Enquête Exclusive – L’histoire secrète des frégates achetées par les forces navales algériennes – 2ème partie.



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Y a-t-il lieu de rappeler que l’armée algérienne avait tout de même fait appel en 2009 à Ferrostaal, IPIC à travers le fonds AABAR qui lui appartient, les sociétés allemandes Daimler, Deutz, MTU Aero Engines Holding et Rheinmetall, pour le projet de  »fabrication » de véhicules militaires à Tiaret, pour un montant dépassant les 720 Millions de dollars ?

Le ministre des affaires présidentielles des Emirats Mansour ben Zayed al Nahyan et le chef d’Etat major de l’époque feu Gaid Salah à l’usine d’Ain Bouchekif à Tiaret

 

Rheinmetall et Ferrostaal sont également actifs en Algérie depuis mars 2011, à Ain smar près de Constantine, dans l’usine militaire d’assemblage pour la production de véhicules de transport blindés de type Fuchs, aux côtés de l’Entreprise du Développement de l’Industrie Automobile (EDIV), relevant du ministère de la Défense nationale qui détient 51 % du projet, du fonds d’investissement émirati Aabar détenant lui 24,5% des parts du projet. Ferrostaal détient 19,5% du capital et le partenaire technologique Rheinmetall garde les 5% restants.

Le Fuchs 2 est un transporteur de troupes blindé fabriqué par Rheinmetall MAN Military Vehicles (RMMV). Ce véhicule blindé à roues peut être utilisé pour le transport de troupes, la neutralisation des bombes, la reconnaissance nucléaire, biologique et chimique et la guerre électronique.

Les hautes autorités algériennes pouvaient-elles ignorer toutes les poursuites judiciaires engagées contre la société allemande Ferrostaal, soutenue par des fonds souverains émiratis?

Pouvait-elle par ailleurs méconnaître que le fonds Aabar Investments avait acquis à la fin mars 2009 environ 9% des actions de Daimler AG, celle-ci bénéficiant du coup de l’injection de 1,95 milliard d’euros dans ses caisses ?

Ou encore que IPIC, la maison mère d’Aabar, détenait à l’époque 70% des parts de la marque MAN Ferrostaal AG ?

Non, il nous parait peu probable que l’Armée algérienne n’ait pas su que les émiratis avaient la main mise sur l’ensemble des fournisseurs et intermédiaires avaec lesquels elle allait traiter ses commandes à coup de milliards de dollars d’argent public…

Saurons-nous si des actes délictuels, mettant en jeu les allemands et les émiratis, ont eu lieu dans le cadre de l’usine de Tiaret ? Notre enquête qui se poursuit répondra dans les prochains jours à cette question !

Si pour l’heure rien n’indique que les décisions du gouvernement allemand aient pu être influencées par l’action d’El Husseini concernant la vente des frégates à l’Algérie, de nombreux cadeaux avaient tout de même été envoyés au bureau de l’ancien ministre-président de l’époque, Gerhard Schröder ou à Frank-Walter Steinmeier, un temps chef de cabinet de Schröder, également Ministre des Affaires étrangères de l’époque et qui se trouve être aujourd’hui Président de l’Allemagne depuis 2017…

Steinmeier n’avait jamais signalé les généreux présents à la Chancellerie comme la loi l’exige. En effet en Allemagne, la réglementation oblige les ministres à remettre au gouvernement des cadeaux d’une valeur supérieure à 150 €, et les députés doivent divulguer les dons et cadeaux reçus d’une valeur supérieure à 5 000 €. Un exemple à prendre !

Alors que les navires de guerre Meko A-200 de 120 mètres de long étaient en construction dans un chantier naval à Kiel à partir de 2012, le parti socialiste SPD dans l’opposition avait vigoureusement dénoncé les exportations d’armes, et s’était opposé à la vente de ces frégates pour des pays aux régimes autoritaires comme l’Algérie.

Frégate algérienne à Kiel en Allemagne

 

L’action d’El Husseini a été décisive avec le retour au gouvernement du SPD à la fin 2013, avec comme ministre des Affaires étrangères… Steinmeier.

Grâce à lui, El Husseini avait pu obtenir un rendez-vous avec le chef de département du ministère chargé des exportations d’armes, Dieter Haller dès mars 2014. Après quelques mois, le SPD faisait part d’un changement de cap radical, et les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite ou l’Algérie n’étaient plus considérées comme un sujet tabou.

Le 24 et 25 Janvier 2015, Steinmeier a même séjourné en Algérie en tant que ministre des Affaires étrangères et à la tête d’une délégation commerciale comprenant le chef de la division maritime de ThyssenKrupp.

Le ministre allemand des affaires étrangères Frank Walter Steinmeier avec l’ex président Bouteflika et l’ex premier ministre Sellal en 2015

 

En février 2016, le Conseil fédéral de sécurité, dont faisait partie Steinmeier, a définitivement approuvé l’exportation de la première des deux frégates, en novembre 2016, la seconde avait reçu le feu vert quelques mois après… Mission accomplie pour El Husseini !

Les parties prenantes à cette gigantesque transaction commerciale entre l’Algérie et l’Allemagne vont alors remercier et récompenser El Husseini pour son activité aussi trouble qu’efficace.

Dans ce contrat, ThyssenKrupp devait livrer les navires de guerre avec armement inclus. Mais finalement le fabricant allemand a renoncé à acheter les munitions, les obus, les torpilles ou les missiles guidés, comme pourtant spécifié dans le contrat et exigé par le Ministère de la Défense Nationale (MDN).

