Quand Alger profite du Coronavirus pour régler ses comptes avec le journalisme indépendant



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Khaled Drareni est un journaliste libre et indépendant, c’est ainsi qu’il aime à se présenter, et c’est avec cet idéal et ces valeurs qu’il pratique notre métier, dans son pays, l’Algérie, 141ème au Classement mondial de la liberté de la presse. A 39 ans, le correspondant de Reporters sans frontières (RSF) et de TV5 Monde en Algérie est l’une des incarnations de la liberté de l’esprit dans un environnement où cela suppose du courage.

Alors que l’épidémie de Coronavirus menace le monde en général et l’Algérie en particulier, la justice algérienne n’a eu rien de mieux à faire que d’incarcérer notre confrère, collègue et ami, le 29 mars, en application d’un mandat de dépôt délivré quelques jours plut tôt. Cette détention provisoire survient après sa mise en examen pour “incitation à attroupement non armé et atteinte à l’unité nationale”, le 10 mars.

Le reporter s’est distingué par la qualité de sa couverture du soulèvement citoyen ‘’Hirak’’ qui secoue l’Algérie depuis un peu plus d’une année. Il est cité comme une source d’information neutre et fiable par les principaux médias dans la région et au-delà. Il exerce son métier de journaliste dans le respect de la déontologie, en militant d’une presse libre, pluraliste et indépendante.

Interpellé à plusieurs reprises, harcelé par les services et insensible au chantage, Khaled est devenu la cible du régime. Il a d’abord préféré de ne pas communiquer sur ces intimidations et se mobiliser pour les confrères victimes du même traitement. Nous avons soutenu cette stratégie, mais le passage à l’acte du régime change la donne. Nous lançons aujourd’hui un appel solennel pour que le régime algérien ressente la pression internationale de l’indignation et de la protestation. 

Le Covid-19 semble être considéré par un régime autoritaire réticent au pluralisme comme une aubaine. Les autorités algériennes profitent de la vacuité des rues pour remplir les prisons, ce qui relève d’un cynisme étrange. Dans cette période de crise sanitaire, où le rôle des journalistes est primordial dans la lutte contre la désinformation, cette incarcération est une atteinte aux droits fondamentaux doublée d’une mise en danger. Nous craignons pour la sécurité physique de Khaled.

La révision de la Constitution algérienne adoptée en 2016 avait apporté des garanties nouvelles pour la liberté de la presse. L’article 50 prévoit qu’aucune peine privative de liberté ne saurait être infligée pour un délit de presse. Lors de son premier conseil des ministres le 5 janvier, le président Tebboune a appelé le gouvernement à consolider la liberté de la presse. Dans une lettre que nous lui avons adressée le 10 mars dernier, nous écrivions : “Nous nous adressons à vous en tant que garant du respect et de la mise en oeuvre de la Constitution et des obligations internationales de votre pays. Nous vous appelons à intervenir immédiatement pour qu’il soit mis fin à des poursuites abusives, attentatoires à la liberté de la presse.”

L’acharnement contre Khaled est une menace contre les derniers médias libres en Algérie. Les détenteurs du pouvoir à Alger, qui tirent les ficelles de la justice, ne se rendent manifestement pas compte que le monde et plus encore la société algérienne ont changé. Les autorités algériennes font preuve d’un mépris stupéfiant des libertés, en incarcérant un journaliste qui ne fait que son métier dans des conditions déplorables, et de surcroît, en pleine épidémie.

Par Christophe Deloire, secrétaire général, et Souhaieb Khayati, directeur du bureau Afrique du Nord de RSF


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