L’imposture de l’art contemporain

entre barbouillage pictural et maquignonnage culturel (I)



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Par Mesloub Khider  «L’art de plaire est l’art de tromper», De Vauvenargues. «Si ça se vend, c’est de l’art», proverbe suédois.
«Quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver !» aimaient-ils répéter les dignitaires nazis, en référence à une réplique tirée d’une pièce de théâtre jouée le 20 avril 1933, à l’occasion de l’anniversaire d’Adolf Hitler, fraîchement hissé démocratiquement au pouvoir trois mois plus tôt. Aujourd’hui, avec la dégénérescence de l’art contemporain, aucune arme de colère ne suffirait pour laisser exploser sa révolte contre la vacuité culturelle ambiante.

La culture est en pleine déconfiture, réduite à être vendue dans les supermarchés comme des pots de confiture, sous forme de reproduction gadgétisée pour public aliéné, pétri de l’idéologie no future.

Au reste, les expositions d’art, dernier refuge d’un simulacre d’esthétique, du fait de la décadence de la culture bourgeoise, sont devenues incompréhensibles pour le commun des mortels. Ces temples du crétinisme artistique sont fréquentés uniquement par les initiés, cultivant un élitisme bourgeois, féru d’hermétisme culturel et un entre-soi pétri d’arrogance intellectuelle.

L’art contemporain est à l’image de cette société capitaliste narcissique :  il est fondé sur un nombrilisme où l’égocentrisme a été érigé en art de vivre, dans lequel la superficialité le dispute à l’artificialité, la créativité a cédé à la conformité. Avec le nouvel esprit nihiliste du capitalisme dominé par la production en série d’objets factices, en matière d’art, tout objet insignifiant et fastidieux peut être métamorphosé en représentation artistique par la grâce de la propagande médiatique affidée, chargée de vendre la camelote idéologique bourgeoise sous emballage culturel.

La banalité de l’art et la débilité culturelle s’exposent fièrement dans les galeries visitées par les classes opulentes crétinisées. Tout se prête à exposition, surtout la bêtise culturelle, la médiocrité artistique. Les idéaux universels ont été délaissés au profit de modèles égocentriques, narcissiques, libertaires. L’égotisme est devenu la valeur refuge dans cet univers aliénant, ayant érigé les caprices individuels enfantins, bourgeois, en culture dominante. Le principe de réalité s’est effacé devant le principe de plaisir. La réalité artistique a été congédiée de l’univers culturel. Seules dominent les capricieuses fantaisies infantiles, élevées au rang d’objet d’art. Même les avant-gardes artistiques se sont muées en arrière-garde culturelle, à la remorque de la vulgarité des arts «mercantilisés». L’art n’exprime plus au travers de ses créations les engagements collectifs, mais se borne à valoriser le narcissisme ambiant par la mise en vente des égotistes productions d’artistes petits-bourgeois déconnectés de la réalité. Les conflits de classe et les projets émancipateurs ont été répudiés par les artistes contemporains, totalement intégrés par le capital.

L’art contemporain ne produit plus d’utopies salutaires. Aussi, faute de transformer la société, se borne-t-il à transformer les objets de fabrication industrielle en œuvres d’art, vendues à prix d’or aux collectionneurs richissimes, ces richissimes parasitaires qui préfèrent investir dans la vacuité culturelle que dans la production industrielle.

Dans cette civilisation de pacotille, tout produit fabriqué par la polluante industrie capitaliste peut connaître désormais une nouvelle vie, sous la factice opération commerciale artistique propulsée par les mandarins de la culture mercantile. Boîte de conserve, bouteille de Coca-Cola, bidet, urinoir, tout produit peut se transmuer en œuvre d’art monnayable sur le marché. Ainsi, les déchets et déjections du capital et de la société de consommation se sont mués en uniques sources d’inspiration pour les artistes contemporains décadents, contaminés par la médiocrité intellectuelle de cette société marchande en pleine putréfaction. Aujourd’hui, l’art verse dans l’autosatisfaction, la vulgarité généralisée. La quête de l’originalité esthétique a été bannie, et la stérilité artistique bénie. Enfant bâtard d’un capitalisme libertaire débridé, l’art contemporain valorise outrancièrement l’exhibitionnisme et la pornographie culturelle. De même, produit d’une société capitaliste vulgaire, il exalte le scatologique et le morbide. Délivré de toute entrave morale, il manifeste un penchant sadique pour la provocation culturelle et la dépravation esthétique.

En outre, l’art contemporain, soumis à la logique du capitalisme libéral, cultive le culte de la subjectivité, expression d’une vacuité culturelle destinée à la bourgeoisie décadente. De nos jours, les galeries d’art servent uniquement à exhiber des objets dénués de toute créativité artistique. Elles permettent surtout de se ménager un espace artificiel culturel où se côtoie l’élite bourgeoise cultivée en déshérence artistique. C’est le lieu de l’entre-soi culturel par excellence, lieu élitiste dans lequel la fine fleur des nantis médiocres érige des codes «artistiques» abscons, incompréhensibles pour le peuple laborieux, exclu des mondanités artistiques, de la culture dominante élitiste.

