Procès de Karim Tabbou

Entre condamnations des avocats et réactions polémiques du parquet général



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Violemment dénoncé par les avocats, le procès en appel de Karim Tabbou a suscité de nombreuses réactions. Alors que le procureur général d’Alger parle de «respect de la procédure» et le Conseil des droits de l’homme rappelle «les voies de recours légales», le barreau d’Alger et l’Union nationale des conseils de l’Ordre se joignent au collectif de défense de Karim Tabbou pour qualifier le procès du 24 mars de «graves dérives». La polémique s’amplifie alors que l’inquiétude pèse lourdement sur l’état de santé du militant.

A en croire les avocats, le procès en appel de Karim Tabbou, le 24 mars, à la cour d’Alger, à la veille de sa mise en libération, s’apparente à un «véritable scandale judiciaire».

Le militant politique ne voulait pas être jugé sans ses avocats, et au moment où il insistait sur le renvoi, un malaise l’a paralysé. Evacué vers l’infirmerie, l’audience a été suspendue, puis reprise quelque temps après le retour de Karim Tabbou dans un état qui ne lui permettait pas de répondre aux questions.

Arrivés presqu’à la fin de l’audience, ses avocats ont demandé le report, mais le magistrat a refusé. Il a décidé de passer outre les plaidoiries de la défense, la prise de parole du prévenu en fin du procès et de délibérer en revoyant à la hausse le premier verdict, qui passe d’un an de prison dont six mois avec sursis, à un an de prison ferme.

Pour le barreau d’Alger, «c’est une grave atteinte à la primauté de la loi et aux droits des justiciables». Il demande l’annulation de la décision prononcée contre Karim Tabbou car, dit-il, il a été «condamné sans procès».

Dans son communiqué, le barreau d’Alger annonce sa décision de «suspendre toute coordination avec les parties judiciaires et administratives et appelle les autres barreaux à boycotter toute l’activité judiciaire» pour, dit-il, de mettre fin aux «dépassements dangereux et sans précédent des droits des justiciables».

Et d’appeler à l’ouverture d’une enquête «sur ce qui s’est passé à la 5e chambre correctionnelle de la cour d’Alger», et d’interdire aux avocats de travailler avec son président.

La même réaction émane des barreaux de Tizi Ouzou et Béjaïa, puis de l’Union nationale des barreaux d’Algérie. L’Union nationale des Ordres des avocats exprime aussi sa «condamnation» des «graves dérives» ayant émaillé le procès de Karim Tabbou qui, selon elle, s’est tenu «en violation des principes d’équité et de transparence».

Elle déclare son «refus catégorique» de la sentence de la cour d’Alger, exige «des mesures qui mettent fin aux dépassements contre les droits», appelle «au boycott général du travail judiciaire» et réclame «une enquête sur ce qui s’est passé à la cour d’Alger».

Réagissant à ces déclarations, le procureur général près la cour d’Alger avance un autre son de cloche, qui tranche complètement avec ce qui a été affirmé.

Dans un long communiqué, il précise que l’affaire de Karim Tabbou a été enrôlée pour l’audience du 24 mars, après l’appel du procureur et de la défense du mis en cause contre la condamnation prononcée contre ce dernier, par le tribunal de Sidi M’hamed, le 11 mars 2020.

Le CNDH s’érige en avocat du parquet général

Lui emboîtant le pas, le CNDH (Conseil national des droits de l’homme) réduit toute la polémique autour des conditions d’un procès équitable au simple refus du renvoi du procès. Dans son communiqué il déclare qu’il «n’existe pas sur le plan international ce qui oblige la justice à approuver les demandes de report de toutes les parties à la cause».

Et de préciser : «Si l’une des parties estime que la juridiction a abusé de l’usage de ce droit, le seul et unique moyen est de se pourvoir devant une juridiction supérieure, seule habilitée à trancher au fond.»

Revenant sur l’état de santé de Karim Tabbou, lors du procès, le CNDH souligne que «le mis en cause a subi des examens médicaux effectués en premier lieu par le médecin de l’infirmerie de la cour, puis par un groupe de spécialistes», qui avaient, selon lui, «unanimement affirmé que l’intéressé ne souffre d’aucune maladie pouvant entraver sa comparution au procès,  notamment les symptômes d’un accident vasculaire cérébral».

Le CNDH note que la décision relative au report du procès des accusés détenus est «une décision nationale générale», appliquée sans aucune distinction entre tous les accusés ayant comparu ces derniers jours devant les tribunaux et les cours à travers le territoire national, par conséquent la tentative de certains d’exclure l’affaire Karim Tabbou de cette règle constitue une atteinte à l’un des principes fondamentaux des droits de l’homme, à savoir l’égalité et la non-discrimination entre tous les justiciables.

En tout cas, aussi bien la déclaration du parquet général d’Alger que celle du CNDH ont suscité une polémique, notamment chez les avocats. Le collectif de défense de Karim Tabbou, après avoir introduit un pourvoi en cassation devant la Cour suprême contre l’arrêt de la cour d’Alger, reste très inquiet sur l’état de santé de son mandant.

Me Abdelghani Badi affirme que lors de sa visite à la prison, jeudi dernier, son mandant ne se portait pas bien. «Il avait du mal à articuler ses mots, des difficultés à bouger son bras pour utiliser le téléphone au parloir. Il marchait difficilement et traînait son pied gauche. Il avait aussi la mâchoire un peu tordue. Ce sont des signes qui nous font peur.» Me Badi est formel.

Le procès du 24 mars «n’était pas du tout équitable». «Lorsqu’on lit la déclaration du CNDH, on voit qu’il s’érige en avocat du parquet général», dit-il. Me Amine Sidhoum, ajoute : «Ils disent que les affaires des détenus ne sont pas renvoyées, or le jour même, le magistrat de la 10e chambre a renvoyé tous les dossiers.

Comment le magistrat peut-il délibérer sans donner le droit à Tabbou de dire son dernier mot, sans qu’il y ait de débat et surtout sans que ses avocats soient présents ? Tabbou n’a pas eu droit à un procès. C’est un jugement expéditif.» Pour les avocats, la réaction du parquet et celle du CNDH «ne reflètent pas la situation. Elles défendent l’indéfendable».


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