L'option présidentielle plus que jamais nécessaire ?



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L'élection présidentielle du 12 décembre est une équation à plusieurs inconnues tellement la situation est complexe et les enjeux très grands. Aux appels au boycott et au rejet des élections répond une accélération du rythme des préparatifs logistiques et techniques pour le bon déroulement de ces joutes électorales sans précédent dans l'histoire du pays.

Pour de nombreux observateurs, le hirak algérien semble faire du surplace. Aux revendications sans cesse répétées, du changement radical dans le mode de gouvernance du pays au départ de toutes les figures de l'ancien système, les mots d'ordre restent les mêmes, tandis que la réponse des tenants du pouvoir ont développé une approche qualifiée de « légaliste » et de « constitutionnelle ». Pas question donc de vacance totale du pouvoir ni de processus de transition, porteurs selon eux de tous les périls.

Désormais, ce sont les cinq candidats qui portent la voix des sponsors de la présidentielle aux quatre coins du pays, à la faveur de la campagne électorale. Les images des meetings électoraux semblent montrer une situation plus ou moins paradoxale. Les salles réservées aux candidats ne se remplissent pas, faute de militants mobilisés et d'électeurs potentiels courtisés, mais le constat n'est pas global ni définitif. Les appareils partisans de Talaie el Houriat, du RND, du front Al-Moustaqbal, du mouvement Al-Bina tentent de mobiliser leurs partisans afin de défendre la cause de leurs candidats respectifs. Seul le candidat indépendant Abdelmadjid Tebboune semble peiner à structurer sa campagne sur le terrain. Le départ de son directeur de campagne, Abdallah Baali, et l'emprisonnement de l'un de ses financiers, Omar Alilat ne sont pas pour arranger les choses.

Reste que la perception des Algériens, dans leur majorité, demeure liée aux figures de l'ancien système qu'ils considèrent avoir décapité sans pour autant l'achever. Pour eux, les cinq candidats sans exception sont liés aux années Bouteflika. Qui de chef de gouvernement, qui de Premier ministre, qui de ministre, qui d'alibi électoral pour l'ancien président, tous sont considérés comme des figures de l'ancien système. Pis, leur présence est considérée par les opposants aux électionscomme « une insulte au hirak ».

Pourquoi ? La réponse tient aux mesures que ces derniers considèrent comme des préalables à toutes discussions avec le pouvoir. Ces mesures ont été discutées entre le chef de l'Etat Abdelkader Bensalah et le président de la Commission du dialogue national, Karim Younès, en juillet dernier. Bensalah aurait accepté le principe du changement du gouvernement, de la libération des détenus (politiques et ceux emprisonnés pour avoir porté l'emblème culturel amazigh) et l'ouverture des accès à la capitale le vendredi. C'est ce qu'avait déclaré Karim Younès sur le perron d'El-Mouradia.

La mise en garde est venue d'Ahmed Gaïd Salah qui, dans un discours, a refusé « tout préalable au lancement du dialogue politique ». Les deux parties sont depuis dans la position des chiens de faïence qui s'observent en silence. Et ce silence n'est qu'un euphémisme étant donné la poursuite des marches du mardi et du vendredi. Depuis trois jours, ce sont des marches nocturnes qui signifient le rejet des élections présidentielles par une partie de la population.

Ainsi, les marches hebdomadaires répètent à qui veut entendre le rejet des élections, du couple Bensalah-Bedoui, du chef d'état-major et crient à pleins poumons en faveur de la libération des détenus qui ont pour symbole emblématique le commandant Lakhdar Bouregaa (87 ans) et les jeunes porteurs de l'emblème amazigh.

Le verrouillage du champ médiatique n'est pas pour aider à la décantation de la situation. Les pouvoirs publics sont en effet revenus à des pratiques largement dépassées de censures, de propagandes et de diktats dont pâtissent les professionnels des médias, mais surtout les citoyens.

