Mohamed Saïd Beghoul. Expert en énergie

«Il y a un sérieux manque de volonté politique dans le dossier des énergies



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Selon Mohamed Saïd Beghoul, expert consultant en énergie, si l’Etat n’est pas en mesure d’aller vite dans la filière, il n’a qu’à encourager le particulier à y investir, voire même inviter les partenaires étrangers opérant dans le secteur pétrolier à y contribuer avec des formules à négocier.

 

Avec seulement 400 mégawatts d’énergies renouvelables effectivement opérationnelles, passer à  22 000 mégawatts à horizon 2030 est-il possible ?

Le programme national de développement des énergies renouvelables, lancé en 2011, bien que révisé en 2015, reste trop ambitieux de par ses objectifs de produire 22 000 MW à l’horizon 2030, soit presque l’équivalent de la part actuelle du gaz (20 000 MW) dans la génération électrique. Il devrait aussi permettre de porter à 27% la part des énergies renouvelables dans notre mix énergétique (électrique en fait), à l’horizon 2035, contre 2% aujourd’hui, ce qui est d’emblée utopique au vu de la vitesse d’avancement de ce programme.

Pas plus de 400 MW ont été réalisés depuis son lancement, soit un avancement inférieur à 2% en huit ans. À ce rythme, pour boucler les 21 600 MW qui restent, il faut trois siècles. Le même programme table sur une production de 4500 MW en 2020, c’est tout simplement impossible. Les objectifs de ce programme sont inatteignables, même si pour 2030, on revoit une production à la baisse à 5000 MW au lieu de 22 000 MW.

Si l’Etat n’est pas en mesure d’aller vite dans la filière, il n’a qu’à encourager le particulier à y investir voire même inviter les partenaires étrangers opérant dans le secteur pétrolier à y contribuer avec des formules à négocier. Ce ne sont pas les moyens, ni les compétences qui font défaut, mais il y a un sérieux manque de volonté politique. Aux États-Unis, par exemple, près de 15 000 MW d’éoliennes et solaires ont été mis en service rien qu’en 2018, malgré le retrait de Trump de l’accord de Paris. Ce sont plus de six millions de PME et PMI qui font tourner l’innovation dans les secteurs économiques des Etats-Unis.

Comment expliquer ce retard en Algérie ?

Je crois que les raisons du retard sont multiples. Beaucoup de nos gouvernants, et on l’a constaté, ne croient pas trop aux énergies renouvelables. Ils croient, en revanche, que le pays regorge de gaz, et c’est ce chemin, le plus court et du moindre effort, que nos gouvernants ont emprunté. La preuve, notre production d’électricité à partir du gaz naturel a pratiquement été multipliée par deux depuis 2011. Elle a grimpé de 11 000 MW à 20 000 MW aujourd’hui.

Qu’attendre des mesures annoncées par le gouvernement au moment où l’on cherche dans le contexte actuel à équilibrer entre la sécurité énergétique du pays et le respect des engagements de l’Algérie sur le marché international, surtout que les exportations d’hydrocarbures sont en baisse cette année ?

Il faut reconnaître que la situation est très inquiétante sur ce volet-là. Il n’y a plus à mystifier. Le pays se trouve confronté à un souci à deux contraintes. Il y a, en amont, le tarissement des réserves d’hydrocarbures, générant une chute de la production de 18% depuis une décennie et il y a, en aval, l’obligation de satisfaire, à la fois les besoins énergétiques internes en croissance de 7 à 8% par an et l’exportation d’une partie de la production pour engranger des recettes qui vont non seulement servir pour les importations, qui dépassent aujourd’hui les 30 milliards de dollars, et l’achat de la paix sociale, mais aussi pour investir dans la recherche pétrolière elle-même énergétivore et de moins en moins fructueuse. N’oublions pas que Sonatrach compte investir 56 milliards de dollars entre 2018 et 2022 et tout cet argent provient du pétrole.

Nous sommes arrivés au paradoxe de l’œuf et de la poule : «To make money to find oil or to find oil to make money ?» S’il faut trouver du pétrole pour faire de l’argent, il y a lieu de trouver d’abord de l’argent pour trouver du pétrole. Pour un pays mono-exportateur comme l’Algérie, aucune réponse ne tient debout. Le recul des exportations ne date pas d’aujourd’hui : on exportait 141 millions de tep en 2005 et seulement 99 millions de tep en 2018, soit un recul de 30%. Tout porte à croire qu’il serait difficile de redresser la pente sur une durée pluriannuelle d’autant plus que, pour le gaz, qui assure la moitié des recettes, les dernières reconductions de contrats avec nos clients européens portent sur des périodes ne dépassant pas la dizaine d’années avec des prix qui seront partiellement alignés sur le marché spot, ce qui ne sera pas sans impact négatif sur la rente.

Les mesures annoncées par le gouvernement pour pallier la situation sont du raccommodage et n’auront absolument aucun effet positif. Il fallait s’y prendre assez tôt, quelques décennies avant, par un programme de transition économique quand l’embellie pétrolière et l’aisance financière le permettaient. Aujourd’hui, il n’y a pas de solution immédiate pour équilibrer entre la sécurité énergétique du pays et les exportations.

