Biographie de Monique Hervo



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Monique Hervo fait des études aux Beaux- Arts de Paris. Elle se spécialise dans la verrerie d’art. Elle s’engage très vite dans l’action dans l’espoir d’un monde meilleur après une guerre qui a laissé derrière elle des millions de morts, jeté sur les routes de l’exode des millions de familles, détruit des centaines de villes. Monique est quelque temps, à Grenoble, membre du Parti du peuple français (PPF) fondé en 1947 par le général de Gaulle, qu’elle quitte pour l’action de terrain. En 1956, elle rejoint le Service civil international (SCI).

En 1959, à la tête d’un groupe du Service civique international (SCI), elle s’installe au bidonville La Folie de Nanterre. La rencontre auparavant avec des compagnons de Gandhi a été décisive, dans sa trajectoire de vie.

A partir de 1972, elle sera aux côtés de l’avocat Jean-Jacques de Félice de la Ligue des Droits de l’Homme (qui débuta au barreau de Paris en défendant d’abord les enfants mineurs du bidonville, puis très vite leurs pères, emprisonnés pour leur appartenance au FLN). Elle sera l’une des cofondatrices du Groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti). Une année plus tard, elle rejoindra la Cimade. Elle y pilotera le service «Logement des immigrés» et s’engagera dans le soutien à la lutte des foyers de travailleurs africains. Puis, de 1981 à 1986, elle travaillera à la résorption des foyers Sonacotra.

Mehdi Lallaoui raconte

Monique continue à témoigner, avec ses photos, dans les écoles, les médiathèques et les associations de quartiers de son vécu et de son expérience. J’ai, à plusieurs reprises, ces vingt dernières années, accompagné Monique lors de ses conférences. Ce fut le cas dans un centre social du 12e arrondissement de Paris (en 2013, je crois) où nous avions vu venir à nous, avec émotion, les descendants des habitants de La Folie. Parmi eux, les petits-enfants du couple apparaissant en couverture de l’ouvrage Nanterre en guerre d’Algérie. C’est leur grand-mère, alors jeune femme enceinte, et son mari qui posent cinquante ans plus tôt. La photo est prise de pied et de face avec en toile de fond les planches et les tôles ondulées d’une baraque. La scène se situe en juillet 1962 au moment de la proclamation de l’indépendance du pays. Ce fut le cas également en cet automne 2018, lors des rencontres avec les lycéens de Tulle (Corrèze) dans le cadre de plusieurs manifestations autour du 17 Octobre 1961. Comme dans une cinquantaine de municipalités françaises, la ville de Tulle a acté par la pose d’une plaque commémorative dans son espace public (devant la médiathèque) la reconnaissance et la mémoire des crimes du 17 octobre 1961 perpétrés à Paris A la fin de la conférence, les lycéens, très actifs lors du débat, remercièrent longuement Monique d’être venue transmettre son témoignage. A l’unisson, les lycéens promirent de ne pas oublier ce qu’ils venaient d’apprendre. Monique, très touchée par la qualité de l’accueil et de la rencontre leur répondit : «Souvenez-vous toujours de ce que je viens de vous raconter, car si vous l’oubliez, vous m’oublierez alors moi aussi.»

Monique H. Nanterre, 1961

Pièce pour la lecture à une seule voix.

La pièce Monique H. de Mehdi Lallaoui puise sa substance dans le récit de Monique Hervo sur la manifestation pacifique algérienne du 17 octobre 1961. Elle écrira : «Noyée au milieu de ce peuple en marche vers son indépendance, ma participation reste pour moi un immense honneur que je dois aux militants de La Folie».

C’est l’auteure et actrice Nadia qui prête sa voix aux deux protagonistes de la pièce, Monique H. et son amie Fryette. Pour ce 58e anniversaire du 17 octobre 1961, Au nom de la mémoire lui rend hommage et envisage une tournée de la lecture de Monique H. tant en France qu’en Algérie. Cette initiative est soutenue par TV5 Monde et El Watan.

