Enquête exclusive – Corruption et impunité

Les dessous des contrats d’achats de chars russes.



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En 2014, la société russe d’exportation d’armes Rosoboronexport, propriété du conglomérat d’État Rostec, avait signé avec l’Algérie un troisième contrat de fourniture de chars de type T-90SA en 2014 pour un coût estimé à 1 milliard de dollars.

Des informations confirmées par le journal russe Vedomosti, quant à l’existence de ce contrat qui faisait suite à un autre contrat pour la livraison de 185 chars T-90S, livrés entre 2006 et 2008.

Selon nos informations, l’Armée Nationale Populaire algérienne (ANP) avait bien reçu en 2016 ses nouveaux chars de combat russes T-90 de troisième génération qui ont été déchargés au le port algérien d’Oran.

Débaquement de chars T-90 à Oran.

Ces tanks T-90 SA (S pour export et A pour Algérie), une version du T-90A dérivant lui-même des versions T-72 et T80, dotés d’un canon lisse 125 mm, d’un nouveau moteur et de viseurs thermiques, ont été spécialement modifié à la demande de l’armée de terre algérienne pour être munis d’une climatisation, d’un filet de camouflage anti-UV ainsi que d’un viseur de nuit incorporant une caméra thermique.

Ces chars de combat, produits par le plus grand fabricant de chars de combat du monde : UralVagonZavod, bénéficient déjà de mesures de protection standard comprenant une armure réactive aux explosifs, des récepteurs d’alerte laser et un système de brouillage de missiles guidés anti-char infrarouge.

Livraison de Chars russes T-90 SA en Algérie

La société UralVagonZavod, sanctionnée par le département du trésor américain suite à la crise ukrainienne, a dû faire faire face à une forte dévaluation du rouble russe et à une inflation galopante qui l’ont mis en état de quasi faillite en 2014.

Il faut savoir qu’une nouvelle loi avait été adoptée aux États-Unis en août 2017, prévoyant la possibilité d’imposer des sanctions contre tout pays importateur d’armes russes. Les américains ont prescrit par ailleurs des sanctions contre Rosoboronexport en avril 2018, rendant tous les règlements traités en dollars avec cette entreprise, risqués.

En effet, le département de justice américain s’autorise d’appliquer les lois votées aux États-Unis à des personnes physiques ou morales de pays tiers utilisant dans leurs transaction la monnaie américaine…

L’impact des sanctions américaines, suivies par celles de l’Union Européenne et tous les pays occidentaux en général, a été catastrophique pour l’Algérie.

 »Même s’ils peuvent trouver de nouvelles sources, ils doivent encore les configurer et ils ne seront probablement pas identiques à ceux trouvés en Europe occidentale. » A déclaré Dmitry Gorenburg, un expert militaire russe du groupe de réflexion CNA basé en Virginie.

L’embargo sur les exportations a effectivement affecté la chaîne d’approvisionnement des fournisseurs russes retardant de facto l’exécution des contrats commerciaux militaires, sans que l’Algérie ne puisse appliquer des pénalités de retard ou prétendre à un quelconque dédommagement, le fournisseur russe invoquant, à juste titre, la force majeure pour justifier les délais excessivement longs subis par notre pays !

Et malgré tout cela, les exportations du fabricant russe Rosoboronexport, qui ont atteint 13,7 Milliards de dollars en 2018, n’ont pas baissé, car les principaux partenaires commerciaux de la Russie sont des pays non occidentaux, qui à l’instar de l’Algérie, restent dépendants des liens politiques étroits avec Moscou. Mais pas que…

Il faut savoir que la corruption, qui peut être considérée comme un élément central du système politique russe, est très répandue dans le secteur militaire russe. Ce fléau, bien ancré dans l’industrie de l’armement et rarement inquiété par la justice, impose des coûts de fonctionnement importants qui se répercutent bien souvent sur les équipements acquis par les pays acheteurs.

Et Rosoboronexport ne déroge pas à la règle. Elle a en effet souvent été rattrapée par de scandaleuses affaires de corruption dans le cadre de marchés d’armements touchant plusieurs pays. Florilège.

