Plaidoyer pour une meilleure lutte contre les violences faite aux femmes



...

A peine la campagne d’action de lutte contre les violences faites aux femmes bouclée, qu’un plaidoyer pour une meilleure démarche et prise en charge a été lancé. Une occasion, aujourd’hui, d’énumérer les obstacles qui ralentissent une lutte efficace. Constat établi : un dysfonctionnement dans la coordination entre les différents services, un déficit dans la formation du personnel médical et l’absence d’études fiables…

Si une victime se présente pour porter plainte ou demander assistance, elle se heurte à mille et une entraves et incompréhensions et ne sait plus où donner de la tête pour se faire entendre. Face aux violences faites aux femmes, il n’existe toujours pas de guichet unique. La prise en charge exige tout un protocole, c’est-à-dire du signalement jusqu’à réparation impliquant plusieurs acteurs.

A ce jour, si une victime vient porter plainte, elle fera face à un protocole éparpillé. Chaque secteur, comme les services de sécurité, la justice ou les centres d’accueil sous tutelle du ministère de la Solidarité agissent chacun de son côté. Mme Ouahiba Sakani, représentante adjointe du FNUAP, évoque la faiblesse de coordination qui existe entre les différents acteurs.

De plus, l’Algérie doit élaborer un protocole de prise en charge et documenter tous les progrès effectués à ce jour, selon le FNUAP. L’éparpillement des procédures fait que la victime n’a pas l’information où aller quand elle subit à un acte de violence et ne connaît pas ses droits ni le cadre légal. Souvent, d’ailleurs, les victimes renoncent à déposer plainte, explique Nadia Aït Zaï du Cidef, même si, selon l’avocate, «la situation s’est améliorée depuis des années». En effet, le tableau n’est pas entièrement noir. Les mécanismes existent, mais il y a un manque flagrant de coordination.

Ces mécanismes sont entre autres ceux qui relèvent particulièrement de la santé. Le médecin légiste qui délivre le certificat décrivant les coups et blessures est un acteur majeur dans le processus, tout autant que les services hospitaliers pour des actes médicaux d’urgence, puis les services de sécurité que sont la police et la gendarmerie pour le dépôt de plainte quand celle-ci ne passe pas directement par le procureur.

Vient enfin l’institution judiciaire par l’entremise du procureur, du juge d’instruction et le juge du tribunal pour la condamnation de l’auteur. Dans ce circuit, les lieux d’accueil et d’hébergement vont servir au placement d’urgence des femmes dont la vie est en danger ou celles qui ont été mises à la porte de leur domicile conjugal ou familial.

Plusieurs démarches en même temps. Et c’est là où la nécessité d’un guichet unique s’impose et d’un protocole qui régit la prise en charge à travers des rôles et responsabilités bien définis. Le but ? Nadia Aït Zaï explique : «Dès que la victime fait son entrée au commissariat, elle sera examinée par un médecin légiste et pourra par la suite déposer plainte sur place et être acheminée vers un centre d’accueil et d’hébergement, ou vers un centre hospitalier, si sa vie est en danger et si elle présente des blessures graves.»

Pour plusieurs raisons, le guichet unique est indispensable. D’ailleurs, sa mise en place en Autriche, aux Etats-Unis ou encore au Qatar a fait ses preuves. L’exemple le plus probant nous vient d’Espagne, où la promulgation de la loi cadre de protection des femmes victimes de violence a réussi dans une large mesure à améliorer sensiblement les choses. Tous les ministères de ce pays sont impliqués dans la prise en charge. Les services de sécurité ont une base de données qui leur permet de suivre les agresseurs, même quand ces derniers changent de résidence.

La pérennisation, un autre défi

A chaque remaniement de gouvernement, les priorités changent. Durant la période de 2014 à 2017, une priorité était donnée aux victimes. Une initiative a vu le jour, où des hommes s’étaient impliqués dans la prévention de la violence à l’égard des femmes comme agents de changement. Mais depuis, cette initiative n’a pas continué. Mme Sakani relève cette difficulté d’avoir des programmes ou des orientations pérennes.

