilan financier de l’entreprise, les banques préfèrent ne pas donner que de prendre des risques.

Concrètement, comment se traduit cette crise dans ces entreprises ? Baisse de la production, pertes importantes dans le chiffre d’affaires ?

Bien sûr, il y a une importante baisse de production. Le secteur du BTPH est pratiquement à l’arrêt, alors que c’est un grand secteur pourvoyeur d’emplois. Qui dit arrêt, dit pas de projet, pas de travail, donc pas d’employés… La situation est vraiment morose…

Y a-t-il des risques de fermeture pour certaines entreprises ?

Il y a des licenciements qui s’opèrent, ils sont temporaires, mais on ne sait pas comment la situation va évoluer. Il y a certains employés du secteur public qui sont pratiquement en cessation de paiement. A la rentrée prochaine, on s’attend malheureusement à l’arrêt d’une grande masse d’employés.

Quelles sont les mesures pour éviter ce cas de figure ?

Je pense qu’il faut d’abord aller vers la solution politique qui tarde. Il ne peut y avoir de redémarrage de l’activité économique et industrielle que s’il y a une stabilisation de la situation politique et rétablir la confiance. Qui peut donner cette confiance si ce n’est un gouvernement légitime. Les entrepreneurs ne peuvent pas travailler sous un gouvernement transitoire qui ne fait que gérer les affaires courantes. Un tel gouvernement, qui est provisoire, ne peut pas engager une politique de redémarrage de l’économie.

Il y a beaucoup de questions en suspens et que le gouvernement actuel ne peut pas traiter ni prendre en charge tellement la suspicion domine. A la moindre action d’encouragement, on va crier au favoritisme. Au niveau de l’exportation, nous sentons très bien cet aspect des choses. Le secteur de l’électroménager, par exemple, est en passe de cesser l’activité exportation, et c’est dommage, car c’est une filière émergente. L’Algérie s’inscrit comme un acteur majeur dans l’exportation des produits électroménagers par rapport à d’autres filières et même comparativement à nos voisins proches ou même ceux de la région MENA. Arrêtons donc de stigmatiser la production nationale et de parler de manque de valeur ajoutée. Si on veut réellement discuter d’approche sérieuse de la valeur ajoutée, il faut savoir que l’industrie algérienne a été construite sur un modèle extraverti, c’est-à-dire que toutes les industries, pratiquement toutes, ne font pas appel à l’importation. Il y a des industries qui ont une valeur ajoutée de 20%, mais on ne les cite pas. Il y a des entreprises dans l’électroménager dont le taux d’intégration atteint 60%, et on peut le prouver. Il suffit que le ministère de l’Industrie fasse une enquête et regarde où se trouvent les filières porteuses. L’exemple d’Eniem est édifiant. On casse cette filière à travers le système des quotas. Je lance un appel pour que les autorités mettent l’exportation, qui est à ses débuts, à l’abri de ce système de quotas. Que l’on donne les intrants nécessaires pour la partie exportation. Chaque entreprise, qui a un programme d’exportation, doit recevoir les intrants sans difficulté. Le ministre du Commerce a qualifié l’année 2019 comme étant l’année de l’export, mais pour l’instant, on n’en voit pas la couleur. Il ne faut plus dire la chose et son contraire.

Une année morose pour l’exportation hors hydrocarbures ?

Bien sûr, surtout pour les grandes filières. Certes, il y a des entreprises majeures qui ont une certaine maturité, comme le cas de Cevital qui n’est pas touché dans la partie agroalimentaire parce qu’il s’agit d’une entreprise importante qui a la maîtrise du marché international, notamment pour l’exportation du sucre représentant près de 250 millions de dollars, mais tout le reste des entreprises est touché. Il est aujourd’hui plus que temps que le conseil qui a été installé se réunisse avec les acteurs concernés. Il faut réagir à la situation. Nous lançons un appel aux autorités notamment aux directions du ministère du Commerce, pour qu’on fasse une première réunion, qu’on discute des filières, que le gouvernement, et notamment les ministres en charge du secteur, comme le commerce, les finances, écoutent les doléances de ces filières. Arrêtons de tourner le dos aux opérateurs.

Il ne suffit pas d’installer des commissions, il faut refonder toute l’approche commerciale du pays. Il est évident pour tous maintenant que le système CKD-SKD a été purement et simplement un système de distribution de la rente, on exonère de tva des assembleurs de voitures sans que cela n’ait un impact sur les citoyens. Pourquoi donner des avantages pour l’achat de véhicules de luxe ? Qui cela sert-il, si ce n’est redistribuer la rente. Nous avons pris le chemin inverse, au moment où notre voisin marocain arrive à exporter pour une valeur de 6,5 milliards de dollars. Mais eux, ils ont pris le bon chemin, en commençant par les équipementiers, pour aller vers la fabrication de véhicules avec un taux d’intégration intéressant. Pour nous, ça a été une distribution de la rente et une injustice flagrante vis-à-vis du Trésor et des citoyens.   


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