«L’Algérie n’a pas besoin dans l’immédiat d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures», par Raouf Farrah, géopolitologue



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L’avant-projet de loi sur les hydrocarbures a été au cœur du 34èmevendredi de la révolution populaire et de la mobilisation du 13 octobre 2019. À travers l’ensemble du territoire national, les Algériens ont massivement rejeté ce qu’ils considèrent être un texte, produit par un régime illégitime, qui porte atteinte à la souveraineté du pays.

Par : Raouf Farrah, géopolitologue du Maghreb et du Sahel

Le 2 octobre 2019, le Premier ministre, Nourredine Bédoui, avait approuvé l’avant-projet de loi sur les hydrocarbures ; un texte qui vise, selon le gouvernement,« à atteindre un système juridique, institutionnel et fiscal stable et favorable à l’investissement dans le domaine des hydrocarbures à long terme, sans porter atteinte aux intérêts nationaux, d’autant que la règle des 49/51% concernant les investissements étrangers dans ce domaine a été maintenue… ».

Le ministre de l’Énergie, Mohamed Arkab, a quant à lui tenté de rassurer l’opinion publique en arguant que ce projet, « discuté avec les grandes compagnies du monde! », allait assouplir le cadre réglementaire et le système fiscal, et à terme, améliorer l’attractivité du secteur pétrolier algérien.

S’il est vrai que le secteur des hydrocarbures souffre depuis plusieurs années de défaillances structurelles, dues notamment à la surexploitation des gisements pétroliers principaux, à l’instabilité juridique et managériale de la Sonatrach, à la dégringolade des prix du brut depuis 2014, aux affaires de corruption et aux retards dans l’entrée en production de nouveaux champs pétroliers, reste que la conjoncture actuelle n’est pas propice à la réalisation d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures.

L’illégitimité du gouvernement actuel et les incertitudes concernant l’organisation d’une hypothétique élection présidentielle, désapprouvée par des millions d’Algériens, sont deux barrières à la promulgation d’une telle loi. Face à cette situation, le sentiment populaire est que le régime a bradé en catimini les ressources énergétiques du pays en contrepartie d’une aide internationale à sa survie.

L’avant-projet de loi a été conçu avant le 22 février

Même si le texte de loi sur les hydrocarbures n’a pas été encore dévoilé, ses grandes lignes sont connues. Il prévoit notamment l’autorisation de l’exploration pétrolière en off-shore et en gaz de schiste, la « simplification » du système fiscal pétrolier en quatre types d’impôts, la réévaluation des types de contrats d’exploitation pour attirer les investissements des majors de l’industrie. Trois contrats pétroliers sont prévus : le contrat de concession plein, le contrat de services à risques et le contrat de partage de production. À ce jour, les volumes d’exploitation en partenariat représentent 25% de la production nationale alors que ce chiffre se situait à 33% en 2007.En 2018, Sonatrach a achevé 80 forages d’exploration dont seulement trois en association avec des partenaires, un chiffre en baisse de 20% en comparaison à 2017.

Ce que le gouvernement ne dit pas aux Algériens, c’est que ce projet marquera un net recul des prérogatives de l’État dans la surveillance et la mise en œuvre des projets d’exploitation au profit des multinationales.

Aussi, il est important de noter que les grandes lignes de ce projet ont été discutées et validées en concertation avec les Total, Exxon, ENI et Repsol avant le 22 février 2019. En effet, le régime Bouteflika comptait modifier la loi sur les hydrocarbures promulguée en 2005, puis amendée dans certaines de ses dispositions en 2013, pour obtenir un appui politique de la part des multinationales de l’énergie afin qu’elles appuient le 5ème mandat. Celles-ci disposent en effet des lobbies et des réseaux influents qui ont leur mot à dire sur les politiques étrangères des grandes puissances.

Aussi, ce projet de loi est une tentative de masquer les errements de la Sonatrach suite au limogeage de son ancien PDG, Amine Mazouzi, arrivé en 2015. Alors que la compagnie nationale avait réussi à hisser ses niveaux de production entre 2015 et 2016 dans un contexte de baisse des prix du brut et dépasser les difficultés liées aux affaires de corruption, l’arrivée de Ould Kaddour en mars 2017 à la place de Mazouzi a marqué le début d’une période de surexploitation des champs de Hassi Messaoud et Hassi R’Mel. Ceci a endommagé les niveaux de production des gisements et a conduit à une baisse de production.