Par sa marchandisation effrénée, l’art contemporain est devenu un énorme marché offrant des produits culturels factices, destinés exclusivement à la bourgeoisie parasitaire oisive en quête de blanchiment de son argent, salement extrait de l’exploitation des travailleurs et de ses opérations boursières toxiques. De là s’explique la médiocrité des artistes œuvrant pour la satisfaction capricieuse de cette classe bourgeoise aux goûts culturels frelatés, aux connaissances esthétiques avariées.

Désormais, la frange parasitaire artistique partage les mêmes conceptions bourgeoises médiocres de la culture. Qui plus est, grâce aux revenus qu’elle tire des commandes de la bourgeoisie, cette coterie artistique partage également le même mode de vie privilégié. La coterie artistique et sa clientèle bourgeoise ont les mêmes intérêts : la confrérie vénale artistique ne peut donc subvertir un ordre social qui la valorise, se rebeller contre le système qui la nourrit. Quand bien même certains artistes cultivent un art rebelle, leur rébellion demeure toujours superficielle, purement esthétique, jamais politique, ni sociale. Ils refaçonnent les mêmes objets culturels, mais ils sont incapables de façonner une nouvelle réalité illustrée par et dans une œuvre révolutionnaire. Depuis plus d’un siècle, les artistes se sont fondus dans le monde aliénant capitaliste, dilués dans le consumérisme, noyés dans le conformisme. Plus aucune créativité révolutionnaire ne peut sourdre de l’art contemporain corrompu, sourd à l’art de vie populaire.

Pour mieux illustrer la crise de l’art, la décrépitude de l’art, nous bornons (sans jeu de mots) à dessein notre analyse à la peinture ou plutôt à la corporation des peintres : cette coterie où le figuratif artistique a cédé devant la figure de l’artiste.

Car, en matière picturale, l’esthétique s’est transplantée l’œuvre à son auteur. On n’admire plus un tableau pour sa beauté esthétique mais pour la provocante originalité de son médiatique auteur, propulsé au sommet de la célébrité par l’autre vénale confrérie reconnue pour ses performantes productions propagandistes, la congrégation des médias œuvrant servilement au service des puissants, ces concepteurs de l’idéologie dominante faisandée.

Historiquement, l’art pictural remonte à la nuit des temps, au temps des cavernes, dont de nombreuses, notamment la grotte de Lascaux, témoignent de l’esprit créatif de nos ancêtres. Avant de s’épanouir en plein air à l’ère néolithique, illustrée par l’art rupestre dont les gravures du Tassili du Hoggar illustrent la créativité de nos aïeux berbères, la peinture préhistorique s’est longtemps exprimée, à l’époque paléolithique, d’abord dans les profondeurs des cavernes. Cet art pariétal est l’œuvre de l’Homo sapiens.

Une chose est sûre : l’histoire de la peinture n’a pas été un cadre temporel badigeonné de sereines créativités. Son tableau historique a été recouvert de controverses «stylistiques», relatives aux procédés picturaux, de divisions artistiques relativement aux choix des thématiques sociétales et de leurs représentations, mais aussi bariolé de ruptures idéologiques consécutivement aux bouleversements sociaux et politiques. Cependant, toutes ces dissidences artistiques de la peinture avaient pour motivation essentielle d’accomplir une reproduction picturale encore plus fidèle et plus remarquable du réel. Toutes les écoles artistiques dissidentes visaient la perfection dans la représentation culturelle, l’abonnissement esthétique.

De manière générale, durant plusieurs millénaires, les peintres, auxquels il convient d’adjoindre les sculpteurs, reproduisaient fidèlement le réel, offraient une représentation des êtres, des lieux et des choses, identifiables et reconnaissables par tout un chacun, grâce à leur génie artistique. Les peintres avaient également pour mission de donner une figure tangible aux croyances et aux mythes, d’illustrer visuellement la religion, les légendes et l’histoire, au moyen de techniques picturales ou sculpturales.  D’éclairer picturalement le monde par l’observation directe du réel, reconstitué fidèlement dans leurs œuvres, aisément perceptibles et intelligibles par tout un chacun. D’immortaliser, pour la postérité, les événements historiques peints dans le feu de l’action. Cette mission de reproduction du réel, de représentation des êtres et des choses a été, des milliers d’années durant, dévolue aux peintres. Du moins, jusqu’au XIXe siècle, époque de l’invention de la photographie. Au cours de cette longue période, les peintres ont bénéficié d’une vénération quasi divine, d’une protection royale et religieuse officielles, de gratifications matérielles substantielles.

M. K.

(A suivre)

Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.

 


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