Des fractures et des périls

Cette fracture, puisque c'est de cela qu'il s'agit, est porteuse de tous les périls pour la cohésion de la nation. L'absence de passerelles pour le dialogue élargit le fossé déjà très grand entre pro et anti-élections. Le paradigme n'étant plus le hirak en lui-même, traversé depuis plusieurs mois par des courants contradictoires et de plus en plus « nihilistes ». Le vide tel qu'il est préconisé par cette tendance n'est pas pour arranger les choses. Bien au contraire.

Les capitales occidentales et pas seulement, puisque même Pékin et Moscou semblent privilégier l'option des élections présidentielles afin de doter le pays d'un président élu, donc légitime afin de stabiliser la situation politique et sortir l'Algérie de l'impasse institutionnelle actuelle qui l'a grandement et surtout négativement impactée sur le plan international.

Washington, Paris, Bruxelles (pour l'Union européenne), Moscou et Pékin convergent sur le principe d'une sortie de crise rapide en Algérie afin de stabiliser toute la région Maghreb-Sahel et euro-méditerranéenne. La position stratégique du pays, ses ressources énergétiques, surtout pour les pays européens, son marché sont autant d'atouts qui plaident pour une stabilisation rapide de la situation politique. Pour les chancelleries étrangères à Alger, aussi généreux et spontané, le hirak n'a pas réussi à faire évoluer les choses dans le sens d'une sortie de crise. Beaucoup le considèrent désormais comme un facteur de blocage car il n'a pas su dépasser ses propres contradictions et proposer un bloc historique composé de toutes les tendances politiques et idéologiques de la société algérienne, préalable à un dépassement de l'écueil actuel. De plus, cette tendance quasi systématique de diabolisation des acteurs et des partis politiques, au nom du « dégagisme », a précipité le hirak dans le piège du « tout ou rien ».

C'est la crainte d'un chaos possible que les puissances partenaires de l'Algérie entendent éviter. Pour elles, les élections telles que proposées par le chef de l'Etat sont une sortie de crise acceptable et à moindre frais de l'impasse actuelle. Le mandat de Bensalah étant lui-même prolongé depuis le 9 juillet dernier, alors que la santé du chef de l'Etat est chancelante, ne pourra pas être encore une fois prolongé. Le timing est également apprécié, car il permettra au pays d'avoir un Président élu avant la fin de l'année. Ce dernier sera donc appelé dès les premiers jours de l'année 2020 à ouvrir les chantiers institutionnels afin de répondre aux requêtes du peuple exprimées depuis le 22 février.

C'est donc pour répondre à une crise multidimensionnelle que le pouvoir politique tient à organiser les élections présidentielles. Le politique impactant l'économique, la situation dans ce dernier secteur n'est pas pour faciliter la tâche au pouvoir actuel, encore moins au prochain président élu. Ce dernier aura sans aucun doute à appliquer un programme d'urgence

nationale tant la situation léguée par les vingt années de gouvernance d'Abdelaziz Bouteflika est catastrophique.

Politiquement, le futur président, même si le taux de participation est acceptable selon les standards internationaux, aura fort à faire. Il sera perçu par le peuple, ou du moins une partie des Algériens, comme un Président mal élu. S'il n'y aura pas de second tour, le futur locataire d'El-Mouradia sera aux prises avec une opposition inédite, celle d'une large frange de la population dont les revendications restent maximalistes.

Mouloud Hamrouche avait prédit lorsque des citoyens se sont rendus chez lui pour l'exhorter à se porter candidat aux présidentielles. « Même si je serai élu, je ne pourrai rien faire », a-t-il dit. Simple formule d'excuse ou triste prémonition ? Le verdict des urnes, le 12 décembre, sera un début de réponse à toutes les questions de la nation algérienne. Trouver des solutions ne sera que tâche ardue. Telle sera la mission première du prochain Président de l'Algérie.


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