Violence conjugale pendant le confinement

Barbarie au temps du coronavirus



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Le confinement et les dommages de la crise sanitaire que vit la société constituent un véritable choc psychologique. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit des couples fragiles ou fragilisées, ou des ménages qui vivent une situation difficile sur le plan social ou économique.

Sur ces mêmes colonnes, de nombreux psychologues ont averti sur les risques d'un confinement prolongé dans un ménage. Le stress, l'atmosphère remplie d'angoisse, la psychose et les névroses d'un des membres du couple ont créé une situation inédite qui débouche inéluctablement sur des comportements violents.

En quelques semaines, le fléau de la violence conjugale a fait une irruption inattendue dans les chroniques médiatiques, prenant des proportions incroyables et dangereuses. L'affaire est devenue encore plus grave durant ce mois de ramadan, avec ce bilan macabre de cinq femmes assassinées par leurs conjoints.

Elles sont épouses, sœurs ou même mères, leurs statuts ne les épargnent pas les débordements de la gent masculine. Toutes sont victimes de cette violence incontrôlée, dont les rares témoignages demeurent encore parcellaires, taboues et soumis aux pesanteurs des traditions. Mais la "barbarie" au temps du coronavirus est là, présente, pesante et lourde. Surtout quand elle surgit en vase clos, ou à huit-clos. Loin des regards, loin des bruissements de quartier ou du voisinage. En dépit d'une floraison de textes de lois et des mesures de dissuasion, ainsi que la multiplication des campagnes de prévention, rien ne semble arrêter la violence conjugale, faisant souffrir en silence de nombreuses familles. Mais les blessures sont là, toujours vivaces et elles racontent. Karima, mère de cinq enfants dont un jeune garçon handicapé mental, évoque dans son témoignage comment le mécanisme de la violence conjugale se met en place, et comment peut-on passer de la brutalité verbale à la violence corporel.

« Depuis le confinement, mon mari est devenu très nerveux, il se dispute avec les garçons, même celui qui est malade n'est pas épargné. Mais surtout en ce mois de Ramadhan, il adopte un comportement violent avec nous tous », a confié Karima, avant d'ajouter : « nous vivons un cauchemar au moment du ftour, souvent il renverse la table pour que personne ne mange ! Il est devenu grincheux, il supervise tout, même la façon d'étendre le linge n'est pas correcte … ».

Pour cette femme battue, avoir son mari à la maison, est une torture psychologique et physique. « S'il continue, je n'attendrai pas le déconfinement pour divorcer », conclut-elle. Malika, une autre victime, témoigne avoir été confronté à la violence de son mari pendant toute la période du confinement.

Elle raconte que son conjoint a perdu son travail dès le début de confinement, et qu'elle était seule à pouvoir travailler comme pâtissière dans une boulangerie : « j'ai été frappée et humiliée devant nos quatre enfants, parce que j'ai oublié de lui acheter ses cigarettes. Je découvre un homme violent derrière le visage de mon mari, » dit-elle tristement. Avant la pandémie du Covid-19, l'homme était prisonnier du « train-train » quotidien avec des vies bien remplies, actives et dont le temps était compté. Cependant, l'expérience du confinement en cette période de crise sanitaire a obligé les familles à changer complètement leur mode de vie, à savoir réapprendre à cohabiter, afin d'affronter les

problèmes du stress psychologique. En revanche, des femmes qui subissent en silence ce diktat, indiquent avoir été exposées à des violences physiques et sexuelles de la part de leurs conjoints violents. Et les témoignages foisonnent. Un phénomène que la juriste de la cellule d'écoute du réseau Wassila, Feriel Khelil, a essayé de l'expliquer.

Séquestration et violences

Contacté par le Jeune Indépendant, la juriste a indiqué que pendant la période de confinement, l'homme violent est constamment présent à la maison, et cela empêche les femmes d'appeler, ou de s'exprimer. Résultat : « le nombre d'appel a considérablement baissé depuis le confinement », affirme-t-elle. Le réseau Wassila a constaté, ces dernières semaines du mois de de Ramadan, une augmentation du nombre d'appels, qui évoquent la séquestration et la violence physique et psychologique, même envers les enfants.

Mme Feriel Khelil a souligné que depuis le confinement les écoutantes travaillent en coordination à partir de leur maison. Cependant, le réseau Wassila, suivait déjà, avant le confinement, des cas de femmes qui se plaignaient de la violence du mari, et d'autres qui témoignaient sur la violence verbale et psychologique, Toutefois, les formes de violence se sont aggravées, c'est à dire que le mari est allé de la menace jusqu'à la violence physique. Elle signale également que « le nombre d'assassinat est effrayant, cinq femmes assassinées depuis le début de mars, c'est énorme ». La juriste affirme que pendant la crise sanitaire et le Covid-19, qui présente une menace réelle à l'extérieur, la femme se trouve face à un dilemme.

« Sortir de la maison conjugale avec ses enfants pour fuir l'homme violent, mais pour aller où en cette période de confinement ? Qui va les hébergés ? Personne ! », s'est-t-elle interrogé. A ce sujet, la juriste rappelle que : « beaucoup de femmes refusent de rester dans des centres d'hébergement déjà complétement chargés, avec des conditions qu'elles trouvent invivables, ajoutant à cela la menace de la contamination, donc les femmes préfèrent subir que d'aller vers l'inconnu ».

Par ailleurs, Mme Ouarek Amedjout Nadia, psychologue orthophoniste, membre fondatrice du réseau Wassila et coordinatrice du centre d'écoute, estime que« pendant la période de confinement, la meilleure solution pour pouvoir aider ces femmes en détresse, reste l'écoute et le soutien, afin d'orienter ces femmes à connaitre leurs droits. Nous faisons un travail de relais, avec la psychologue et même après, la juriste vient en appui. On lui demande de patienter en la rassurant d'être présente pour elles et qu'elles ne sont pas seules ».

Concernant la crise sanitaire et la peur de la contamination, Me Amedjout signale que : « le confinement n'arrange pas du tout les choses, en plus de la violence conjugale, on reçoit des appels de la part des mamans divorcées, souvent en détresse, nous demandant de les aider, parce qu'elles n'ont plus d'autorité sur leurs enfants, qui refusent de respecter le confinement, et d'autre part la peur d'être contaminée, c'est ce qui engendre des violences à longueur de journée. Cela les affecte psychologiquement ». La psychologue évoque également le manque de communication, qui est flagrant dans les familles algériennes. Cette absence de communication verbale favorise l'agressivité et engendre des dérapages irresponsables qui finissent souvent de manière dramatique.


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