Elle explique : «Le FNUAP a signé un plan d’action avec l’Algérie et s’aligne sur les priorités nationales.» D’ailleurs, l’agence onusienne planifie de renouveler son programme avec le ministère de la Solidarité nationale et souhaite apporter son appui pour capitaliser sur les acquis. Un problème qui explique un autre : l’absence d’études. La dernière enquête sur la violence à l’égard des femmes date de 2006.

Un état des lieux a été fait particulièrement en matière de structures et le travail des institutions. Mais la question que Mme Sakani se pose est de savoir ce que nous avons construit à partir de ces données ? Dix ans plus tard, une enquête de prévalence quantitative et qualitative devait être lancée afin de connaître l’évaluation du phénomène. Tous les moyens et le budget étaient mobilisés, affirme la représentante adjointe du FNUAP, mais la démarche n’a pas abouti.

Seule une étude qualitative a pu être faite, dont le rapport a été finalisé en juin 2019. Elle renseigne sur le rôle des hommes et des femmes et leurs perceptions de la violence. Ces résultats gagneraient à être pris en considération. Ce manque de visibilité pourrait être aussi la cause de ce «désert» en matière de structures d’accueil. La création additionnelle est une priorité, selon Ouahiba Sakani.

Les centres d’accueil existants «n’offrent pas tout pour les victimes». Certains, selon Fadila Chitour Boumendjel, sont considérés comme des «prisons» : interdiction de travailler, d’utiliser le téléphone… Il y en a même d’autres qui refusent l’accès aux enfants des victimes. Soumia Salhi évoque aussi les expériences de centres d’écoute et d’aide aux victimes après celui de la Commission nationale des femmes travailleuses de 2003 à 2008. Mais, sur la durée, il est difficile de trouver les moyens de financement de l’activité. Beaucoup ont disparu.

D’autres mènent un combat quotidien. Le centre d’écoute et d’accueil du réseau Wassila enregistre 100 nouveaux cas par an, sans comptabiliser le suivi des anciennes victimes. Mais les moyens sont limités, même si Mme Chitour Boumendjel témoigne du flux de femmes à la recherche d’orientation juridique, mais surtout d’écoute psychologique.

La formation fait défaut

Elle insiste aussi sur ce personnel médical qui n’est pas formé pour distinguer une victime de violence d’une autre. Dans certains pays où la lutte contre la violence et sa prévention est plutôt efficace, le signalement se fait automatiquement par le personnel médical auprès des services de sécurité, même si la victime n’avait pas l’intention de dénoncer.

Fadila Chitour Boumendjel évoque l’inexistence d’une formation du personnel médical pour une prise une charge spéciale et particulière de ces victimes, à l’exception des médecins légistes et quelques formations continues. Elle plaide d’ailleurs pour la reconnaissance du statut de victime, mais de victimologie comme entité. Il est au stade de plaidoyer, souligne-t-elle.

Enfin, Nadia Aït Zaï livre sa vision sur les tabous qui persistent encore, sur le regard de la société face à ces violences. Elles sont considérées par le courant conservateur comme des questions relevant de la sphère privée, de la famille et donc pour celui-ci, il ne faut pas en parler en public. Cette question, selon ce courant, doit se régler dans l’espace familial.

Les femmes doivent être contrôlées, soumises à l’autorité de l’époux ou du frère. Soumia Salhi, militante féministe et syndicaliste, dissèque la même thèse : la société a d’abord reproché aux femmes de sortir, d’avoir osé quitter l’enfermement qui était la norme. «Nous avons progressé, mais nous n’avons pas encore dépassé totalement cette situation. Nous sommes encore dans la négociation sociale, même dans le cadre du hirak, avec certains secteurs de la société pour imposer notre légitimité à réclamer nos droits…», dit-elle.

