Mahrez Rabia. journaliste, animateur télé, récemment écarté de la télévision publique

«Les médias doivent s’affranchir du pouvoir politique»



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«Je ne veux pas de beni oui oui autour de moi . Je veux que chacun de mes collaborateurs me dise franchement ce qu’il pense… même si je dois le foutre à la porte.» Clemenceau

 

Mahrez est de cette trempe d’hommes que les médias audiovisuels ont eu la chance d’avoir. L’échange avec lui est précieux.

Son discours est débité avec humour et finesse, mais toujours instructif. Tout cela se fait dans le respect des idées de l’autre, comme il sied aux gens de bonne compagnie qui ne prétendent pas détenir la science infuse et ne jettent pas l’opprobre sur ceux qui ont l’audace de ne pas penser comme eux. Au cours de notre rencontre, le désormais ex-animateur vedette de la radio et du petit écran évoquera sa carrière et le triste épisode de sa mise à l’écart après de bons et loyaux services, au motif qu’il est trop gros !

Naturellement, ce grossier prétexte ne convaincra personne, même pas ceux qui l’ont émis. Cette manière de faire est aussi stupide que discriminatoire, et certainement invraisemblable sortant de la bouche d’un responsable. Pourtant, Mahrez nous livre régulièrement un florilège de bonnes humeurs à la radio comme à la télévision et nous régale de ses émissions savoureuses. A travers ses propos incisifs, dans une indulgence amusée mais toujours élégante, sans dépassement, Mahrez a été un passage familier qui nous a accompagnés dans nos moments de joie et de doute.

Le hasard et la passion

Ce grand garçon est né en 1985 à Kouba (Garidi) où il a fait toutes ses études pour les conclure au lycée des Frères Hamia. Avait-il déjà une passion pour la radio ? «Sincèrement, à part écouter les radios françaises et anglaises, je n’avais pas d’envie particulière pour le micro. Tard dans la nuit, j’écoutais France bleue. En 2003, pour se rajeunir, la Chaîne III avait lancé un concours pour découvrir de nouvelles voix radiophoniques. C’est ma mère qui m’a incité à y aller. Il y avait une centaine de postulants.

J’étais retenu parmi la dizaine, dont Toufik Mendjli, Hakim Cheniti. On nous a proposé de relancer le théâtre radiophonique et on nous a formés pour, sous l’égide notamment de Malika Lafer et Bouterfa. On a attendu deux ans pour avoir enfin droit de cité et nous familiariser avec le micro. L’antenne ? C’était encore inaccessible.»

Après son bac obtenu en 2004, Mahrez rejoint l’Université de Dély Ibrahim où il opte pour la filière Economie-Gestion, mais compte tenu des contraintes horaires, il a dû se raviser pour suivre des cours du soir à la Faculté centrale. «Je commençais une vie, alors que je me trouvais avec des gens en fin de carrière venus pour décrocher des diplômes pour monter en grade. J’ai pu tout de même m’accrocher.» En 2005, la télévision publique lui fait appel et lui propose une émission matinale : «Bonjour Algérie».

Ça a été une belle expérience. L’année d’après, Mahrez claque tout. «Je voulais reprendre mes études, mais pas ici. J’avais réuni toutes mes économies et je suis parti en France, précisément à l’Ecole supérieure de journalisme de Paris où on a validé mes acquis pour me faire accéder directement en 3e année. J’y ai obtenu les Masters 1 et 2 et je me suis frotté directement à la presse et aux médias français.

J’étais correspondant de Radio Algérie Internationale pendant plus de 3 ans. Ce qui était bien, c’est qu’en été, je rentrais en Algérie et je rejoignais naturellement ma famille radiophonique à Alger. En 2009, j’ai exercé à la chaîne française Direct 8 devenue C8. J’étais journaliste de terrain, reporter. J’ai même présenté leur journal. J’ai fait des stages et des remplacements à Europe 1. C’est une expérience enrichissante inoubliable.»
Mahrez, dont le beau parler dégage une autorité bienveillante, était suffisamment libre, sachant jusqu’où ne pas aller trop loin !

Enfant de la télé

«En 2010, je pouvais rester, mais je suis rentré pour deux raisons. Mon père, Lakehal, fils unique, venait de perdre son père. C’était une raison supplémentaire de me rapprocher de ma famille. Mes parents sont médecins, et puis, mon pays me manquait et je ne pouvais supporter le formatage. Ici, en Algérie, on peut tout faire : la radio, la télé, l’écriture, le tournage, l’événementiel… certes, dans des conditions pas toujours acceptables et peu payées en retour, sans compter les attaques et les calomnies.