 

Extraits

INT/JOUR. Monique dans la baraque.

Monique est vêtue d’un grand imperméable qu’une ceinture enserre à la taille. A pas lents, elle arpente sa baraque de long en large, une boîte de chaussures sous le bras. Sur le mur de planches, deux photos sont restées punaisées. Elle en décroche la première.

(Regardant tristement une photo.) :

– 3600 jours ! 3599 nuits ! Un grain de sable… Dix ans de survie, de tristesse, mais aussi de joies et de petits bonheurs. Dix hivers au vent froid sur le plateau et d’étés de fournaise dans la poussière. Toutes ces années rythmées par de petites pierres que tu n’auras pas vécues.

(Décrochant la seconde photo.) :

– Ma chère Fryette, où es-tu ? Tu as disparu sans laisser de traces. Es-tu encore de ce monde ? (Elle s’assied sur le lit métallique et prend la photo à témoin.)

… Quand tu es partie d’ici, Fryette, le Premier ministre – tu t’en souviens, c’était Michel Debré. Ce salaud n’avait d’yeux que pour l’Algérie française… la France éternelle… le temps béni-oui-oui des colonies. Maintenant, le Premier pingouin en chef, c’est Chaban-Delmas, Jacquo, les belles gambettes pour les intimes.

Le mois dernier, Chaban a promis de détruire le bidonville et de nous reloger. On pensait qu’il s’agissait encore d’une promesse. «Promesse de politicien, somnifère de pingouin.»

Les gens devraient être heureux de partir d’ici, mais ils sont tristes…. Ceux d’en haut ne comprennent pas. «Quoi ! on rase le bidonville et on n’est pas content !» Les gens ont vécu là, ils se sont aimés, entraidés, engueulés. Des couples s’y sont mariés. Des enfants sont nés…beaucoup d’enfants. Des hommes y sont morts. Les visages sont inquiets. Ils ont peur de perdre ce grand village qu’ils ont fondé. Un village, malgré toute la misère. Nous étions un, et tout ce qui touchait un seul d’entre nous affectait tous. Nous étions En-sem-ble.

Demain, ils vont nous disperser dans des «cités de transit». Il faut adapter les pauvres à la modernité, qu’ils disent. Les gens des bidonvilles ne peuvent pas accéder tout de suite aux HLM, il faut nous acclimater. Hé, ho… on n’est pas des écureuils… C’est pour notre bien… paraît-il. Au cas où nous aurions une crise cardiaque en touchant l’eau chaude d’une vraie salle de bain, un interrupteur électrique, l’ascenseur et le gaz à tous les étages ! Là-haut, ils disent qu’il n’y a pas assez de place à Nanterre. Alors, vas-y qu’on envoie vers Colombes ou Gennevilliers. D’autres traversent la Seine pour les cités de Bezons ou d’Argenteuil, quelques familles sont relogées à Saint-Denis, à Trappe, Mantes-la-Jolie. Les gens du bidonville devraient être heureux ! Ils n’ont même pas la reconnaissance du ventre… disent-ils. Ça y est, ils attaquent la baraque où tu vivais avec tes tantes, Fryette. Que sont-elles devenues, les vieilles, Khadija, Zohra, Zineb ? Les premiers mois, elles nous ont envoyé de jolies cartes d’Algérie, puis, petit à petit, plus rien…

Vous me manquez, tous ! Maintenant, c’est au tour de la baraque de la famille Bourlem, et celle des Macer. Regarde ça… Regarde nos amis, Vois comme ils ont vieilli d’un coup. Pourtant, nous l’avons tous espérée, la fin de la ville-taudis. On s’est battus pour ça. Et toi, Fryette, il y a dix ans, tu n’étais pas au dernier rang dans la bagarre. Tu rêvais d’une autre vie, une fois la guerre terminée… C’était ici, au bidonville de Nanterre, en 1961. Qu’es-tu devenue, la Fryette ? Qu’es-tu devenue, mon amie ?

