Baisse de la demande, chute du pouvoir d’achat et désorganisation des circuits de distribution

L’activité commerciale en récession



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Avec seulement 860 espaces dédiés à la vente au détail depuis l’indépendance pour 1541 communes, le déficit est criant. Un déficit que les 468 marchés de proximité réalisés au cours de ces dernières années n’ont pu combler.

Ces structures n’ont de proximité que le nom ayant été construites hors zones urbaines. Ce qui fait qu’aujourd’hui, ces marchés ne sont pas exploités, ouvrant la voie à l’informel. Ils sont carrément abandonnés et en état de dégradation totale. Et dire que d’importantes enveloppes financières ont été engagées pour leur réalisation. Sur ce nombre, 102 ont été confiés en gestion par délégation. Et là encore, pas de résultats puisque seulement 12 sont aujourd’hui opérationnels.

 

Affectée par de nombreux dysfonctionnements et gangrenée par l’informel, l’activité commerciale est en berne. Le secteur qui domine largement l’économie en Algérie, selon le dernier (le sixième du genre) recensement économique de 2011 avec 55,1% va mal. Il est au ralenti avec une activité en baisse au cours de l’année 2019 et des perspectives qui s’annoncent difficiles pour les mois à venir.

Une enquête de l’Office national des statistiques (ONS) dont les résultats ont été rendus publics la semaine dernière montre clairement ce ralentissement dont se plaignent grossistes et détaillants, avec un recul beaucoup plus accentué chez la deuxième catégorie. Les raisons qui expliquent ce ralentissement sont multiples. Indisponibilité des produits et éloignement des sources d’approvisionnement figurent parmi les facteurs cités dans l’enquête concernant, à titre de rappel, le troisième trimestre de 2019.

Ces difficultés ont essentiellement touché la droguerie, quincaillerie, appareils électroménagers et parfumerie (DQAEMP), les machines et matériels d’équipement et l’agroalimentaire. La hausse des prix d’acquisition des produits explique également ce recul.

Les prix en hausse

Exemple : plus de 25% des commerçants grossistes et plus de 40% des détaillants ont jugé les prix d’achat des produits «élevés» dans les trois segments cités plus haut. Mais ce que ne dit pas l’enquête, c’est que la baisse de l’activité économique au cours de l’année dernière (avec l’incertitude et le manque de confiance qui se sont installés sur la scène économique) ont drastiquement fait chuter la demande en certains produits. Elle ne dit pas non plus que l’érosion du pouvoir d’achat a réduit aussi cette demande.

Globalement, selon l’Association nationale des commerçants et artisans (ANCA), la baisse est estimée à 40%. «80 000 commerçants ont gelé leur activité ou changé de créneau. Certains se sont carrément convertis dans l’informel qui a repris de plus belle en 2019», nous dira à ce sujet le premier responsable de l’association, Hadj Tahar Boulenouar qui lie cette décadence au climat de méfiance chez les commerçants. «Les transporteurs de marchandises, les distributeurs et les fournisseurs ont pris le choix de réduire leur activité. Nous avons constaté une diminution des importations de certains intrants. Les sous-traitants avec les grandes sociétés impliquées dans les affaires de corruption ont perdu des marchés. Ce qui a induit une mévente de certains équipements et matières premières», nous expliquera encore M. Boulenouar. Autre facteur et non des moindres, la baisse de la consommation des ménages en raison de la chute du pouvoir d’achat. «Le rythme des achats des consommateurs a sensiblement chuté, que ce soit dans l’habillement, l’ameublement, l’électroménager, les articles scolaires ou les denrées alimentaires», nous résumera le représentant de l’ANCA.

Ce que nous confirmera un gérant d’une supérette à Alger. «Les gens n’achètent plus comme avant. En 2019, nous avons vendu beaucoup moins qu’en 2018. Nous avons remarqué que les citoyens cherchent toujours à acquérir les produits au plus bas prix. Pour les fromages dont les prix ont fortement augmenté, la demande n’est plus la même par rapport aux années précédentes. Souvent, à quelques exceptions, les consommateurs cherchent dans les rayons les moins chers sans se soucier de la qualité», nous dit ce commerçant.

Et de reconnaître que même à leur niveau, la trésorerie ne leur permet pas de diversifier l’offre, d’autant que les prix ont augmenté chez les grossistes pour un bon nombre de produits. D’ailleurs, l’affluence est timide à ce stade à travers les différentes places de grossistes d’Alger, de Bab Ezzouar à Chéraga en passant par Semmar et Jolie Vue.

«Avant, pour rallier le marché de gros de Semmar, il fallait passer des heures tellement la circulation est dense alors qu’aujourd’hui, la voie est libre, on peut y accéder facilement», ajoute notre commerçant, pour qui les affaires ne sont pas au beau fixe. Même sens de cloche chez un autre pâtissier qui évoque dans son cas également la hausse des prix des matières premières entrant dans la fabrication des viennoiseries, gâteaux et autres douceurs et la baisse de la demande de la part des consommateurs.

