Enquête – La Sonatrach Confie Ses Données à Une Société Suspectée d’Espionnage !



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Pour nombre d’observateurs la rivalité géopolitique américano-chinoise a pris des proportions alarmantes depuis l’arrestation, en début du mois de Décembre 2018, du Directeur Financier de Huawei, Meng Wanzhou au Canada.

Les accusations portées contre le géant chinois des télécommunications, pour avoir enfreint les sanctions américaines contre l’Iran, cachent mal la course effrénée que se livrent les deux superpuissances pour la maîtrise technologique sur fond de guerre froide hybride.

Meng, qui est également la fille du fondateur de Huawei Ren Zhengfei, est accusée par l’administration américaine d’avoir utilisé Skycom, une filiale de Huawei basée à Hong Kong, pour échapper aux sanctions américaines contre l’Iran entre 2009 et 2014.

Huawei se présente pourtant comme une entreprise privée appartenant à ses employés, sans aucun lien avec le gouvernement chinois, mais les critiques soulignent que son fondateur, Ren Zhengfei, était un ancien ingénieur des services de renseignements de l’armée du pays qui a rejoint le parti communiste en 1978.

 »Il est de pratique en Chine que les relations entre les entreprises chinoises et l’État doivent être extrêmement étroites », a déclaré le professeur Anthony Glees, directeur du Centre d’études de la sécurité et du renseignement de l’Université de Buckingham.

Si pour beaucoup d’observateurs, les Etats-Unis ont sans nul doute utilisé cet événement pour peser sur le pouvoir chinois dans le cadre de leur bras de fer commercial, le pays de l’oncle Sam met toutefois en avant, et à juste titre, sa sécurité nationale, mais également celle de tous les pays et entreprises qui seraient en partenariat avec le géant chinois Huawei, contre de probables  »actes d’espionnage » dans le secteur des technologies.

Depuis, presque toutes les entités liées à Huawei ont dû réévaluer ce risque en prévoyant une panoplie de mesures politiques et commerciales à l’encontre du groupe chinois, telles les contrôles à l’exportation, le blocage d’acquisitions et de transferts de technologie, tout en minimisant les dommages résultant de ses sanctions probables.

En fait, derrière cette actualité largement médiatisée, d’énormes défis économiques et stratégiques se jouent, des enjeux qui poussent les agences de renseignement occidentales à prendre la menace que représenterait la Chine et Huawei pour l’économie et la sécurité mondiale, très au sérieux.

La Chine a adopté le plan de développement  »Made in China 2025 » qui vise à développer une stratégie les menant à être leader mondial dans les domaines de l’Intelligence Artificielle (IA), de la robotique, de l’aérospatiale et bien d’autres Industries.

Pour cela la Chine a décidé de gagner la bataille mondiale autour de la technologie qui fournit une connectivité ultra-rapide et une meilleure bande passante dans l’Internet des objets (IOT), que toutes les entreprises de télécommunication sont sur le point de déployer et qui consiste en la prochaine génération de sans-fil cellulaire : la 5G !

En plus d’accélérer les transferts de données, les réseaux 5G permettront aux voitures autonomes de communiquer entre elles et de communiquer sur des sujets tels que les feux de circulation intelligents, comme ils connecteront et contrôleront un grand nombre de robots dans les usines et autres secteurs digitalisés.

Les armées les utiliseront également pour toutes sortes d’applications et cela augmentera considérablement le nombre de périphériques connectés avec le risque de voir le chaos s’installer si les réseaux qui les prennent en charge sont piratés.

Récemment, une série de fonds de capital-risque financés par l’État chinois ont réuni des start-up technologiques et d’autres sociétés privées avec l’Armée de libération du peuple.

A titre d’exemple, le Fonds des industries d’innovation civilo-militaire de Foshan a été lancé à hauteur de 28,75 milliards de dollars en Septembre 2017.

Et c’est précisément pour contrer cette offensive que la loi américaine sur le contrôle des exportations a élargi la liste des contrôles à l’exportation touche une grande partie des secteurs des technologies utilisées à des fins commerciales et militaires tels : la robotique, l’IA, les véhicules autonomes et même la technologie de reconnaissance faciale.