En 2012, le gouvernement irakien avait signé un contrat avec la Russie pour acheter des chasseurs MiG-29M, des véhicules blindés, des avions de systèmes de défense, 42 véhicules antiaériens Pantsir-C1, ainsi que 30 hélicoptères de combat Mi-28NE80. La partie irakienne a annulé l’accord en raison de  »profonds soupçons » de corruption qui impliquaient des fonctionnaires des deux côtés. Aucune enquête de corruption n’avait été lancée du côté russe…

En 2014, des fonctionnaires du ministère de la défense de Grèce ont été accusés d’avoir violé la loi pour des faits de corruption. Lors de son témoignage au tribunal, l’ex chef adjoint du Département en charge de l’armement du ministère de la Défense grec avait cité nommément un certain nombre d’entreprises qui avaient payés des pots-de-vin à des fonctionnaires grecs.

Dans sa déclaration officielle, l’entreprise russe a, là encore, affirmé qu’elle n’avait pas participé directement à la vente d’équipements militaires aux Grecs amis à travers de sociétés allemandes, ce qui excluait la responsabilité directe de Rosoboronexport.

Une enquête de la chaîne de télévision anglaise BBC diffusée en novembre 2016 avait révélé que les sociétés d’armes russes MiG et Rosoboronexport, avaient transférés environ 146 $ millions d’euros, entre octobre 2007 et Octobre 2008, sur des comptes bancaires suisses appartenant au courtier en armes indien Sudhir Choudhrie et à des membres de sa famille.

L’enquête de la BBC avait pu mettre la main sur des documents prouvant l’existence de paiements russes, décrits comme étant liés à des exigences de ‘’compensation’’ sur les contrats d’armes.

Les sommes versées à Sudhir Choudhrie étaient partagées avec des fonctionnaires du Ministère de la défense et des politiques.

En septembre 2017, un groupe de journalistes de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) avait mené une enquête et publié un rapport sur une opération de blanchiment montée par des fonctionnaires azerbaïdjanais pour soudoyer des politiciens européens.

En 2012, « Rosoboronexport » aurait, selon l’OCCRP, transféré 29 millions de dollars à des sociétés-écran britanniques, impliquée dans un large schéma de blanchiment pour soudoyer un politicien italien Luca Volonte, figure de premier plan de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), afin d’empêcher l’adoption d’une résolution de l’APCE, qui aurait compromis la construction du Trans Adriatic Pipeline acheminant le gaz d’Azerbaïdjan vers l’Europe …

Nonobstant tous les risques ci haut énumérés, notre pays qui avait obtenu l’autorisation en 2011 de produire sous licence 120 chars, puis a signé à nouveau un autre contrat en 2014 pour l’assemblage de près de 200 chars russe T-90 au niveau de la base centrale logistique de Béni Mered dans la wilaya de Blida avec la même société d’exportation d’armes russe Rosoboronexport, a décidé d’aller plus loin.

S’étant rendu tardivement compte que l’assemblage local des tanks s’avérait plus coûteux que leur achat complet de Russie, et alors même que l’armée russe a suspendu les commandes intérieures de ses chars T-90 en 2011, les approvisionnements algériens en chars de combats russes T-90 ont vraisemblablement repris…

Il nous parait dommage que le haut commandement de l’armée n’ait pas pris le soin de réadapter sa vision et ses stratégies, au vu des évolutions rapides dans le secteur de l’armement moderne et des nouvelles réorientations géopolitiques en cours, en se tournant vers ses jeunes éléments dont les compétences acquises dans les meilleures académies militaires occidentales, contribueraient de manière efficace à la refonte de la politique militaire de notre armée. Avant qu’il ne soit trop tard !

Nouveau prototype char russe T14-Armata

Car, en ce début du mois de janvier 2020, plusieurs sources nous ont informés du débarquement de nouveaux contingentements de chars de combat T-90 SA au niveau du port d’Oran, alors qu’on leur aurait préféré les futurs chars modernes T14 – Armata, plus performants.

Arrivée de tanks T-90 le 8/01/2020 à Oran

 

Si aucune annonce officielle n’a été formulée par le commandement militaire, de nombreux citoyens ont vu défiler des camions militaires transportant des chars allant en direction des frontières libyennes.

Chars T-90 SA sur la route vers les frontières libyennes

Notre enquête qui se poursuit, reviendra avec plus de détails sur les liens ténus entre certains hauts responsables de l’armée algérienne et l’industrie militaire russe, et comment la corruption a réussi a imposer des produits obsolètes et l’omerta sur les contrats d’armements…

A suivre. Amir Youness


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