Alors, je me suis dit, il faut bien qu’un jour je puisse m’assurer un salaire décent. C’est comme ça que j’ai créé une boîte de presse peu rentable compte tenu des contraintes d’un champ médiatique pratiquement fermé. J’ai développé des concepts de cinéma en plein air pour réconcilier les jeunes avec la culture du grand écran. Puis la réconciliation de la population avec le patrimoine et les musées. On a mis au goût du jour le Bardo et le Bastion 23 qui se sont métamorphosés. Mais ces initiatives n’ont pas plu à la tutelle qui nous a injustement bloqués. Il faut dire que ce secteur a été entièrement bouffé par les enfants des dignitaires du régime !

La concurrence est réellement déloyale, sans compter les super taxes. J’ai décidé de quitter la radio en 2017 parce que j’estimais que les patrons de chaînes agissaient en maîtres absolus, faisant de l’entreprise publique un bien privé.» Sans flagornerie, Mahrez considère que tous ceux auxquels il s’adresse, soit à travers les ondes ou par le biais du petit écran, font partie de lui-même dès lors qu’il ressent ce qu’ils ressentent en y mettant un peu de sa touche personnelle. Tout au long de son parcours professionnel, il a su être drôle, insolent, fidèle et l’esprit ouvert.

Et ce qui ne gâte rien, l’ironie et le fin mot sont aussi des qualités qui l’accompagnent. Notre interlocuteur semble de visu froissé par la situation de la presse nationale qui n’est pas fédérée et qui souvent se contente du secondaire en faisant l’impasse sur l’essentiel.

Elle n’a jamais su ou voulu se structurer et s’organiser pour jouer pleinement son rôle dans la société qu’elle doit éclairer ne serait-ce qu’en qualité de lanceuse d’alerte. Mais s’il ne faut pas l’accabler outre mesure, il faut aussi tenir compte des manœuvres du pouvoir politique qui louvoie en se basant sur la fameuse devise : diviser pour régner. C’est pourquoi, en face des journalistes intègres et engagés, on trouve d’autres qui se complaisent dans leur indigne posture à la solde des politiques.

Un esprit ouvert

«C’est pourquoi les chaînes publiques ne seront efficientes que lorsqu’elles retrouveront leur véritable rôle au service du peuple, donc du contribuable qui participe à la survie de ces mêmes canaux. L’intrusion de l’argent et d’individus dans le secteur de l’information qui lui sont étrangers est aussi une autre plaie de cet outil stratégique. Quand le hirak qu’on attendait est arrivé, le réflexe d’un bon journaliste est de s’armer de son stylo, de sa caméra ou de son Nagra pour capter ses moments de vie.

C’est une expérience humaine qui ne méritait pas d’être zappée. Hélas, elle le fut en grande partie. Moi, j’ai répondu à mes convictions, convaincu que le changement peut venir de l’intérieur sachant que mes jours étaient comptés.

Un jour, ils m’ont appelé pour me signifier mon arrêt de contrat au motif que j’étais trop gros. La ficelle était trop grosse. Ils ont manqué d’intelligence. Ils auraient pu me proposer une reconversion dans le reportage, donc non exposé à l’antenne ! Je trouve, si je me base sur leur argument, que mon renvoi est arbitraire et, plus grave, discriminatoire. Je pense que c’est mon travail extra canal qui les a gênés. Quant à la télé, elle est loin de faire son travail de service public.

Concernant mon cas, je considère que ce n’est ni de la hogra ni un dépassement de l’administration qui est dans son droit. Cela dit, il faut libérer les médias du pouvoir politique.» Evoquant le hirak, Mahrez estime qu’au bout de 4 à 5 mois, ce mouvement avait dégagé des têtes qui avaient soit esquivé la question de son avenir, soit répondu de manière populiste. Alors qu’en face, le régime a eu tout le temps pour se redéployer.

On a raté le coche en juin. Maintenant, il faut profiter de cette donne en pensant à s’organiser et à se structurer en restant dans le pacifisme et le respect de l’autre…

 

 

 

 

Parcours

Mahrez, né en 1985 dans la banlieue algéroise à Kouba où il a étudié et grandi, fait partie de la nouvelle génération avide de s’impliquer dans la vie sociale, politique et économique. Brillant animateur, journaliste, il a exercé son métier ici et à l’étranger, accumulant assez d’expérience qui lui a permis d’émerger. Militant pour le progrès, la justice sociale et la citoyenneté, il a trouvé un terreau propice en le hirak qu’il a rejoint spontanément. Mal lui en a pris puisqu’il a été mis fin au contrat qui le liait à la chaîne de télévision publique. Il s’en est émancipé en créant sa propre boîte.


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