La satisfaction du marché intérieur passe en priorité. À ce rythme, à l’horizon 2030-2035, la confrontation du profil prévisionnel de la production totale de gaz à ceux de la consommation locale et des exportations montre qu’en 2030, la production brute tournerait autour de 95 milliards de mètres cubes (bcm), dont 55 bcm pour le marché local. Les exportations et la réinjection se départageront les 40 bcm restants. En privilégiant le maintien de pression des gisements, en 2030 il n’y aurait plus de gaz à exporter. Il s’agit, bien sûr, des estimations personnelles mais basées sur du concret.

Mettre en place une industrie dédiée au renouvelable passe par l’amélioration du climat des affaires. Qu’en est-il justement à ce sujet ?

Oui, c’est vrai dans le fond, mais en pratique c’est selon. D’une façon générale, conscients de la non-durabilité des hydrocarbures, les pays, pétroliers ou non, commencent à investir de plus en plus dans l’industrie des énergies alternatives, mais pas nécessairement pour les mêmes raisons. Pour les uns, notamment certains pays rentiers, la motivation est essentiellement économique et c’est le déclin des réserves et la crainte de l’éminence du pic pétrolier qui les oblige à diversifier leurs économies pour pallier la disparition de la rente.

C’est en tout cas le pari des pays pétroliers du Conseil de Coopération du Golfe qui ont adopté une stratégie très offensive face aux enjeux de la réduction de leur dépendance des hydrocarbures en lançant d’ambitieux projets de diversification de leurs économies. Malgré qu’ils contrôlent 30 % des réserves mondiales de pétrole et 21 % des réserves de gaz, ces pays ont déployé le plus d’efforts dans le passage à une économie hors hydrocarbures parmi les pays de l’OPEP. On peut citer l’exemple de l’Arabie saoudite dont le plan «vision 2030» promet d’investir jusqu’à 2000 milliards de dollars dans la diversification de l’économie du royaume.

Pour d’autres pays, occidentaux en particulier, la motivation réside dans l’impératif de protection de l’environnement et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, etc. Les renouvelables pourront, certes, avoir une croissance trois fois plus rapide que celle des fossiles, mais ces derniers pourront produire jusqu’à 10 fois plus d’énergie que les renouvelables, lesquelles ne concernent, pour l’heure, que la génération électrique mais pas nécessairement à grande échelle face aux enjeux économiques de certains Etats comme le Brésil de Jair Bolsonaro qui, comme Trump, a retiré son pays de l’Accord de Paris et qui envisage d’accélérer un plan de déforestation de l’Amazonie.

Il y a également l’influence des lobbies de l’électricité où les géants de la production traditionnelle qui ont le pied sur le frein suite à la montée en puissance de l’éolien et de la photovoltaïque, une montée devenant de plus en plus problématique pour les maîtres du vieux business. Donc, pour l’Algérie, terrain vierge et très en retard dans les renouvelables, elle doit impérativement trouver ou choisir le bon partenaire. L’excitation algérienne pour Desertec en 2011, puis son abandon, est un bel exemple et le plus beau, on compte y revenir.

Quelle lecture faire de la participation de l’Algérie à la rencontre de Berlin sur la transition énergétique  ?

Ce genre de rencontres ne peut être que très bénéfique pour les participants. C’est l’occasion pour mettre à niveau ses connaissances sur les derniers développements de la politique mondiale en matière d’efficacité énergétique et d’économie d’énergie par la diminution de la consommation des énergies fossiles avec tous les scénarios possibles de transition énergétique traçant une feuille de route et une trajectoire vers un système énergétique mieux équilibré, moins risqué, respectueux de l’environnement, émettant le moins possible de gaz à effet de serre, etc.

C’est généralement le discours de toutes les conférences mondiales sur les changements climatiques. Pour un pays pétrolier rentier comme l’Algérie, participer à ces rencontres, c’est aussi savoir comment va évoluer le marché pétrolier, quelles seraient les réserves, la production et la consommation mondiales à l’horizon 2035-2040, voire 2050, quelle serait la part de chaque source d’énergie dans les mix énergétique et électrique, etc.

Ces projections mondiales vont bien évidemment servir à chaque pays rentier pour se préparer au long terme par l’élaboration de programmes nationaux visant à s’adapter au changement au risque de le subir. Malheureusement, et il est regrettable, la participation algérienne à ces importantes rencontres internationales a toujours été régulière mais se limite à une présence physique, sans plus, au point où notre pays ressemble à cet élève très assidu mais qui n’apprend pas ses leçons. Notre pays ne figure même pas dans le top 60 des pays en course dans la transition énergétique où des «petits» Etats arabes, comme le Qatar et les Emirats arabes unis, y figurent même s’ils occupent la dernière place.

Pourtant, notre pays dispose de suffisamment de gisements solaires et éoliens, mais aussi d’organes spécialisés et de compétences humaines dans le domaine. Il est certain que nos missionnaires, à l’instar des autres participants internationaux, vont évaluer les travaux de ces rencontres par des rapports et des recommandations à soumettre au gouvernement mais comme la politique de participation de ce dernier est d’«être présent sans y être», on comprend pourquoi nous sommes les meilleurs élèves de la récréation.


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