Cependant, cette présence massive des femmes dans les cortèges du hirak témoigne des profondes transformations de la société et exige une reconnaissance des droits des femmes dans une Algérie égalitaire.

La légitimité de la criminalisation de la violence conjugale vient du nouveau statut conquis par la femme, notamment au niveau professionnel. Autrement dit, toujours selon Soumia Salhi, la banalisation de la violence, sa justification et l’intolérance sociale font encore de la résistance. A signaler aussi que pendant ce long parcours entrecoupé, la victime abandonne parfois.

Car, selon Nassera Merah, ce qui aggrave la situation, c’est le manque de moyens matériels. En effet, les femmes sans ressources, sans possibilité de logement, comment peuvent-elles se reconstruire, payer les honoraires des avocats, les frais de justice et subvenir aux besoins de la famille ? Mme Chitour Boumedjel, présidente du réseau Wassila, explique aussi que les femmes en contact avec le centre d’accueil qu’elle dirige sont demandeuses de logement. Un logement équivaut à une certaine autonomie, ce qui fait qu’une victime pourra retrouver un semblant de vie digne et  tenter de se reconstruire.

– Cartographie des centres d’hébergement

Schématison la carte où les centres sont dispatchés : deux centres nationaux d’accueil pour jeunes filles et femmes victimes de violences et en situation de détresse. L’un se trouve à Bou Ismaïl et l’autre à Mostaganem (tous deux gérés par le ministère de la Solidarité). Il y a aussi le centre d’accueil de SOS femmes en détresse à Alger; cette association est la plus ancienne dans cette intervention.

Le centre d’accueil Darna de Mohammadia à Alger, de l’association Rachda, existe toujours. Pour l’écoute et l’accompagnement, il existe celui du réseau Wassila de Draria à Alger et celui du Cidef. A Oran, la cellule d’écoute Karima Senouci de l’association FARD est à la disposition des victimes. Une carte très limitée et restreinte dans quelques villes du pays. Nassera Merah évoque un problème profond.

Pour avoir des centres d’accueil ou de prise en charge pour les femmes victimes des violences domestiques, il faudrait que leur statut de victimes soit reconnu. L’Etat n’a pas pris en charge la question des violences domestiques, puisque ces dernières sont traitées, dans le cas où les femmes portent plainte, dans le droit commun. N. O.

– Quel signalement ?

Les services de sécurité disposent d’un numéro d’urgence (police ou gendarmerie). Il n’est évidemment pas dédié aux violences seulement. Le dispositif du ministère de la Solidarité autour d’un numéro vert, le 15-27, existe aussi. Les associations comme le réseau Wassila (0560 100 164) et le Cidef disposent quant à eux d’un numéro vert. Leur personnel est là, tant bien que mal, pour écouter, orienter ou prendre en charge quand les moyens le permettent. Mais il faut relever aussi qu’une dénonciation est toujours difficile pour ces femmes.

Car ce n’est toujours pas facile pour une victime de dénoncer une violence survenue dans l’espace familial. D’ailleurs, les données de la DGSN, établies en fin 2019 révèlent 5620 cas de violences enregistrés de janvier à septembre de la même année. Il s’agit de violences corporelles, sexuelles, coups et blessures entraînant la mort, le meurtre prémédité, le harcèlement sexuel et les mauvais traitements.

Il est signaler que ces données sont en baisse comparativement à la même période de l’année 2018 qui était de 7061 cas, ce qui reste quand même énorme, sans compter les actes non signalés. Les données de la DGSN ne permettent pas d’indiquer l’ampleur du phénomène ni la tendance actuelle. L’ONU estime qu’une femme seulement sur dix porte plainte. N. O.


Lire la suite sur El Watan.

Publier des annonces gratuites

Autres sites

Sciencedz.net : le site des sciences
Le site des sciences en Algérie


Vous cherchez un emploi? Essayer la recherche d'emploi en Algérie
Babalweb Annonces Babalweb Annonces
Petites annonces gratuites