Abandon et dégradation

Parallèlement à tous ces points, il faut dire que la faiblesse de la production nationale, la complexité du réseau de distribution (plusieurs intermédiaires), le déficit en marchés de gros et de proximité ne jouent pas en faveur de l’essor de l’activité commerciale dont une bonne partie évolue dans l’informel. Et ce, en dépit de toutes les mesures arrêtées jusque-là pour endiguer le phénomène revenu en force cette année. «L’informel est un héritage de la décennie noire. Il y a eu d’ailleurs des mesures pour l’éradication de 800 points noirs», nous rappellera dans ce sillage Ahmed Mokrani, directeur de l’Organisation des marchés et des activités commerciales au niveau du ministère du Commerce, comme pour souligner l’ampleur du travail qui reste à faire pour limiter son expansion.

Le cap sera mis justement dans les prochains jours sur la poursuite du programme de réalisation des marchés de gros et de détails à travers le pays. Avec seulement 860 espaces dédiés à la vente au détail depuis l’indépendance pour 1541 communes, le déficit est criant. Un déficit que les 468 marchés de proximité réalisés au cours de ces dernières années n’ont pu combler.

Car, en fait, ces structures n’ont de proximité que le nom, ayant été construites hors zones urbaines. Ce qui fait qu’aujourd’hui, ces marchés ne sont pas exploités, ouvrant la voie à l’informel. Ils sont carrément abandonnés et sont dans un état de dégradation totale. Et dire que d’importantes enveloppes financières ont été dégagées. Sur ce nombre, 102 ont été confiées en gestion par délégation.

Et là encore, pas de résultats, puisque seulement 12 sont aujourd’hui opérationnels, selon M. Mokrani qui nous dira : «Un travail est en cours avec les collectivités locales pour prendre en charge ce dossier.» D’ailleurs, dans les prochains jours, une réunion se tiendra au ministère du Commerce pour décider du sort de ces marchés abandonnés après avoir été construits à coups de milliards de dinars (10 milliards de dinars dans le cadre du programme quinquennal 2015-2019) et dont certains, faut-il le rappeler, ont été gelés (189) ou annulés (12) en 2016. Concernant les marchés de gros, le programme porte sur huit structures dont 2 sont opérationnelles (à Sétif et Aïn Defla) 2 prochainement réceptionnés en mars 2020, alors que ceux de Djelfa et Mascara sont à un stade avancé, en attendant que Ouargla et Mila rejoignent le lot.

Ce programme a été confié à l’entreprise publique de réalisation et de gestion des marchés de gros (Magros) et financé à hauteur de 95% par des crédits bancaires. Mais il a connu un retard, puisqu’en neuf ans d’existence, Magros n’a finalisé que la moitié de ce plan alors que d’autres mesures se font attendre pour une meilleure organisation du secteur du commerce.

Une mission qui s’annonce difficile pour l’actuelle équipe qui multiplie depuis son installation les rencontres avec les acteurs du secteur pour débattre des mesures à même de relancer l’activité commerciale et de l’organiser avant de reprendre le chemin de la numérisation. Autrement dit, développer l’e-commerce qui a également stagné pour sa part.

Le E-commerce, un chantier  en stand-by

Le rapport Internet Trend 2019 indique que d’ici 2022, le commerce électronique représentera 17 % du total des ventes au détail dans le monde, tandis que 41% des ventes en ligne seront influencées par le numérique. En Algérie, c’est toujours l’attente. Preuve en est, l’indice mondial 2019 du commerce électronique, établi par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) met l’Algérie à la 107e place sur 152 pays.

Ce qui suscite moult questions chez les opérateurs de vente en ligne, à l’image de Jumia. «On est en droit de se demander si l’absence du e-paiement est perçue comme un handicap pour le développement du e-commerce en Algérie, ou bien le commerce électronique a juste besoin de temps pour prendre une place plus importante dans le mode de vie de l’Algérien ?», s’interroge un représentant de Jumia, tout en restant confiant quant à l’avenir du commerce électronique en Algérie. «Ce qui est sûr, c’est que plusieurs mesures et procédures sont en train d’être mises en place afin de faire évoluer le commerce électronique comme la taxe sur l’utilisation du cash appliquée depuis peu dans certains centres commerciaux». En tout cas, le déclic se fait toujours attendre.

L’exemple nous vient des terminaux de paiement électronique dont le déploiement devait être généralisé en 2019 (conformément à la loi sur le e-commerce fixant les règles générales du commerce électronique des biens et des services promulgués en juin 2018) avant d’être reporté à cette année.

«On s’est précipité dans le lancement du système et on doit le reporter à 2020», avait indiqué en février 2019 l’ancien et actuel ministre des Finances, Abderrahmane Raouya en relevant la nécessité de mener à nouveau une étude de terrain. En attendant, il est tout à fait clair que le manque de confiance en le système bancaire et l’ampleur de l’informel constituent les principaux freins de développement des moyens de paiement électronique.

D’ailleurs, selon le Groupement d’intérêt économique de la monétique (GIE Monétique), sur 1,5 million de commerçants susceptibles d’être équipés en TPE ou de réaliser des vitrines en ligne, seuls 21 000 sont dotés de TPE.

Un chiffre qui en dit long sur cette carence en confiance et qui souligne l’urgence de la rétablir. .


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