 

…. ACTE I – Scène 2

EXT/JOUR. Monique, devant la fontaine.

Un bidon à la main, Monique se dirige vers la fontaine dont le débit nous parvient par intermittence au milieu du bruit des seaux en fer blanc qui s’entrechoquent. Elle est dans une queue invisible et avance doucement vers le point d’eau pour remplir son récipient.

– 1954, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 1961… 7 ans de guerre ! Ça fait sept ans que l’insurrection a commencé. «Les événements d’Algérie», qu’ils disent. Ici, depuis deux ans, la guerre frappe à la porte de chaque famille. Autour de la fontaine, les nouvelles vont vite… L’endroit est un forum, un thermomètre de la souffrance, un journal à voix basse qui circule de baraque en baraque. 

 

On guette l’arrivée du facteur avec une boule au ventre. Sa venue annonce les drames d’Algérie. Aux mauvaises nouvelles colportées, toutes les familles se rassemblent. Ce sont les gens d’une même région qui se visitent, puis le cercle s’élargit et toutes les petites Algéries n’en forment plus qu’une, solidaire, invincible.

On pleure les jeunes tombés au maquis. On réconforte ceux qui apprennent la destruction au napalm de leur douar et ceux dont les membres ont disparu dans les rafles.

…. J’ai cette sensation bizarre de vivre dans deux mondes. Au bidonville de Nanterre, Les Champs-Elysées ne sont qu’à quatre kilomètres. Les gens de l’extérieur… ceux de l’autre continent, considèrent Fryette pour une folle, un peu niaise.

….. Fryette n’aime pas la violence et je la crois. Elle rêve d’égalité mais subit la justice coloniale. Cette soi-disant justice qui ne s’applique qu’aux indigènes. Si La justice n’existe plus, c’est aux Algériens de faire le travail et de se défendre, professe-t-elle.

Fryette est ma meilleure amie. La belle sait lire, écrire et le dissimule très bien à l’extérieur. Elle rédige les comptes rendus du FLN, transmet les messages et réceptionne les directives de l’Organisation dans tous les bidonvilles de Nanterre. Elle fait partie des deux ou trois personnes qui connaissent la véritable identité des membres de l’OS, «la Spéciale», ceux qui ciblent les policiers tortionnaires et les messalistes. Qui se méfierait d’une demi-folle dépenaillée, d’une pauvre orpheline du bidonville ?

…. Dans l’Algérie Indépendante, Fryette se rêve institutrice. Elle s’occupera des orphelins que la guerre a rejetés sur les frontières. C’est pour ça qu’elle veut tout apprendre. J’ai mis des mois à l’apprivoiser. Elle pensait que tous les Français étaient les mêmes. Puis, elle a rencontré les gens du réseau. Les flics les appellent les porteurs de valises, nous, les porteurs d’espoir.


ACTE II- Scène 2

INT/JOUR. Fryette dans la cabane.

… De ce jour, j’ai su qui était Monique. Elle était membre d’une organisation non-violente, le Service civil international, et s’était portée volontaire pour s’établir au bidonville et vivre la condition des Algériens, Elle ne voulait plus se contenter de signer les pétitions réclamant la paix en Algérie… (Elle scande mollement en levant les bras : «Paix en Algérie… Paix en Algérie…». Fichez-nous la paix avec ça…) Ce que nous voulons, c’est l’Indépendance. (Elle scande en levant le poing : «Istiqlal… Istiqlal !»)

Faut-il laisser le monopole de la violence aux bien-pensants, aux soi-disant civilisés, à ceux qui, après l’avoir de tout temps pratiqué en toute impunité, ont réussi à culpabiliser les pauvres en leur parlant de morale, d’éthique, de valeurs, de religion ?

(Comme en aparté.)

Monique m’a fait connaître Gandhi. Elle m’a fait lire les livres interdits… Jeanson, Alleg, Fanon.

… Plus tard, je serai comme Fanon. Je m’occuperai en même temps des enfants et de la Révolution.