Globalement,le fléchissement du secteur des hydrocarbures algérien est moins lié au cadre légal existant qu’à la gouvernance calamiteuse de l’exploitation des champs pétroliers principaux, à l’augmentation exponentielle de la consommation interne et aux changements importants survenus sur le marché pétro-gazier mondial.

Géopolitique du marché pétro-gazier et attractivité de l’Algérie

Sur le plan géopolitique, le prix du Brent ne répond plus aux courbes de l’offre et de la demande mondiales mais à une stratégie délibérée de contrôle du marché exercée par les États-Unis en partenariat avec l’Arabie Saoudite. À long terme, les prix du brut s’inscrivent dans une tendance baissière. À l’horizon 2020, le Brent sera sous la barre des 60 dollars, même si des éléments exogènes peuvent venir perturber d’une manière ponctuelle le cours du Brent.

Le marché mondial pétro-gazier a fortement évolué depuis 2015. L’offre pétro-gazière américaine est en augmentation constante (12 mbj en 2020) et les États-Unis sont en phase de devenir le leader mondial dans l’exploitation du gaz de schiste et la production pétrolière. Ceci a augmenté l’attractivité du marché pétro-gazier américain et poussé plusieurs multinationales à se retirer des marchés africains et investir aux États-Unis, comme ce fût le cas pour groupe Anadarko.

Si on ajoute à cela d’autres facteurs tels que la volonté des États de l’Union européenne – dont l’Algérie est un partenaire stratégique – d’opter pour des énergies propres et renouvelables, force est de constater qu’une nouvelle loi sur les hydrocarbures aurait un impact très faible sur le regain des investissements étrangers dans le secteur des hydrocarbures en Algérie.

Tout indique que la loi sera validée par le Conseil des ministres, puis approuvée par les deux chambres (d’enregistrement) du Parlement. Si, en théorie, elle représente un engagement important de l’Algérie envers ses partenaires, elle est, en pratique, un « non-évènement ».

Aucune société étrangère ne prendra le risque d’investir à long terme dans le contexte politique actuel sachant que le prochain gouvernement amenderait probablement une telle loi et négocierait un cadre juridique sur les hydrocarbures. Dans le cas de litiges entre les multinationales et l’État algérien, le droit international qui régule les arbitrages tiendra compte du caractère illégitime du gouvernement actuel, de ses lois et décisions.

Aussi, les investissements dans l’amont pétrolier sont capitalistiques. Ils requièrent une prise de risque importante qui table sur une rentabilité à long terme. Or, les acteurs du marché pétro-gazier mondial suivent de près le « risque-pays Algérie», et celui-ci demeure globalement élevé, surtout lorsque l’on ajoute à l’incertitude politique les lourdeurs administratives et bureaucratiques.

Un gouvernement légitime pour changer de cap

Le projet de loi sur les hydrocarbures doit être annulé car l’Algérie n’a pas besoin dans l’immédiat d’un nouveau cadre juridique. Elle est dans l’urgence de construire une vision nouvelle et cohérente de la gestion des ressources énergétiques fossiles et renouvelables. Cette vision doit miser, avant tout, sur la transition énergétique et les potentialités dans le domaine de l’énergie électrique verte – que ce soit par le solaire thermique, le photovoltaïque ou l’éolien.

A contrario, l’Algérie ne pourra pas accepter d’exploiter ses ressources potentielles en pétrole de schiste à cause des dégâts environnementaux de pollution de ses nappes phréatiques. Pour faire face à la difficulté de Sonatrach d’augmenter la production en hydrocarbures et réduire une consommation interne qui équivaudra aux exportations de gaz à l’horizon 2035, il est urgent d’agir en amont en édifiant une stratégie ambitieuse et intégrée à partir des ressources renouvelables du pays tout en optimisant les capacités du secteur pétro-gazier.

Dès lorsqu’un processus de démocratisation sera lancé, l’État devra engager un débat national sur la politique énergétique du pays. Les investissements étrangers viendraient alors appuyer une démarche cohérente qui saura valoriser les ressources durables. Et de ce point de vue, seul un régime démocratique, transparent et redevable envers ces citoyens, et crédible au plan international, pourra mener ce changement de cap vital pour l’avenir de l’Algérie.


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