Les effets de telles restrictions ont d’ores et déjà engendré de grands dommages collatéraux aux entreprises chinoises dépendantes de la technologie de semi-conducteurs américaine pour des composants tels que les micro-puces et les logiciels du système d’exploitation Android… dont la plus grande partie provient de compagnies américaines : Google, AMD, Intel, Micron, Nvidia, Qualcomm…

Et c’est dans cet environnement mondial de suspicion d’espionnage que l’Entreprise Sonatrach a décidé de confier à son homologue chinois : la China National Petroleum Corp (CNPC) et à l’équipementier Télécom Huawei le projet informatique d’implémentation d’un nouveau progiciel de gestion intégrée, ou Enterprise Resource Planning (ERP) !

En effet, Sonatrach avait attribué en Novembre 2016 à la CNPC un contrat de 420 millions de dollars portant sur la rénovation de la raffinerie d’Alger, suite à la signature d’un des accords cadre, ‘‘Memorandum Of Understanding (MOU)’’ avec la CNPC visant le développement du partenariat dans l’ensemble de la chaîne hydrocarbures ainsi que dans les services pétroliers, avec d’importantes perspectives d’investissement conjoint et de coopération.

Une partie du contrat qui aurait été attribué le 6 novembre 2018, deux jours à peine après le renforcement des sanctions « secondaires » imposées par les États-Unis à toutes parties tierces ayant des liens commerciaux avec l’Iran, portait sur la fourniture de services de télécommunication par Huawei à Sonatrach !

 »Pour un montant de 100 millions Huawei va installer l’ERP qui va permettre de gérer les finances, la production, la commercialisation, la comptabilité… autant dire toutes les informations sensibles de la première entreprise africaine. » Nous informera un cadre de la Sonatrach.

Selon notre source, cette partie du projet, évaluée à près de 100 millions de dollars, a encore en 2020 du mal à se concrétiser du fait que Huawei et Richfit, la filiale informatique de CNPC en charge du dossier, ont rencontré plusieurs obstacles techniques et linguistiques, au point d’envisager de sous-traiter le marché au groupe français Atos qui a d’ailleurs décliné l’offre.

Huawei et CNPC ont alors sollicités pour ce projet plusieurs sociétés hongkongaises, comme Kings Consulting, CGL Consulting et Unigain, mais elles ont toutes échoué à achever le fameux projet de modernisation de l’outil informatique de la Sonatrach…

Il y a quelques jours, Huawei a même été contraint de faire appel à un ultime cabinet de recrutement, TitanLi Consulting, pour l’aider à embaucher des ingénieurs spécialistes du module FICO de finance et contrôle de gestion de SAP, notamment le progiciel de gestion intégrée (ERP, Enterprise Resource Planning) S/4HANA et la suite dédiée à l’industrie pétrolière, IS-Oil.

Ce véritable fiasco, aussi budgétivore que dangereux pour la sécurité de la Sonatrach, risque d’aggraver la situation de l’entreprise pétrolière nationale, non seulement dans l’échec de la refonte de ses systèmes informatiques, mais également dans l’indemnisation qu’elle devra en annulant le contrat devant la justice.

Pour rappel, la justice algérienne avait déjà auparavant ouvert un dossier concernant des contrats litigieux et des transactions douteuses (en matière de télécommunications et d’internet) au milieu des années 2000 conclues par Algérie Télécom et deux sociétés chinoises ZTE et Huawei.

A la suite de ce procès, les deux géants chinois avaient été exclus des marchés publics algériens jusqu’à juin 2014.

Malgré tout cela, et à contre-courant, Huawei continue pourtant de profiter de marchés stratégiques en Algérie.

 »Il y a quelques mois, Huawei a gagné un autre gros marché pour la réalisation et la mise en service d’un Data Center au profit de la Direction Générale des Douanes pour un montant estimé à 3.34 millions de dollars et 90.99 millions de dinars » nous informera notre source.

Le nouveau gouvernement de l’ère Tebboune va-t-il enfin s’impliquer sérieusement dans la protection des données et des informations liées à son économie en contrôlant certains investissements stratégiques et sensibles ? Ou préférera-t-on avoir recours aux discours populistes et parler que du prix de la patate ? Véritable dilemme !

Amir Youness


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