Pfff… je divague encore… L’autre nuit, j’ai rêvé qu’à l’Indépendance, au fronton de l’hôpital de Blida, le nom de Frantz Fanon s’étalerait en grosses lettres, comme sur la façade d’un cinéma…

ACTE II – Scène 5

EXT/JOUR. Fryette à la fontaine.

… Nous voulons être libres de décider de nos langues, de nos coutumes, de l’avenir de nos enfants. Libres de manger des fleurs si bon nous semble et de danser au fond de la nuit si cela nous chante. Libres de boire un p’tit Bourbon avec ou sans glaçons et de dire merde au Général ! Merde à Massu ! Merde à Bigeard ! Merde à Salan !

 

Epilogue.

INT/JOUR. 1971, destruction du bidonville.

La baraque est vide comme lors de la première scène. Monique est habillée de la même façon. Elle est assise sur son lit métallique et commente les photos qu’elle extrait de sa boîte à chaussures. De l’extérieur nous parviennent les bruits des bulldozers qui détruisent le bidonville. Des coups sourds cognent à la porte.

– C’est bon, je n’suis pas sourde… !!

Chère Fryette, tu n’étais pas au dernier rang de la bagarre. Tu rêvais d’une vie normale une fois la guerre terminée. C’était il y a dix ans, ici, au bidonville de Nanterre, en 1961… As-tu appris, toi qui avais la poésie au cœur, ce que Kateb Yacine a écrit de cette sanglante nuit d’octobre ?

«Peuple français, tu as tout vu

Oui, tout vu de tes propres yeux.

Tu as vu notre sang couler

Tu as vu la police

Assommer les manifestants

Et les jeter dans la Seine.

La Seine rougissante

N’a pas cessé les jours suivants

De vomir à la face

Du peuple de la Commune

Ces corps martyrisés

Qui rappelaient aux Parisiens

Leurs propres révolutions

Leur propre résistance.

Peuple français, tu as tout vu,

Oui, tout vu de tes propres yeux,

Et maintenant vas-tu parler ?

Et maintenant vas-tu te taire ?»


La toute dernière fois que nous nous sommes parlé, c’était pour ta robe, pour aller manifester dans les rues de Paris. Je vous ai toutes vues partir. Madame Bento et ses cinq enfants, madame Lamraoui et ses bébés, madame Ladème et ses jumeaux, et aussi madame Brahem et ses petits. Je vous ai suivies du regard jusqu’à la sortie du bidonville ce 20 octobre 1961.

Elle range ses photos.)

– Toutes les autres sont revenues, pas toi, Fryette.

….(Elle range ses photos. A la porte, les coups redoublent d’intensité.)

– J’arrive, je vous dis !!

(Elle regarde tristement les murs de sa baraque et quitte le lieu.

 

Inauguration d’une nouvelle stèle par Anne Hidalgo

Comme elle l’avait annoncé l’année dernière, Anne Hidalgo, Maire de Paris, inaugurera ce matin une stèle commémorative – A l’angle du Pont Saint-Michel/Quai du Marché Neuf – qui marque «une nouvelle étape dans la mémoire de cette tragédie».

Cette inauguration se fera en présence d’élus parisiens et franciliens (Patrick Klugman, adjoint à la Maire de Paris en charge des relations internationales et de la francophonie, Catherine Vieu-Charier, adjointe à la Maire de Paris chargée de la Mémoire et du Monde combattant, correspondant Défense ; Dominique Versini, adjointe à la Maire de Paris en charge des solidarités, lutte contre l’exclusion, accueil des réfugiés et protection de l’enfance. Christophe Girard, adjoint à la Maire de Paris en charge de la Culture. Ian Brossart, adjoint à la Maire de Paris en charge du logement, habitat durable et hébergement d’urgence. Hélène Bidard, adjointe à la Maire de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes, de la lutte contre les discriminations et des droits humains. Ariel Weil, Maire du 4e arrondissement), de l’artiste, Gérard Collin-Thiébault, de représentants d’associations algériennes et franco-algériennes et de membres des familles des victimes.


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