Mais rien ne va se faire selon les termes du contrat signé pourtant par les hautes personnalités de l’armée et approuvés par des commissions multidisciplinaires ou auront siégé plusieurs généraux majors de la Navy algérienne, du MDN et de représentants du gouvernement, tous en charge des services de l’administration, des finances, du technique, du juridique…

La filiale du groupe de ThyssenKrupp à Singapour va mandater la société d’El Husseini à Abou Dhabi pour fournir les munitions prévues dans le contrat des frégates, et fabriquées par plusieurs sociétés de défense en Europe, dont l’allemande Rheinmetall… Etrange !

Quel est l’intérêt d’une entreprise allemande de recourir à une entreprise émiratie pour acheter des produits de guerre d’une autre société allemande ?

Même si on sait que le patron de Rheinmetall, Armin Papperger, nourrit une relation plus qu’amicale avec El Husseini, et que l’un des quatre enfants de ce dernier avait été autorisé à travailler pendant deux années au sein de l’entreprise allemande en qualité de développeur d’affaires, en août 2013 au siège même de Rheinmetall à Düsseldorf, la surprenante décision de passer outre le contrat algérien des frégates reste injustifiable…

Comme nous, vous vous posez certainement la question de savoir quelles réelles raisons auraient poussé TKMS, qui prévoyait de doter les frégates d’un ensemble d’armes et de munitions d’une valeur d’environ 300 millions d’euros dans le cadre de ce colossal contrat avec le MDN , à recourir à la société Federal Development Establishment, basée à Abu Dhabi et dirigée par El Husseini, pour se substituer à ses obligations contractuelles.

Pourquoi un des responsables de TKMS à Kiel a même pu se permettre, dans le cadre du contrat algérien, d’officiellement proposer en Juin 2012 Ahmed El Husseini à des fournisseurs de munitions basés en Italie, très impliquée au sein de la marine algérienne, et en France ?

Le Commandement des Forces Navales algériennes (CFN) est aujourd’hui dirigé par le Général Major Mohamed Larbi Haouli. Il avait succédé à l’intérim de 4 mois du Général Major Mohamed Lakmeche, suite au décès du Général Major Malek Necib en février 2015 à Paris.

Général Major Med Larbi Haouli (à droite de l’image) aux cotés de feu Gaid Salah

 

Haouli et Lakmeche avaient déjà servis au poste d’attaché de défense à Rome et connaissent parfaitement les chantiers navals militaires italiens. Mohamed Larbi Haouli avait même été le président de la « commission de contrôle et de réception », du Kalaat Beni Abbès, porte-hélicoptères fabriqué par Fincantieri en septembre 2014. On pourrait penser que choix de l’Italie pourrait être influencé par le parcours des dirigeants de la marine algérienne.

Mais cela n’explique toujours pas pourquoi les allemands ont laissé la main à une société émiratis pour gérer une partie importante d’un contrat militaire stratégique algérien.

 »Cela s’est produit à la demande du client algérien », expliquent aujourd’hui plusieurs responsables de Thyssen-Krupp. Quelqu’un pour appeler au téléphone Mr Zeghmati et lui ordonner une enquête indépendante ?

Il faut savoir que ce n’est pas la première fois que ThyssenKrupp agit de la sorte avec l’intermédiaire libanais. La filiale du même groupe basée à Londres avait déjà auparavant signé des accords de conseil avec El Husseini dans les années 2000.

Ce dernier devait toucher une commission de 5% sur les ventes de sous-marins prévues au Moyen-Orient, et à l’Algérie. Les accords sur la vente de sous-marins à l’Algérie étaient tombés à l’eau (sans jeu de mot) au profit de la Russie ! Mais c’est là une autre histoire qu’Algeriepart est en train de mettre à jour.

A la fin du mois de juin 2012, un représentant de la division marine de ThyssenKrupp à Singapour et plusieurs sociétés de munitions impliquées dans l’affaire des frégates algériennes s’étaient plaint à El Husseini par écrit du fait des problèmes rencontrés dans le « Projet de frégates d’Algérie ».

Le montage commercial, pour le moins invraisemblable, imposait aux fournisseurs d’obtenir des licences d’exportation supplémentaires pour le matériel de guerre à livrer à Abou Dhabi et à Singapour et les autorités françaises et italiennes « ne délivreraient aucune licence pour un partenaire contractuel à Abu Dhabi »…

Cela a causé un retard dans la livraison des frégates algériennes sans susciter un quelconque émoi à la partie algérienne relativement aux délais imposés par le cahier des charges.

Une complaisance qui laisse peu de doutes sur les obscures raisons qui ont poussé le haut commandement de l’armée à ce choix, pourtant illégal, de recours à un intermédiaire dans le cadre d’un marché public !

Et c’est ainsi que des millions d’Euros ont disparus dans l’accord sur les frégates algériennes. Selon nos informations le flux d’argent imposé par le passage via Singapour et Abou Dhabi, a permis de récupérer environ 50 millions d’euros redistribués partiellement au Liban et à Hong Kong.

Mais qui El Husseini connaissait-il au niveau du MDN et des hautes autorités de l’Etat algérien lui donnant tout ce pouvoir, au point de commander et contrôler totalement la gestion du contrat d’armement algérien?

A suivre Amir Youness


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